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LES BASES DU NOUVEL IMPÉRIUM

On disait, au XIXème siècle, “La route des Indes” et tout était dit. Un rappel historique ne serait pas sans intérêt aujourd’hui.
En 1875, la conquête des Indes par les Anglais était pratiquement achevée, l’Empire des Indes institué et la reine Victoria proclamée impératrice. Il y avait du panache! C’était une belle époque! La même année, la Grande-Bretagne devenait le principal actionnaire du Canal de Suez au percement duquel elle s’était précédemment opposée. Dès lors, toutes les bases de la Route des Indes étaient constituées et bien tenues: Gibraltar, Malte, Chypre, Suez, Aden, Oman, Bombay.
Aujourd’hui, pour la nouvelle super-puissance, l’Amérique, il ne s’agit plus des Indes, mais d’une autre source de richesse: le pétrole dont les plus grandes réserves mondiales sont situées sur les côtes du Golfe arabo-persique et de la mer Caspienne. Les bases militaires américaines ont été renforcées dans le Golfe à la faveur de la guerre contre l’Irak. Les communications se font maintenant par voie aérienne et non plus maritime comme au XIXème siècle. Pour assurer ces communications, les Etats-Unis disposent d’escales en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Turquie, toujours à Chypre et bientôt, probablement, en Israël si la paix est enfin réalisée avec tous les pays arabes. Et comme le transport du pétrole se fait par bateau, la marine américaine est fortement présente en Méditerranée et dans l’Océan indien.
Dans le cadre de ce dispositif général, le règlement des problèmes des Balkans prend tout son sens. La pacification de cette région, sa reconstruction économique et son intégration à l’Europe prendront beaucoup de temps. Et cela aura pour première conséquence la prolongation de l’occupation militaire. L’intrusion russe dans ce jeu pourra-t-elle en modifier le cours? Ou n’est-elle qu’une gesticulation motivée par les difficultés internes du régime au Kremlin? On le saura peut-être bientôt. En attendant, le renforcement de l’emprise des Etats-Unis sur tous leurs alliés, de l’Europe au Proche et Moyen-Orient, se confirme sans l’ombre d’un doute.
Rappelons que le début de cette nouvelle phase de l’Histoire a coïncidé avec la chute du Mur de Berlin et la désintégration de l’Union soviétique.

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La constitution de ce dispositif de la puissance américaine n’est pas nouveau, mais sa forme et ses justifications ont évolué au cours des cinquante dernières années. A partir de 1949, c’est face à la puissance de l’URSS (et à la menace représentée par le blocus de Berlin) que la politique occidentale de défense s’organisait: en Europe avec la constitution de l’Otan. En Proche et Moyen-Orient, à partir des années 50, avec le Pacte de Bagdad bientôt remplacé, après la chute de la monarchie irakienne, par le Traité central du Moyen-Orient.
“Contenir” le péril communiste était le thème essentiel de cette politique. Elle avait peu de chance de séduire le monde arabe, alors entièrement fixé sur la perte encore toute récente de la Palestine. Dans cette région, le seul péril sensible était (et demeure toujours) le sionisme expansif.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de péril communiste. Les moyens de séduction de l’Amérique sont d’un autre ordre. Ils sont résumés par le slogan: “Le nouvel ordre mondial” que chacun interprète à sa façon. On a parfois le sentiment qu’il se réduit à cette proposition: économie de marché, libéralisme commercial sans aucune restriction, promesse de prospérité générale comme fondement des efforts de règlement des vieux conflits politiques, territoriaux ou ethniques, ainsi minimisés par rapport à l’économique.
Maintenant, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en passe de devenir, avec le FMI et la Banque Mondiale, plus importante que l’ONU, censée être la gardienne de la paix. Le gardien de la paix, c’est le G.I. avec sa nouvelle panoplie d’armes électroniquement programmées pour des guerres “zéro mort” (chez le gardien de la paix, bien entendu).
En deux mots comme en cent: nous n’avons pas l’intention d’arbitrer vos querelles internes ou de voisinage; nous pouvons seulement vous aider à vous réconcilier ou à coexister en paix; et comptez sur nous pour vous enrichir - et pour vous protéger (et vous surveiller) avec notre aviation “furtive” et nos missiles de croisière.
C’est bien avec ce genre de discours que Washington conduit déjà le “processus de paix” en Orient. Qu’il aboutisse ou qu’il n’aboutisse pas, nous sommes là!

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Hélas! les choses ne sont jamais aussi simples.
On le verra bien très vite dans les Balkans, comme on l’expérimente depuis plus d’un demi-siècle avec le sionisme. Il y a des peuples qui sont encore animés et manipulés par l’orgueil national ou tribal, par les préjugés ethniques, par des haines séculaires ou des sentiments religieux primitifs. Cela peut aller jusqu’aux violences les plus barbares comme les Balkans en ont connu, jusqu’aux comportements les plus anachroniques, comme nous le montrent tous les jours les “religieux” barbus de Jérusalem associés à un véritable terrorisme d’Etat.
Comment mâter (car c’est bien de cela qu’il s’agira) ces réactions primaires pour apprendre à tout ce monde à commercer en paix?
Est-ce que les stratèges américains de ce nouvel âge le savent? Ou préfèrent-ils s’en désintéresser pour ne compter que sur le respect qu’est censée inspirer la supériorité de leur armement? 

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