Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

MESSIEURS LES MINISTRES

Nous ne savons pas si après votre accession au pouvoir, vous vous souvenez encore du jour où vous n’étiez que simples citoyens, du moins la plupart d’entre vous, les autres ne l’ayant jamais été.
Nous ne savons pas si vous avez vécu toutes nos misères au quotidien. Nous ne savons pas si vous avez eu toutes les peines du monde à tenter de boucler des fins du mois sans jamais y parvenir, si vous avez passé des nuits blanches à essayer de trouver le moyen de payer la scolarité sans cesse galopante de vos enfants, si vous vous êtes rendus, le cœur battant, dans un supermarché, si vous avez frôlé la dépression nerveuse confrontés à vos factures, à vos impôts, à vos taxes, à l’angoisse d’être remerciés par votre employeur à chaque paie, parce que son usine a fait faillite ou que son établissement perd de l’argent, par suite de la crise économique qui paralyse le pays.
Nous ne savons pas si l’une de vos proches, de vos amies ou de vos connaissances a été agressée dans la rue, en plein jour par des motards friands de sacs à main, si la maison de vos voisins ou un appartement dans votre quartier a été cambriolé. Nous ne savons pas si vous connaissez ces enfants qui se font violer presque au berceau, si l’un des vôtres ou ceux de vos amis soient jamais tombés sous la coupe d’un dealer de la drogue, si vous connaissez des gens, gravement malades qui n’arrivent pas à se faire soigner faute de moyens et crèvent comme des chiens galeux aux portes des hôpitaux .
Nous savons, par contre, que la crise économique dans laquelle nous nous débattons, ne saurait vous être imputée. Nous savons que vous assumez un héritage bien lourd. Nous savons que la dette de 15, 20 ou 25 milliards de dollars (on s’y perd) qui accable le pays, ce n’est pas vous qui l’avez contractée. Nous savons que le trou énorme qui grève le budget, ce n’est pas vous qui l’avez creusé.
Nous savons, aussi, que ce n’est pas l’un d’entre vous qui se cache derrière les mystérieuses “sources ministérielles” de l’ANI et nous comprenons (plus ou moins) l’indignation de l’honnête homme qu’est le président Hoss qui a menacé de poser la question de confiance.
Nous savons que pour résoudre tous ces problèmes, vous n’avez pas une baguette magique, ni quoi que ce soit de magique d’ailleurs. C’est pourquoi, nous ne vous demandons pas d’opérer des miracles. Nous ne vous demandons pas d’inventer une nouvelle doctrine sociale, de prendre le leadership du monde industrialisé, de bouleverser les données de la société de consommation (si consommation il y a), ni même de planifier, dès aujourd’hui, le Liban du XXIème siècle, mais de refaire le Liban, le Liban de tous les jours. Ce Liban modeste des réalisations modestes.
Nous ne vous demandons que des choses simples: que vous tentiez de desserrer l’étau économique qui nous étrangle, que la loi du budget soit enfin publiée au Journal Officiel, que le contribuable cesse d’être rançonné par le truchement de taxes qui dépassent de loin ses possibilités, que pour colmater les brèches du Trésor vous cherchiez ailleurs que dans les poches des classes moyennes et pauvres déjà lessivées par les soins de vos prédécesseurs.
Que nous puissions circuler dans les rues sans risquer de nous retrouver aux soins intensifs, que notre environnement soit débarrassé de ses prédateurs et cesse d’être systématiquement enlaidi et pollué.
Que nos enfants puissent aller à l’école et manger à leur faim tous les jours, que les prix arrêtent leur escalade et les revenus leur chute, que l’eau coule et coule propre dans nos robinets, que le courrier arrive à destination, que nos factures de téléphone et d’électricité soient alignées sur nos modestes moyens et non plus sur les revenus des pays du G8.
Que justice soit garantie et égale pour tous, que les droits élémentaires de l’homme soient respectés, qu’un membre de la police soit un agent de l’ordre et non un élément de désordre, qu’un climat de confiance soit créé pour ouvrir la voie au retour des émigrés et de leurs capitaux et qu’en même temps que vous enquêtez sur le passé, vous tourniez aussi vos regards vers le présent et l’avenir...
De petites choses en somme dont est faite - ou mal faite - la trame de notre vie quotidienne. Car si c’est dans les grands affrontements qu’on gagne certaines grandes batailles, c’est dans les petites batailles jamais livrées qu’on perd les guerres d’usure.
Messieurs les ministres, à l’avènement de chaque gouvernement, nous espérons le meilleur et nous craignons le pire... Faites en sorte que votre passage au pouvoir soit de ceux dont on fait - faute de lendemains qui chantent  - des présents qui ne déchantent pas. C’est alors et alors seulement - et quel que soit le nombre de voix que vous aurez recueilli au parlement - que vous obtiendrez votre vote de confiance. 

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