DOSSIER


LA FRIME  AU LIBAN

INCONSCIENCE, FOLIE DES GRANDEURS, DÉFOULEMENT OU DISTINCTION?


Par NADINE FAYAD COMAIR

Le Larousse définit la frime en ces termes: “Apparence trompeuse destinée à faire illusion ou à impressionner les autres, pour étonner, pour se rendre intéressant, en apparence seulement”.
Le mot, en lui-même, suffit à déchaîner les avis les plus contradictoires. Synonyme de raffinement et de distinction pour certains, ils perçoivent la frime comme une façon d’échapper à la grisaille quotidienne, tout en s’amusant. Pour d’autres, il s’agit d’une attitude honteuse, doublée d’un étalage de richesses d’autant plus choquant, que le pays passe par une crise accablante et que les gens ont, quelquefois, tendance à se priver de l’essentiel pour paraître. Ce sujet apparemment futile, prend actuellement une telle ampleur au Liban, qu’on ne peut y rester indifférent. Les Libanais ont toujours eu un net penchant pour le luxe, l’élégance et le raffinement. Cependant, toute chose poussée à l’extrême finit par tourner au ridicule et en croyant se distinguer des autres, certains ont fini par être montrés du doigt et désignés comme exemple de futilité et de snobisme.

Après vingt années de guerre, notre pays assiste à une inversion incroyable des valeurs. Il suffit pour cela de regarder un peu autour de soi. On aurait du mal à admettre que le nouveau critère pour plaire, n’est ni l’intelligence, ni l’humour, encore moins le physique, mais l’argent avec un grand “A”.
Plus que de simples amateurs, les frimeurs sont des passionnés du paraître et le plus important à leurs yeux est d’être vus.
Faire partie de la jet-set libanaise est, semble-t-il, devenu tout un art.
Ne rater aucun nouveau restaurant, aucune nouvelle boutique, avoir le dernier modèle de cellulaire, une ou plutôt plusieurs voitures de luxe; être sûr de voir sa photo dans les revues mondaines; enfin, tout ce qui est possible pour être vu est devenu une nécessité de premier ordre. A ce sujet, nous avons interrogé plusieurs personnes et proposons à nos lecteurs, des exemples courants tirés de la vie quotidienne des frimeurs libanais.

LE LOOK
Le premier critère est, bien évidemment, que les vêtements soient signés, qu’on puisse en voir la marque, sinon qu’on se débrouille pour qu’elle soit vue, ou trouver le moyen d’en parler en précisant que cette pièce coûte très cher...
En public, les femmes se font un plaisir d’ôter leur manteau ou leur veste au ralenti pour mettre l’étiquette en évidence. Les hommes en feront de même pour la montre et la cravate. En ce qui concerne la montre, ce serait de préférence une Bulgary, Rolex, Cartier ou Audemars Piguet, tout en sachant que d’autres marques sont aussi importantes mais ne sont pas synonymes de frime au Liban.
Erreur à ne pas commettre: porter le même ensemble d’une soirée à l’autre. Ce serait impardonnable. Il ne faudrait surtout pas oublier les lunettes griffées, les bijoux et voir qui s’habille plus sexy sans, quelquefois, se soucier de la touche vulgaire que ceci engendre.
“Simplicité fait beauté”: une citation sans doute oubliée.
Pour Monsieur, le cigare est une nécessité!

LE TÉLÉPHONE PORTABLE
Dans le pays du Moyen-Orient qui possède le nombre le plus élevé de cellulaires, le “Cell”, comme on l’appelle, n’est plus un symbole de frime (même des employées de maison en ont un quelquefois). Avoir un cellulaire est presque devenu une obligation; cependant, pour faire la différence il faudrait:
- Avoir un numéro de cellulaire digne de son rang social, des chiffres qui se répètent par exemple. Pour cela, on n’hésite pas à payer le prix d’un numéro d’appel spécifique; à user de mille pistons pour l’obtenir et dire qu’on l’a eu par hasard.

- Acheter le dernier modèle qu’on trouve sur le marché, le plus petit format qui puisse exister et le plus cher, si possible. Pour d’autres personnes (de mauvais goût), ornementer leur portable de dorures et de bois ou avoir un habillage pour chaque occasion est un “must”.
- Faire en sorte que le numéro du portable rappelle celui de la plaque d’immatriculation de la voiture ou du téléphone ordinaire fixe.
- Avoir l’option “clear” pour que l’appel soit anonyme et le “roaming” (international) même pour ceux qui n’en ont même pas besoin.
- En public, dès que le cellulaire sonne, que fait un frimeur? Avec un air hautain et dédaigneux, il hésite à répondre; préfère laisser sonner sans décrocher pour se donner de l’importance; sinon il décide d’éteindre son cellulaire “pour ne pas être dérangé”. Pour d’autres, c’est le contraire. Connaissez-vous l’histoire de cette dame qui parlait au cellulaire à haute voix à un soi-disant ministre lorsque la sonnerie de son appareil s’est mise à retentir?...
- Puis, le comble de l’impolitesse: confier le portable à sa secrétaire ou à sa bonne pour répondre et dire qu’on n’a pas reçu le message. Encore mieux, ne pas répondre du tout et ne rappeler la personne en question que pour demander un service!
 
 


Même Abou el-Abed s’est mis 
au cellulaire!

LA CONVERSATION
Le langage est très important; la façon de parler, aussi. Parler le français est un signe de distinction et pourquoi pas, l’anglais, de temps à autre. Rouler les “r” est mal vu; il faudrait grasseiller pour donner bonne impression, même si on parle mal le français et qu’on a l’air complètement ridicule; mieux, employer un mot de français, un mot d’arabe; puis, un mot d’anglais.
L’intonation de la voix est très importante, également. Savez-vous que veut dire “A toute”? A tout à l’heure, bien sûr. Et “Bon ap”: Bon appétit. Et “P’tit déj”: Petit déjeuner. Et j’aurais honte de vous expliquer ce que veut dire “ceinture noire”? On aurait peut-être un nouveau lexique du langage du frimeur libanais... Trop, c’est trop!
- Sujet primordial de conversation: “les bonnes” qu’on appelle employées de maison dans les pays civilisés.
- Autre sujet de conversation: quel est le dernier potin qui court en ville? Qui trompe qui? Qui divorce? Qui est mort ou plutôt qui s’est suicidé? Qui est surendetté? Qui est la maîtresse de qui? Dernière blague à ce sujet: une femme a, enfin, accepté de sortir seule, avec son mari...
L’essentiel est d’être au courant de tout et, surtout, ne pas oublier les dernières nouveautés en matière d’esthétique, de chirurgie plastique, de maquillage et de tatouages.
Jane Nassar, esthéticienne professionnelle ayant dix ans d’expérience à Paris, nous explique que les femmes au Liban ont tendance à préférer le maquillage voyant et sophistiqué.
Les Parisiennes dit-elle recherchent davantage un look naturel ayant pour but d’embellir tout en restant simple.
Ici le maquillage permanent est très demandé. Le contour des lèvres (tatouage) coûte 250$; il en est de même pour les sourcils. Le prix d’un tracé d’eye-liner est de 150$. Se tatouer le décolleté, la cheville ou le bras coûte au moins 100 $; tout dépend du motif choisi. Ces tatouages durent 2 ans et sont surtout demandés par les jeunes de 18 - 20 ans. Les décalcomanies et les adhésifs sont également à la mode; on en trouve partout, de toutes les couleurs et à tous les goûts....
 
 


Vous nous avez bien regardé?


Ma plaque vous pose un problème? 
Bah! vous ne comprenez décidément rien à la frime...

Règle numéro un : ne jamais admettre que 
l’on frime et prétendre que l’on agit naturellement.

 LA VOITURE
Il s’agit là de l’élément de frime par excellence. Le 4x4 devient indispensable. Payer jusqu’à 20.000 dollars le prix d’une plaque d’immatriculation et essayer de la faire correspondre avec le numéro de série de la voiture est très important.
Ce qui est malheureux dans l’affaire, c’est que certains se privent de l’essentiel ou vendent leurs terrains pour avoir une belle voiture.
Avez-vous remarqué le nombre de voitures dont le prix dépasse les 100.000 dollars dans un pays aussi petit que le nôtre?

PLANNING DE LA SEMAINE
- Déjeuner ou dîner dans les restaurants les plus huppés de la ville; surtout, essayer les nouveaux.
- Aller n’importe où dans le but de voir du monde et d’être vu.
- Aller au moins une fois par semaine dans les boîtes de nuit les plus branchées et s’arranger avec les photographes pour être sûr d’avoir sa photo dans les journaux mondains, quitte à en payer le prix.
- Se préoccuper de ses vacances: Paris, Londres, la Côte d’Azur, les Baléares ou être raisonnable et rester à Faqra ou dans un complexe balnéaire. Crise économique oblige!
- Pour ce qui est de la vie culturelle, faire semblant d’être très intéressé par la lecture et les expositions mais, surtout, ne pas rater les dîners mondains, les grands mariages, les inaugurations; être invité partout et dire qu’on n’a même pas envie d’y aller.
- Débarquer en retard aux déjeuners et aux dîners. “Les gens chics se font attendre”. Sans commentaires!
 
 


Peu importe l’encombrement
quand on a l’ivresse... (d’être vu!)


Non, vous ne voyez pas double... à moins que...


La voiture: un des premiers “accessoires” 
sur lequel sera “jugé” le frimeur.


Dans son élément, sur terre comme en mer,
il ne manque que des ailes au frimeur...


La frime chic... à Kaslik.


“Fashion victims”?


My name is Bond... James Bond !


Laissez le charme agir...

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DERNIÈRES NOUVELLES DE NOS FRIMEURS
- Une dame marche au bord de la piscine super habillée, super coiffée, super bijoutée, super maquillée...
Elle parle au cellulaire équipé d’un “ear phone”. Derrière elle, sa bonne lui tient son sac avec le portable d’une main et le chien pékinois, de l’autre. A l’autre bout de la rue, le chauffeur l’attend dans une berline de luxe ayant une plaque d’immatriculation identique au numéro du modèle de la voiture! Et deviner que fait le chauffeur? Il lui ouvre la porte arrière en parlant au cellulaire...
- Une jeune femme invite des amies à un Five O’clock Tea. Pour éviter de se déplacer de quelques mètres, à la cuisine, elle appelle sa bonne au portable et lui demande de servir le thé ramené de Londres avec les gâteaux reçus d’Autriche... Alors qu’ils proviennent de l’épicerie d’à côté!
- Un homme demande à une femme de l’appeler à une heure bien précise pour frimer devant une autre et la rendre jalouse. Un autre a deux cellulaires et s’appelle d’un portable à l’autre.

ASPECT POSITIF DE LA FRIME...
Pour Nada Chaoul, juriste, professeur à la Faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ, auteur d’un livre intitulé “Frimes et autres délits” la frime aurait plutôt un aspect positif. Il faudrait, dit-elle, y jeter un regard plutôt amusé que moralisateur.
Je ne pense pas que c’est un nouveau phénomène; il s’agit plutôt d’un phénomène inéluctable dans un petit pays. L’anonymat n’existe pas comme en Occident; les gens ici vivent très rapprochés et attachent trop d’importance à la famille, au voisinage, au village, ce qui fait que la frime trouve un terrain très fertile.
Y a-t-il un lien avec la fin de la guerre? En Europe, aussi, après la Première Guerre mondiale, il y a eu les années folles où les gens ne pensaient qu’à s’amuser et à dépenser. Ceci  a été même très bien vu. C’est normal, finalement, qu’après vingt ans de  guerre, les gens cherchent à s’étourdir.
Je ne pense pas qu’il s’agit d’un vide culturel, puisqu’il y a ici énormément d’activités, de productions internationales et  de théâtres.
Je crois que ce phénomène est inhérent à la personnalité du Libanais. Personnellement, je ne condamne pas la frime. En société, on se plaint du fait que les Libanais sont superficiels et les étrangers sont toujours un peu choqués de la façon dont les femmes s’habillent dans notre pays: elles sont trop chargées, trop bijoutées et maquillées. Si on prend l’exemple de la télévision, on trouve que les présentatrices européennes sont très simples, alors qu’au Liban elles sont beaucoup plus parées. C’est le côté oriental qui influe. Un point peut être grave, surtout lorsqu’on a tendance à se priver de l’essentiel pour montrer le superflu. Oscar Wilde disait déjà: “Seul le superflu est nécessaire”. Je pense que, dans la frime, il y a, aussi, une image positive que le Libanais projette de lui-même quel que soit son milieu. Ce qui peut être vu socialement comme une grande réussite, peut être considéré comme rien du tout ailleurs. La frime varie suivant le milieu; elle est très relative. Chacun dans son petit coin, dans son village ou dans son entourage frime à sa manière. Au Liban, on frime, surtout, dans les grandes occasions: mariages, baptêmes, etc...
Un autre aspect positif du phénomène: après une guerre certains pays, comme l’Allemagne, ont connu énormément de dépressions, de suicides, etc... Alors ici, si la frime contribue à ce que le Libanais ait une image positive de lui-même sans violence parce que, finalement, la frime est assez inoffensive à moins qu’elle nuise au bon goût et gêne les gens qui n’ont vraiment pas les moyens d’agir de la sorte.
C’est un défoulement beaucoup plus innocent et moins grave que la violence. Si un ex-milicien arbore un cellulaire ou s’achète une voiture de luxe au lieu de prendre une arme, cela l’aide à résoudre son problème de cette façon.
Le Libanais a, généralement, une image positive de lui-même, ce qui est très bien sur le plan social et psychologique. Dans les sociétés occidentales, les gens se posent beaucoup plus de questions sur eux-mêmes. Du point de vue matériel, il est influencé par la générosité orientale et le show-off. L’histoire du pays elle-même est assez tourmentée; il y a eu beaucoup de changements qui font que le Libanais n’est pas habitué à faire des plans d’épargne à long terme. Il vit au jour le jour. L’histoire d’un pays influe sur les habitudes économiques des habitants.
Au Liban, il est très facile de passer d’une classe à l’autre. Ceci se fait en une génération et pour cela, le show-off paraît indispensable. La voiture est l’élément de frime par excellence; j’ai entendu, une fois, un homme dire que sa voiture lui était aussi chère que sa fiancée... La rue est plus importante aux yeux des frimeurs que leur vie privée.
On connaît beaucoup de gens qui vivent dans des taudits et ont de très belles voitures. Certains vont même jusqu’à payer 20.000 dollars le prix d’une plaque d’immatriculation à trois chiffres: c’est une conduite absolument typique de la frime, parce que dans ce cas on est sûr d’être vu.
 
 

“MORCEAUX CHOISIS”

Frime et ridicule font souvent bon ménage. 
 

Dernier cri en ville:
- Chemise ouverte avec motifs douteux...
- Collier “tatouage”
- Poitrine comprimée et débordante au maximum, quitte à suffoquer. 
- Vulgaire sans en avoir l’air, ou plutôt sans le savoir.
- Rouge à lèvres avec contour de mauvais goût (et mauvais genre)

L’homo vulgus à son summum.


ELLE RELANCE L’ÉCONOMIE
La frime contribue, sûrement, à relancer l’économie. Chaque classe sociale imite l’autre et lorsqu’on devient plus rationnel, la consommation baisse comme en Occident. Il est vrai que ce phénomène touche le bassin méditerranéen, ceci pourrait être lié au beau temps et au fait que les gens vivent dehors et sont souvent dans la rue. Ce phénomène touche toutes les classes sociales. Cependant, contrairement à ce que l’on croit, lorsqu’on atteint de très hauts revenus financiers et qu’on est riche depuis des générations, on n’a pas besoin de frimer; on devient très discret. De toute façon, le frimeur transforme d’une manière assez intelligente son complexe d’infériorité en complexe de supériorité. Au Liban, la frime est une priorité et devient un signe de conformité. Le Libanais a peu de centres d’intérêts privés; il aime imiter une classe supérieure.
Le mariage, le nouvel an, les anniversaires, les soirées de charité sont des occasions privilégiées de frime. Je jette un regard amusé sur ce phénomène. Même les conversations qui ont l’air innocent, contiennent à chaque phrase des messages de frime avec des messages de retour.
Pour Nicolas Sbeih, sociologue et journaliste, la frime n’existe pas uniquement au Liban. Cependant, dit-il, ici, elle est vraiment spectaculaire. Je crois que ceci est dû à un vide politique, à un vide culturel également. C’est un message que les gens lancent aux autres, pour prouver une certaine ascension sociale. La frime contribue à relancer certains secteurs de l’économie mais, en fin de compte, l’argent qui aurait dû être utilisé ailleurs, est dépensé pour le show-off. Les frimeurs sont prêts à se surendetter pour paraître, mais ils n’arrivent jamais à rattraper les autres. A mon avis, il n’y a pas d’avantages à ceci, sauf dans le cas où la frime aide, éventuellement, les gens à améliorer leur statut social. Les frimeurs sont, surtout, de nouveaux riches. Ce n’est certainement pas de l’inconscience; c’est quelque chose qui donne l’impression de sortir d’un banal quotidien. C’est un synonyme de distinction et tout le monde veut créer la différence par rapport aux classes inférieures.

Un chauffeur? Pas question!
Je ne laisse personne conduire ma Jag...
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FRUSTRATION
ET SIGNE DE DÉCADENCE
En Europe, les gens s’intéressent beaucoup plus aux événements culturels, comme les concerts de musique par exemple; lors d’un séjour à Vienne, je me souviens encore de gens dans le métro qui faisaient des commentaires sur le dernier concert de Mozart. Par contre, les sujets de discussion des frimeurs sont plutôt orientés vers la mode, les voitures, les cellulaires, etc... Le frimeur cache, certainement, une frustration quelque part; il ne se sent pas à la hauteur de la classe idéale si l’on peut dire. Il a un sentiment d’infériorité, de jalousie et essaye d’imiter une classe supérieure en ayant recours aux signes extérieurs de richesse. La frime, à ce niveau, est un signe de décadence. J’espère que cela va changer avec les jeunes et il faudrait qu’ils soient conscients du fait que ce mode de vie ne devrait pas être adopté. L’excès auquel on est arrivé dans ce pays, n’est vraiment pas normal!
Finalement, la frime au Liban est devenue un véritable phénomène de société comme dans la plupart des pays méditerranéens. Cependant, quand cette conduite n’est pas exagérée, ne faudrait-il peut-être pas y jeter un regard plutôt amusé que moralisateur?
 
 

Couverture: Ivana / Mitsi Abi-Nader.
Photo: Joseph Faddoul.
Coiffure et maquillage: Bassam Fattouh.

Remerciements:
St Georges Yacht Motor Club.
Saad & Trad.
Société MEDO (Marlène Hachem).
Nadim Ghattas - Tracy Sultan
Joe Karam - Joe Sfeir
Joe Otayek - Joe Mouannès.
Elie Banna - Georges Abou-Chacra.

Photos: André Farah, J.F., Heska.
Illustrations: Mazen Kerbage.



 
 

LA FRIME, PHÉNOMÈNE 
DE SOCIÉTÉ OU MAL ATAVIQUE?

Les avis concernant la frime au Liban divergent.A ce sujet, nous avons interrogé Ricardo Karam, célèbre présentateur de la MTV.
A votre avis, pourquoi la frime au Liban est-elle devenue un véritable phénomène de société?
Je ne pense pas qu’il s’agit d’un nouveau phénomène; le Libanais a toujours eu un net penchant pour le luxe et les apparences. Avant la guerre, on avait du plaisir à observer ceux qui frimaient; à admirer les femmes élégantes, la dolce vita, etc...
Actuellement, le plus important est d’être vu et photographié, l’argent est devenu le facteur essentiel.
Ce sont les séquelles de la guerre. Le Liban est le pays le plus ouvert du Proche-Orient et les gens ici sont tellement avides de paraître.


Ricardo Karam: “Au fond, 
au Liban, qui cherche-t-on 
à impressionner?” 

LES NOUVEAUX 
RICHES EN SONT ATTEINTS...
Qui sont les frimeurs?
Les frimeurs sont, surtout, de nouveaux riches. Les gens connus depuis des générations sont très discrets et préféreraient même ne pas trop paraître. Ils évitent d’être photographiés. Personnellement, je ne blâme pas les jeunes... Les gens vont voir une exposition ou acheter des livres, surtout pour être vus. Prenons l’exemple des concerts comme Pavarotti, José Carreras, etc... Le plus important à leurs yeux est la vie sociale et même lorsqu’ils sortent, ils préfèrent aller dans des endroits où il y a beaucoup de monde pour qu’on les voit.
Ce qui est malheureux, c’est que les gens sont prêts à se surendetter, rien que pour paraître.
Essayent-ils de combler un vide culturel ou leur seul souci est-il d’impressionner les autres?
Je ne pense pas qu’il y a un vide culturel, malgré les vingt années de guerre, les activités culturelles ont persisté, mais le Libanais est superficiel de nature et adore impressionner les autres.
 


Claude Khalil du programme Tok Rire (Télé Liban), 
interprétant le caractère de Mouaffac 
(le parvenu), exemple-type du nouveau riche frimeur.


Outil indispensable à tout bon frimeur.

UNE OBSESSION...
La frime peut-elle tourner à l’obsession?
Certainement, d’ailleurs, la frime au Liban est déjà une obsession. Ce pays est bizarre. Beyrouth est une ville qui renaît de ses cendres et on dirait qu’après vingt ans de guerre, les gens n’ont rien appris: ils sont encore plus superficiels. Je ne comprends pas les femmes qui passent leur temps à faire des “Sobhiés”, des “Brunchs”, des déjeuners et ne pensent qu’à cela, en prétendant faire partie d’associations de bienfaisance. Je pense que la femme est à la base de tout. Au fond, c’est elle qui recherche la frime. Les hommes sont pris par leur travail.
Que pensez-vous de la frime? Est-ce de l’inconscience ou un droit au rêve synonyme de distinction?
Les gens sont très conscients de ce qu’ils font. La frime est un vide mental; c’est un moyen de s’imposer et de s’assumer.
 


L’accumulation des maccarons est un signe de 
profusion... Pour qui a les moyens... ou la patience!


Un peu de détente après une longue virée en Harley...

LE LIBAN, UN PAYS SUPERFICIEL?
Avez-vous des exemples insolites à nous donner?
Je rencontre, souvent, des gens dans les avions qui essayent de se justifier parce qu’ils sont assis en classe économique, en prétendant qu’ils n’ont pas trouvé de place en première... Je trouve cela ridicule, d’autant plus que personne ne leur a posé la question! Le Libanais aime qu’on parle de lui mais manque de simplicité et, parfois, en voulant soi-disant se donner de l’importance, certains manquent de tact et de savoir-vivre. Je ne comprends pas, par exemple, ceux qui vous téléphonent par l’intermédiaire de leur secrétaire ou mieux encore ceux qui lui confient leur cellulaire...
Lorsque Farah Diba m’appelle, elle me dit: “Bonjour, monsieur Karam, je suis Madame Pahlavi”; elle le fait directement... Ici, les gens manquent de délicatesse et cette attitude pourrait avoir des répercussions négatives. Nicolas Hayek (qui a inventé la montre suisse “Swatch”) m’a dit: “Le Liban est un pays très superficiel et je n’y reviendrai jamais”.
A votre avis, la frime contribuerait-elle à relancer l’économie?
Non, je ne pense pas que la frime contribue à relancer l’économie. Un frimeur se prive peut-être de l’essentiel pour être sûr d’être vu.
Quels sont les avantages et les inconvénients de la frime?
Je n’y trouve pas d’avantages. Je crois que c’est une attitude assez triste.
Par contre, dans le cas de Mona Ayoub, qui est une richissime libanaise aimant les apparences, la frime a été bénéfique. Elle s’est faite photographiée par “Paris Match”, a acheté le bateau de Bernard Tapie pour se faire encore mieux connaître et ceci l’a aidée dans ses affaires.
Mais au fond au Liban, qui cherche-t-on à impressionner? 



 

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