LE LIBAN EN BRANLE POUR RÉPARER LES DÉGÂTS

LA TÉMÉRITÉ FACE À L’ÉPREUVE



Une fois de plus, le Liban vient de subir une violente agression israélienne qui a fait des morts, des blessés, détruit une partie de son infrastructure, ébranlé son économie et empoisonné un début de saison d’été qui s’annonçait florissante.
Avec la même témérité face à l’épreuve, qu’il a témoignée tout au long de vingt années de guerre, le pays des Cèdres a entamé, moins de vingt-quatre heures après les raids la réparation des dégâts.
La communauté arabe et internationale a vivement condamné l’attaque israélienne, la diplomatie s’étant mise en branle pour juguler toute escalade et faire prévaloir l’arrangement d’avril 96 en vue de régler les incidents militaires entre le Liban et Israël. Plusieurs pays frères et amis ont offert leur contribution financière et technique pour la réparation des dommages évalués à des millions de dollars.
Mais tout cela ne résoud pas le fond du problème et il est grand temps d’aborder la question du conflit libano-israélien avec objectivité et réalisme si on veut instaurer au début du troisième millénaire une paix juste et globale. Sinon l’engrenage de la violence peut se perpétuer sans arrêt avec des attaques et des représailles démesurées.
Paris, Washington, Damas, Téhéran, capitales directement impliquées et concernées par la situation au Liban, ne devraient pas se contenter de réactiver les accords d’avril 96, mais concentrer leurs efforts pour aboutir à une solution juste et équitable. On sait que Washington essaye, sérieusement, de parvenir à un gel des activités de la Résistance contre une promesse de reprise des pourparlers. Le Liban, en accord avec toutes les fractions politiques, le “Hezbollah” en tête, en concertation avec Damas et Téhéran, ne pourrait-il pas en toute objectivité étudier cette proposition? On sait, aussi, que le Premier ministre israélien élu, Ehud Barak, souhaite retirer “Tsahal” du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest d’ici un an. Il l’a dit plus d’une fois depuis son élection et s’est, d’ailleurs, désolidarisé des raids commandités par le Cabinet sortant de Netanyahu.
Notre diplomatie ne devrait-elle pas se montrer plus active et efficace, en mobilisant, à cet effet, la communauté internationale?
Le Liban n’a-t-il pas déjà assez payé pour tous ses frères dans le conflit israélo-arabe? Doit-il être indéfiniment une monnaie d’échange et un bouc émissaire?

UNE NUIT D’ENFER
La nuit du jeudi 24 au vendredi 25 juin aurait dû être semblable aux nuits calmes de ce début de la saison estivale. Israël en a décidé autrement et l’a rendue infernale, en lançant une série de raids aériens meurtriers contre l’infrastructure et les civils faisant huit tués, plus de 70 blessés et des dégâts matériels considérables évalués à des millions de dollars.
Première cible: la centrale électrique de Jamhour qui, entre 20h30 et 21h30, subira quatre raids aériens. Les trois premiers détruisent, totalement, cette sous-station, principal relais entre la capitale et la centrale de Jiyeh. Le quatrième raid sera purement criminel. Dès l’annonce de l’attaque, les pompiers, la Défense civile, le ministre des Transports, Najib Mikati; le directeur général de l’EDL, Georges Mouawad; des journalistes, des habitants proches de la centrale avaient accouru sur les lieux. Une ultime fusée s’abat, alors, sur la station en proie aux flammes que les pompiers cherchaient à circonscrire. Quatre d’entre eux sont tués sur le coup et plusieurs autres blessés. D’ailleurs, vu l’affluence sur les lieux, une hécatombe aurait pu se produire.
Jusqu’à l’aube, les raids israéliens se suivent sans interruption. Quatre ponts sont détruits, ceux du Awali, à l’entrée de Saïda; de Zrariyé, de Saadiyate et de Damour. Et ce, dans le but évident de couper le Liban-Sud du reste du pays. Deux citoyens sont tués à Saadiyate et plusieurs personnes blessées sur les ponts.
La région de Baalbeck ne sera pas épargnée. Un immeuble de quatre étages, situé à proximité de la mosquée de l’imam Ali, est détruit.
On compte plus de trente blessés dont plusieurs enfants. Selon les sources militaires israéliennes, il s’agissait du Q.G. du “Hezbollah”. Les sources libanaises affirment que le bâtiment servait de bureaux administratifs aux intégristes.
Les deux derniers raids, entre deux et quatre heures du matin de vendredi 25, vont prendre pour objectif la station électrique de Bsalim, y causant de graves dégâts, ainsi que le relais de “Cellis” à Jiyeh, le détruisant totalement et provoquant la mort des deux jeunes gens qui en assuraient la permanence.
Dès 20h30, la capitale et ses banlieues étaient plongées dans le noir. La population a passé une nuit blanche, alors que les batteries de DCA de l’armée libanaise et du “Hezbollah” étaient en action sans arrêt même si leurs tirs s’avèrent inefficaces. L’aviation israélienne a survolé Beyrouth à basse altitude franchissant, plus d’une fois, le mur du son et semant la panique parmi la population.
En même temps, des vedettes israéliennes croisaient au large du Sud à moins d’un kilomètre de la côte.
Depuis l’opération des “Grappes de la colère”, en avril 1996, le Liban n’avait pas connu une agression israélienne de cette envergure.
 

La centrale électrique de 
Jamhour en proie aux flammes.

Les citoyens se déplaçant 
à pied sur le Awali.

RÉPARATION IMMÉDIATE DES DÉGÂTS
Le Liban répond à cette agression meurtrière par un élan de solidarité nationale et une détermination farouche à surmonter l’épreuve.
Vendredi 25 juin au matin, les équipes de génie de l’armée et des ministères concernés, étaient sur pied-d’œuvre pour assurer aux citoyens le minimum vital au niveau de l’électricité et réparer les ponts détruits.
En moins de trois jours de travaux intensifs menés jour et nuit, l’EDL (Electricité du Liban) a réussi à assurer douze heures de courant par jour dans la capitale et ses faubourgs. Mais la remise en état des stations de Jamhour et de Bsalim prendra des semaines voire des mois et nécessitera le débours de plus de 30 millions de dollars. Dans un touchant geste de solidarité et de générosité, l’émir séoudien, Al-Walid Ben Talal, s’est engagé à assumer les frais de réparation des deux stations.
Concernant les ponts détruits, le génie militaire a, en un temps record, installé deux ponts métalliques sur le Awali, afin de rétablir les liaisons routières avec le Sud. Une troisième voie de passage est créée longeant la côte. Quant à la reconstruction du pont, elle ne s’achèvera qu’à la fin de l’été.
La compagnie “Cellis” a, de son côté, annoncé le rétablissement, à 70%, de ses communications avec le Sud, estimant à 20 millions de dollars le coût de remplacement de son relais.
Autre fait remarquable à relever, l’élection de “Miss Europe”, prévue pour le 25 juin, a été maintenue et s’est déroulée comme prévu au “Beyrouth Hall” et retransmise par satellite par la LBCI. Le PDG de cette chaîne libanaise privée, Pierre Daher, devait annoncer au début de cette manifestation, suivie par des millions de téléspectateurs que les recettes de la soirée aideront à réparer les dégâts de l’agression.

PLACE À LA DIPLOMATIE
Dans les jours qui suivent les raids israéliens, le Liban est au centre d’une intense activité diplomatico-politique, alors que les condamnations émanent de partout.
Le ton est donné par le chef de l’Etat. Dans un message adressé à la nation, le général Emile Lahoud affirme: “Aux Libanais, d’abord, je dis qu’en luttant contre un ennemi qui occupe notre terre, viole notre ciel et nos eaux, sème la mort et la destruction en s’opposant à la paix et en ne tenant compte que de la logique de la force, nous avons pour nous la force du droit, l’arme de l’unité et le choix de la résistance.
“A nos amis de par le monde, je dis que nous sommes des demandeurs de paix, d’une paix juste, globale et véritable, non n’importe quelle paix.
“La paix est notre option stratégique, tout comme elle est l’option stratégique de la Syrie. Mais Israël continue à manœuvrer en cherchant à morceler la paix et à placer, de ce fait, la région tout entière sous la menace d’un volcan.”
Réuni en séance extraordinaire, le Conseil des ministres exprime son attachement aux arrangements d’avril 96 et décide de s’adresser à la Cour internationale de Justice de La Haye pour obtenir des indemnités. Par contre, il n’envisage pas de présenter une plainte au Conseil de Sécurité, partant du fait que le Liban dispose de la résolution 425 qui est parfaitement explicite. Cette dernière attitude est, toutefois, critiquée par certains analystes politiques, lesquels jugent que l’on aurait dû déposer une plainte contre l’Etat hébreu au Conseil de Sécurité.
 

Des voitures détruites sous 
le pont effondré de Saadiyate.

Quelques heures après les raids, on déblayait 
la sous-station.

L’INITIATIVE FRANÇAISE
A Paris, comme à Washington, les efforts et démarches diplomatiques visent à contrer toute escalade. Le Quai d’Orsay dépêche le directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, M. Yves Aubin de la Messuzières. Celui-ci se rend, d’abord, à Damas, où il est reçu par le président Assad avant de gagner Beyrouth où il s’entretient avec les présidents Emile Lahoud et Salim Hoss.
L’émissaire français exprime la nécessité de réactiver le comité de surveillance du cessez-le-feu issu de l’arrangement d’avril 96 “auquel, dit-il, nous sommes très attachés, comme le sont les autorités libanaises et les différentes instances concernées. Il nous faut trouver les moyens de sortir de cet engrenage et de cette logique de représailles de part et d’autre car c’est, peut-être, à travers ce  groupe de surveillance que nous pourrons éviter un nouvel engrenage et une nouvelle crise.”

RÉACTION ISRAÉLIENNE
L’émissaire français affirme, par ailleurs, que la réaction d’Israël contre le Liban était “déséquilibrée” et “disproportionnée”, ce qui amène aussitôt l’Etat hébreu à fermer la porte à l’initiative française.
Ariel Sharon, ministre sortant des A.E., refuse d’accueillir M. De la Messuzières, “pour protester contre la réaction française aux raids israéliens”, alors que le Premier ministre élu, Ehud Barak, avance comme argument qu’il ne veut pas s’occuper des affaires avant son entrée en fonctions, celles-ci devant être traitées par le gouvernement sortant.
Mais en dépit de la réaction d’Israël à l’initiative française, Paris, Beyrouth et Damas ont conjugué leurs efforts, afin d’assurer la tenue du comité de surveillance qui demeure jusqu’à l’heure “l’instrument essentiel et principal pour le règlement de ces types de conflits”, tel que le dit l’émissaire du Quai d’Orsay. Même son de cloche du côté de Damas. Farouk el-Chareh, chef de la diplomatie syrienne, appelle Israël “à respecter l’accord d’avril et à épargner les objectifs civils”.

KHARAZI À DAMAS
L’Iran manifeste, aussi, un vif intérêt pour la situation au Liban et Kamal Kharazi, son ministre des A.E., arrive à Damas pour une visite inopinée liée aux développements au Sud. M. Kharazi a eu un entretien téléphonique avec le Premier ministre Salim Hoss et annoncé que l’Iran est “prêt à aider le Liban pour la reconstruction des installations détruites”, qualifiant de “sauvages” les attaques d’Israël.
“Il est du devoir de tous les pays signataires des accords de 1996, affirme-t-il, d’exercer des pressions sur le régime sioniste, en vue de l’obliger à mettre fin à son agression contre le sol libanais.”
Par ailleurs, le tollé arabe et international contre les raids israéliens témoigne d’un courant évident de sympathie en faveur du Liban et de la nécessité de lui éviter de nouvelles agressions “barbares”.
Mais ces manifestations d’appui et de solidarité ne suffisent pas. La communauté internationale et, surtout, les capitales concernées par le conflit du Proche-Orient, devraient conjuguer leurs efforts pour amener les parties antagonistes à reprendre les négociations, en vue d’une paix juste et globale. N’est-il pas grand temps, à l’aube du troisième millénaire, de tirer un trait final sur une crise vieille d’un demi-siècle, dont le Liban aura été la principale victime et le bouc émissaire?

NELLY HÉLOU

COMMENTANT LES DERNIERS RAIDS ISRAÉLIENS 

KARAM:

 “LA PRESSE LIBANAISE  ET ARABE SOUTIENT 
 LE PRÉSIDENT, LE CABINET ET LA RÉSISTANCE”

Commentant la dernière agression israélienne contre le Liban, M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes, vice-président de l’Union des journalistes arabes, émet ces réflexions:

 “La férocité des frappes israéliennes n’était pas dirigée, uniquement, contre les infrastructures du Liban, ni contre ses institutions civiles. Il s’agissait, de la part d’Israël, d’une agression contre tout ce qui témoigne de la civilisation, dans un pays ayant contribué à l’éclosion des civilisations, de façon à garantir au Libanais le minimum des apparences de la vie civique digne de l’homme.
“L’agression dirigée contre Beyrouth et le Liban tout entier, est un maillon d’une chaîne de dures épreuves, à commencer par l’occupation de la terre, pour finir par la prise pour cibles des institutions au moyen du fer et du feu, en vue de les détruire. Comme si Israël, voulant se venger de la société proche-orientale et de la communauté internationale, a fait du Liban un moyen d’assouvir ses rancunes.
“Réprouver ces agressions ne suffit pas. C’est une riposte ordinaire à des attaques exceptionnelles quant à leur violence. Que faire?
“Oui, avec toutes les potentialités dont nous disposons, tant politiques que médiatiques, ajoutées à celles de la Résistance, nous continuerons à lutter contre l’occupation jusqu’à nous en défaire.
“Oui, avec notre droit, nous faisons face à l’occupant et utilisons tous les moyens à notre disposition pour défendre ce droit et, aussi, pour le faire prévaloir, en définitive.
“En passant en revue les agressions sauvages d’Israël, nous nous demandons: Si c’est cela le titre de la paix, que sera le titre de la guerre?
“Dans cette confrontation, nous saluons le président de la République, le général Emile Lahoud, à qui nous renouvelons notre soutien total pour toutes ses prises de position courageuses. Nous saluons, aussi, le gouvernement, l’armée et la Résistance, les journalistes libanais et arabes leur tendant la main pour sauvegarder la terre et la sécurité de l’homme et de la patrie.” 


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