tribune
BEAUCOUP DE QUESTIONS TROUBLANTES

Monsieur Ehud Barak était-il ou n’était-il pas au courant? A-t-il ou n’a-t-il pas été consulté? En tout cas, après l’agression de l’aviation israélienne de la nuit des 24-25 juin contre le Liban, M. Barak a gardé le silence, un silence assourdissant. Certes, il a fait dire (mais lui-même n’a rien dit) qu’il n’a pas été informé. M. Arens, l’ordonnateur de l’opération, l’a démenti.
M. Barak, visiblement, ne veut pas se mouiller. Il a beaucoup de difficultés à constituer un gouvernement largement représentatif. Mais, aussi visiblement, M. Arens et M. Netanyahu veulent l’embarrasser. Il est, en effet, dans la plus cruelle perplexité pour mettre d’accord, sur la composition de son Cabinet et sur sa politique, tant de groupuscules de droite et de gauche.
Il semble oublier qu’élu chef de gouvernement directement par le peuple à une écrasante majorité, c’est lui et non ces multiples groupuscules, qui est censé représenter les aspirations de son pays.
M. Barak serait-il timoré?
En tout cas, il commence bien mal son parcours pour parvenir à cette paix promise durant sa campagne électorale. Et c’est bien clairement pour saper cette paix que M. Arens et M. Netanyahu ont procédé à cette agression contre le Liban.
L’a-t-il compris ou se laisse-t-il berner par les analyses et les arguments de ses adversaires?

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Autre question que personne n’a encore soulevée: et la C.I.A. américaine?
Etait-elle ou n’était-elle pas renseignée sur ce que préparaient M. Netanyahu et M. Arens?
Après son échec aux élections, M. Netanyahu avait carrément accusé la C.I.A. d’avoir œuvré pour le succès de son adversaire, M. Barak. Si cela est vrai - et c’est, en tout cas, assez vraisemblable - ne doit-on pas supposer que cette célèbre agence de renseignement (qu’on désigne maintenant comme le véritable concepteur de la politique étrangère des Etats-Unis) devait être à l’affût de tout ce qui peut se concocter en Israël pour faire échec à M. Barak (son protégé, selon M. Netanyahu)?
Qu’elle ait ou non contribué au succès électoral de M. Barak, c’est de toute façon son métier de recueillir des renseignements.
Savait-elle ou ne savait-elle pas qu’une agression majeure se préparait contre le Liban? Et si elle l’a su (comme il se doit) avant son déclenchement, avait-elle ou n’avait-elle pas informé, sinon M. Barak lui-même, du moins la Maison-Blanche, comme elle en avait l’obligation? Ainsi, les Américains seraient impliqués, eux qui appellent constamment à “la retenue”, dans une opération qui a manqué singulièrement de retenue.
Il y a là un aspect de la situation qui devrait inciter à la plus grande vigilance tous les gouvernements concernés par la paix et la stabilité dans cette région du monde, notamment la France qui se partage avec les Etats-Unis, la présidence du comité de “l’entente d’avril”, ce comité dont M. Arens proclame qu’il faut se débarrasser.

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Tout le déroulement de la crise irakienne depuis 1990, tout ce qui se passe au Kosovo et dans les Balkans depuis plus de quatre ans, relève au départ du “renseignement”, du travail d’interprétation du “renseignement” et de la prévision politique qui doit en résulter. En Proche-Orient, particulièrement, pour le fameux “processus de paix” que M. Clinton se promet de mener à bonne fin d’ici un an (et M. Barak s’est engagé sur le même délai), ce travail de “renseignement” pour élaborer une politique conforme aux objectifs proclamés, est primordial.
Jusqu’ici, il faut bien le constater, la gestion de la crise irakienne et maintenant celle des Balkans, n’inspire guère beaucoup de confiance ni dans ce travail de “renseignement”, ni dans la politique qui en est issue. Voici maintenant le Liban pris dans la tourmente.
Que dit l’Amérique, maître du jeu? Mais en est-elle vraiment le maître? L’action agressive menée contre le Liban est une action de sape qui vise M. Barak avec lequel M. Clinton veut faire aboutir le “processus de paix”. N’est-ce pas, à ce compte, la politique américaine qui est visée?
On sait que pendant longtemps Washington a tablé sur Milosevic comme garant de la stabilité dans les Balkans. Maintenant, il est poursuivi comme criminel. La C.I.A. était-elle mal renseignée? Et Saddam Hussein qui fut si longtemps ménagé par tout l’Occident et aidé à s’armer puissamment? Aujourd’hui, M. Clinton finance ses ennemis pour le renverser.
Qui interprète le “renseignement” à la Maison-Blanche? Qui trace la politique internationale des Etats-Unis?

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Dans les trois cas que je viens d’évoquer, il y a un usage des armes américaines comme un dernier recours: en Irak, dans les Balkans, au Liban même (l’aviation et les missiles israéliens sont d’origine américaine, payés par l’Amérique).
L’intervention militaire traduit l’échec de la diplomatie et en prend le relais. C’est classique. Mais le recours aux armes, s’il échoue à son tour à atteindre l’objectif politique clairement fixé, que signifie-t-il sinon une vaine et cruelle réaction de colère et, finalement, d’impuissance?
Le cas de l’Irak est exemplaire; observons maintenant celui des Balkans où rien n’est encore joué.
En ce qui concerne le Liban et Israël, voici plus de vingt ans qu’on fait l’expérience de ce jeu absurde avec pour unique consolation ce conseil devenu routinier du porte-parole de la Maison-Blanche: “Un peu de retenue, s.v.p.!” En fait de retenue, n’est-ce pas l’Amérique surtout qui se retient d’assumer toutes ses responsabilités et de se conformer à la morale qu’elle prône?
Elle intervient militairement ou fournit généreusement les armes de l’intervention. Mais elle ne fournit pas une politique. 


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