ENTRETIEN AVEC PATRICK POIVRE D'ARVOR

PPDA : Présentateur Prédominant
De l’Audiovisuel ?

Par Saër KARAM – Paris


L’homme n’est plus à présenter : Patrick Poivre d’Arvor est une des figures les plus connues de France. Mais il n’est pas seulement un visage, il est l’info ; le catalyseur, la personne dans laquelle des millions de Français mettent leur confiance, afin qu’il leur présente la meilleure information possible. Conscient de la responsabilité qu’engendre une telle mission : à 52 ans, Patrick Poivre D’Arvor est aujourd’hui une institution… qui garde la tête froide ; sa réussite est autant due à sa persévérance qu’à son perfectionnisme. Le succès n’est pas arrivé tout seul, PPDA a dû faire des choix, qu’il assume pleinement. Il a roulé sa bosse et semble rôdé aux aléas du PAF (Paysage Audiovisuel Français), dans lequel il est présent depuis 19 années. Il fut le plus jeune présentateur du journal télévisé (JT) en 1976 sur Antenne 2. Il y restera 7 années, jusqu’en 1983, date à laquelle il quitte la deuxième chaîne. Pendant 4 ans, PPDA se diversifie : il anime l’émission “Tous en scène” (1984-1985) sur Canal +, goûte aux joies de la radio avec une chronique quotidienne sur R.M.C. (1986-1987) et enfin s’adonne à la presse écrite avec des éditoriaux pour le Journal du Dimanche (1983-1992) et Paris Match (1983-1986). Bien qu’à l’époque, il se satisfasse de cet exil, puisque délivré de la pression quotidienne, il ne tardera pas à retourner à son premier amour : la télé. 1986 : TF1 est privatisée, elle appartient désormais au Groupe Bouygues. 1987,  PPDA revient aux commandes ; il présente le journal le plus regardé du pays. Journaliste vedette, il bénéficie d’une aura propre à envoûter autant qu’à irriter. Cette (omni)présence cathodique le met inévitablement dans la mire des détracteurs. D’autant plus qu’il est sur la première chaîne, très critiquée, à tort ou à raison… Quand j’étais sur la 2, on était toujours divinisé, c’était formidable, tout ce qu’on faisait était bien et c’était les gens de la Une qui étaient désapprouvés, mais cela fait hélas! partie du jeu, un jeu très français… On s’y fait !  Controversé, haï, aimé, célébré, condamné – le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne laisse personne de marbre. Mais, n’est-ce pas là la rançon de la gloire ? L’élégance discrète et la séduction latente – est-ce cette même magie qui hypnotise les téléspectateurs ? – l’homme met tout de suite à l’aise par sa sympathie naturelle, sa décontraction et son humilité. Charismatique, courtois, sûr parfois, sceptique quand il le faut, déterminé et consciencieux, il mène sa carrière comme son JT, méticuleusement,  avec une précision qui a son importance : sa vie privée est… privée, justement !
La singularité dans le style : PPDA roule en scooter et n’est pas amateur de voitures. J’ai toujours été comme ça. J’ai d’abord eu un Solex; puis, un scooter, j’aime cette liberté-là. Notre homme fonctionne ainsi, par et pour son travail, il aime les missions dangereuses et a rencontré de nombreux chefs d’Etats tels Hafez el Assad ou Saddam Hussein. Il avance, malgré tout. Des doutes ? Il faut toujours être prêt à se remettre en question. Y a-t-il une vie après le 20 heures ? J’ai énormément de projets…
 

Le bureau de Patrick Poivre d’Arvor...

...rempli de photos avec des 
personnalités et autres célébrités, 
rencontrées au hasard des plateaux.

RENCONTRE
Comment travaille PPDA ? Bref descriptif d’une journée type…
Ça démarre chez moi par l’écoute des radios et la lecture de la presse. Je viens ensuite le matin vers 9h00 - 9h30 et je discute avec Geneviève Galey, rédactrice en chef ; puis nous avons une conférence de rédaction vers 11h00 avec l’ensemble des personnes qui conçoivent le journal, c’est là que je fais les choix définitifs de ce que seront les sujets de la journée. A 16h00, une nouvelle réunion où l’on cale, par rapport aux différents choix. A la fin de cette conférence, c’est-à-dire vers 17h00, on établit le “conducteur”, le squelette du journal et on donne ainsi une place et un temps à chaque sujet. A partir de là, chacun va au montage, je passe quelques coups de téléphone et je me mets à dicter assez tard…

Vous travaillez avec un prompteur ?
Je dicte pour avoir mes données sur papier et sur prompteur. Je n’utilise que rarement le prompteur : il est là, il me sert en cas de difficultés, mais j’essaie de rendre la chose quand même plus naturelle. Après le journal, une dernière conférence de rédaction, ce qu’on appelle “conférence critique” pour voir ce qui a fonctionné ou non et que l’on peut éventuellement reprendre lors du journal de la nuit.

A voir la presse française, en général, on note que la France a une vision un peu biaisée de l’info dans certaines zones géographiques. Le traitement du Liban est quelquefois approximatif et partisan. C’est toujours le Liban qui attaque, c’est toujours Israël qui se défend…
Non, il ne me semble pas, ça dépend vraiment des journalistes, il est possible que les Français soient peu informés sur cette région ; mais nous avons réalisé des reportages sur le Liban, ce qui nous a valu des critiques du genre : c’est parce que Bouygues a des intérêts dans le pays… On refera à nouveau des dossiers. J’ai moi-même été au Liban à plusieurs reprises et j’ai trouvé qu’il y avait encore une qualité et une volonté de vie qui étaient très impressionnantes. C’est hélas! le penchant naturel des journalistes : on ne parle d’un lieu que quand ça va mal…

PPDA est parfois “agressé” en France, est-il victime de son succès ?
Je pense que si j’étais sur une chaîne, disons mineure et si je n’avais pas cette place-là, oui certainement, j’aurai beaucoup moins de critiques… c’est habituel et il me semble que c’est valable pour d’autres activités.

C’est le fait que vous soyez exposé…
Oui, la durée d’abord, la place encore une fois et puis la chaîne. La chaîne a toujours focalisé beaucoup à la fois d’attention, de passion, d’irrationalité…
 


Un espace tendrement orné 
du souvenir de sa fille Solenn.

Au centre de la bibliothèque : 
dix écrans et deux magnétoscopes 
sont opérationnels en permanence, 
pour rester au courant de l’actualité.

De haine ?
Ah! oui, oui, quand je dis irrationalité, je pense à des haines irrationnelles comme à des amours irrationnelles. Il y a un phénomène d’attirance, de fascination/répulsion que je comprends, même si je le trouve parfaitement injuste.

Vous êtes à la télé depuis 19 ans contre vents et marées, ces médisances finissent-elles par vous affecter ?
Très franchement, j’ai connu des douleurs infiniment supérieures à ces petites piqûres d’insectes, donc je relativise et j’étalonne les vraies agressions de la vie. Quant aux agressions du milieu, je sais que pour certaines, elles sont dues à l’envie, à la jalousie ; pour d’autres, elles sont en parties justifiées, je ne sais pas, c’est toujours très difficile de savoir ce qu’il y a dans la tête des gens ; mais je sais que ce n’est pas la réaction des téléspectateurs, ça ne l’a jamais été. Je considère que mon travail s’adresse davantage aux téléspectateurs qu’au milieu.

Concernant votre réussite personnelle, est-elle due au fait que vous êtes plus qu’un présentateur : un journaliste et le rédacteur en chef de votre journal ?
Oui, sans doute. D’ailleurs il est vrai que lorsque j’étais sur la 2, je ne me trouvais pas dans cette situation ; aujourd’hui, je suis le patron du journal et donc je focalise les critiques, ce qui est normal mais aussi les compliments. J’aime l’idée d’assumer, je déteste les gens qui se défilent, j’ai de larges épaules, je suis là au contraire pour protéger mon équipe et mes collaborateurs et c’est normal que je serve de paratonnerre.

Comment percevez-vous le métier de journaliste ? Est-il voué à devenir un journalisme de bureau faisant des analyses détachées ? Est-ce la fin des investigations ? De la présence sur le terrain ?
Non, au contraire, j’ai l’impression que les analyses, les éditoriaux, tout cela est  petit à petit en train de disparaître. Nous avions, à l’époque, des éditorialistes qui venaient parler... Progressivement on a abandonné cela, car dans notre métier de “mass media” c’est-à-dire de journalisme pour le plus grand nombre, c’est difficile de voir arriver un personnage X, aussi doué soit-il, affirmer que monsieur Y doit partir ou que monsieur Z est mauvais… On est là plutôt pour donner des éléments, tous les éléments, afin d’être le plus larges et le plus indépendants possible, de sorte que le téléspectateur puisse se faire ensuite son propre jugement. C’est notre orientation et je vois bien que progressivement, sur d’autres chaînes ça le devient également. Il reste en effet pour l’humeur, essentiellement, les hebdomadaires, mais même les quotidiens, se débarrassent un peu de cela ou séparent bien le fait du commentaire.


  Photos : © La Revue du Liban

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Patrick Poivre D’Arvor à Saër Karam : 
“La vie privée doit être mise à l’écart de 
ce que l’on croit être le droit de savoir”.


J’insiste sur ce point : Internet propose l’info sur mesure, plus besoin de se déplacer pour les journalistes et une opportunité de s’informer à la source pour les citoyens, est-ce un leurre ? Ne faut-il pas faire la différence entre communication (institutionnelle) et information ?
D’abord, je pense que le jour où les journalistes n’auront plus besoin de se déplacer, il faudra que l’on mette la clé sous la porte et ce n’est pas satisfaisant. Comment dire, c’est bien qu’Internet existe, que CNN existe – nous avons également notre chaîne infos qui est LCI – mais ça ne suffit pas ! Il faut que l’on ait notre propre point de vue, si on se contentait de bêler à la remorque des Etats-Unis dès que l’on a une information à la CNN, ce serait grave et ça l’aurait encore plus été par exemple pour le conflit du Kosovo, ou le Proche-Orient. On a une sensibilité et nous devons exercer ce regard-là ; il est capital que l’on continue à avoir nos propres journalistes. Quant à Internet, il y a du bon, incontestablement, on y apprend beaucoup de choses mais il faut se méfier de certaines ; à nous de vérifier, mais il est sûr que l’on va vers une information offerte presque en temps réel au monde entier.

Maîtrise-t-on cette vitesse ?
Il faut faire très attention, c’est ma grande inquiétude puisqu’on peut à tout moment, de n’importe quel endroit diffuser une image, un commentaire… C’est donc pour cela que la responsabilisation doit être de plus en plus grande et j’insiste là-dessus auprès de mes collaborateurs, sans quoi on se fait duper et on a un peu tendance à penser que l’on maîtrise la technique, si bien que l’on envoie les informations à la dernière minute.

Que pensez-vous de la presse écrite en France ?
Je pense que pendant longtemps, la presse écrite en France ne s’est pas suffisamment intéressée à ses lecteurs, ce qui m’a surpris. Elle s’est intéressée beaucoup à elle-même et à l’opinion que les autres avaient d’elle-même. La radio et la télévision ont ouvert la brèche. Il y a eu ensuite toute une série de journaux comme “Le Parisien” qui a commencé à faire un travail différent et a bousculé les habitudes. Cela dit, il existe des journaux de très grande qualité en France avec des sensibilités politiques différentes : “Le Monde” comme “Le Figaro” sont des quotidiens de stature internationale.

Vous demeurez fidèle à TF1. Pas d’autres propositions en vue ?
Les propositions ne manquent pas, mais pour l’instant je les ai toujours déclinées parce que je suis effectivement fidèle. Quand j’ai eu à choisir en 1987 entre trois propositions équivalentes : sur la 2, la Une et la Cinq, j’ai choisi TF1 parce que j’y étais depuis déjà un an et que j’y étais heureux. Je ne regrette pas ce choix.

TF1 c’est du solide, un grand groupe, des productions, des produits dérivés, de la musique, du Net, est-ce la seule solution pour survivre aujourd’hui, se développer, devenir une multinationale, un ogre à l’américaine ?
Ogre, je ne pense pas qu’on en soit encore là. On est loin, et très loin de ce que sont les Américains, loin de la force de frappe des grands groupes, qui sont présents un peu partout. On reste encore à des dimensions modestes et je pense même que l’on a besoin de développement.

Est-ce par peur d’une éventuelle cannibalisation que la politique Internet de TF1 a radicalement changé, ou par une prise de conscience de l’intérêt d’un tel support ?
Une prise de conscience. Tous les gens qui travaillaient sur cette chaîne sont d’une certaine génération qui aimait avoir les dépêches en papier au lieu de l’écran. Et c’est bien que des personnes comme Patrick Le Lay, Etienne Mougeotte ou Anne Sinclair se soient mis dans cette direction-là. Il ne faut surtout pas refuser le progrès,  d’ailleurs je vais à la rentrée introduire une émission où il y aura du livre et du multimédia, car je considère que ça fait partie intégrante de la culture.

En fin de compte Internet et cette mondialisation de l’info et de la “culture” n’a-t-elle pas pour but ou pour conséquence d’uniformiser la pensée de par le monde ? Le profil du citoyen mondial est-il inévitable et sera-t-on tous calqués sur un même moule ?
Je ne crois pas, il serait intéressant que vous ayez des Africains qui puissent sur Internet répondre à des Québecois ou des Libanais qui dialoguent avec des Israéliens. On est beaucoup plus ouverts qu’on l’était naguère au monde, c’est indéniable, mais il y aura toujours des spécificités ; à la fois une passion pour Michael Jordan et pour Zinedine Zidane, la double culture est là. Il y a la culture diffusée et offerte à tous, et puis il y a la culture qui vient des racines, de l’environnement familial, les gens ont toujours besoin de leurs deux pieds.

Vous êtes l’auteur de nombreux livres, dont certains sont autobiographiques. L’écriture est-elle pour vous une sorte d’exutoire ou d’exorcisme ?
Il y a une partie exutoire incontestable, de choses compliquées que l’on ne peut résumer ; quand on écrit “roman” sur une couverture cela signifie quelque chose. Si l’on décide que c’est un récit ou une autobiographie on le dit, on annonce la couleur, tandis qu’un roman, on utilise à la fois un peu de soi, de choses vécues, ressenties, écoutées d’expériences multiples. Ce sont des choses qui s’expulsent de soi-même et aussi qui nous sortent de notre métier de journalistes où l’information quotidienne a tendance à montrer les aspects les plus noirs de l’âme humaine et des peuples. Heureusement, la vie ce n’est pas que cela, sinon elle serait difficilement supportable ; j’aime cette dimension de rêve qu’apporte l’écriture.

Quelle est votre opinion sur les “Guignols”, ce contre-pouvoir n’est-il pas devenu lui-même une menace puisqu’en situation de monopole et de manipulateur des pensées de par son institutionnalisation ?
Je connais la vérité des chiffres, je sais ce qui se passe à 20h00, par exemple ; je sais qu’il y a 10 millions de gens qui regardent le journal de TF1. 6 millions qui regardent celui de la 2, 4 millions qui regardent le jeu de la 3, autant qui regardent la série de la 6 ; puis, deux ou trois millions de gens qui regardent les “Guignols”. Quand les gens ont la possibilité de choisir, je sais ce qu’ils regardent. Il faut toujours relativiser l’ampleur des phénomènes ; comme autrefois le “Bébète Show” sur TF1, qui avait une force d’influence énorme, les “Guignols” plaisent beaucoup aux jeunes et surfent sur l’air du temps…

C’est l’esprit Canal +…
Voilà ! Mais l’esprit Canal + a eu des hauts et des bas,  j’en sais quelque chose, j’y ai travaillé les six premiers mois et ce n’était pas une période si flambante à ce moment-là. Canal + a connu des étapes comme actuellement où il y a une remise en cause du pouvoir des “Guignols”. J’ai entendu l’autre jour, pour la première fois, les “Guignols” sifflés par leur propre public.

Pour tout ce qui touche à sa vie privée, PPDA montre un autre visage : celui d’un homme prêt à tout pour se protéger, coléreux si nécessaire… vous ne raffolez pas des Paparazzi.
J’ai déchiré la carte de presse d’un paparazzi et je pense que cet homme-là n’aurait jamais dû en posséder une. Il a d’ailleurs été condamné pour ses actes. Non, je n’aime pas les paparazzi ; j’aime beaucoup par contre les photographes, c’est un très beau métier ; il y a des gens qui ont risqué leur vie notamment au Liban et il y en a d’autres qui en revanche pour un journalisme de carnet de chèques sont prêts à faire n’importe quoi et à détruire des familles entières. Je n’ai aucun respect pour cette façon d’aborder le métier !

La vision d’une télé-Bible détentrice de toute vérité (en apparence) n’est-elle pas dangereuse pour qui ne puise ses connaissances que dans ce média ?
La télé ne peut être la Bible. La télévision est une lecture ; elle doit être forcément accompagnée d’autres lectures et notamment de quotidiens, hebdomadaires et radios… Il faut qu’il y ait une ouverture du champ.

Parlons de la “Télé-trash” et des dérives de la télé poubelle. On critique beaucoup la télévision américaine et tout ce qui gravite autour (mœurs, drogues…) en se rassurant que cela est lointain, mais les émissions tendant à s’uniformiser dans tous les pays du monde ; des pratiques en vigueur aux Etats-Unis ou en Grande- Bretagne relatives à la délation… ou aux châtiments et autres dénonciations  publiques, sont-elles susceptibles d’être vues un jour en France ?
Je ne crois franchement pas, je peux vous donner 25 exemples où à chaque fois, ma position et celle de la rédaction a été de refuser – notamment dans les affaires dites privées – d’en parler tout simplement et plus encore de les montrer. Lorsque Monica Lewinsky est venue en France proposer ses services parce qu’elle vendait un livre, j’ai dit non. Alors certains ont déclaré que cela aurait été formidable et qu’ils avaient envie de la voir…
Là je considérais que c’était tout bonnement du voyeurisme et que ça n’apportait rien du tout. C’était de la promotion pour son livre, tant mieux pour elle, mais je n’avais pas à rentrer dans ce système et je ne me voyais pas lui posant des questions intimes qui m’auraient gênées moi-même. Ce que l’on appelle la Trash TV, peut très bien être évitée en faisant attention, d’ailleurs, les grands journaux d’informations des chaînes américaines ne sont pas en cause, eux essaient de faire bien la limite ; en revanche, il existe certaines émissions qui ont entre-temps disparu…

Quelle est la limite pour assouvir l’Audimat ?
Nous avons envie comme tout autre média d’être vus par le plus grand nombre, mais pas dans n’importe quelles conditions et ces limites, nous les possédons à l’intérieur de nous-mêmes. L’addition du nombre (quelque 200 journalistes à TF1) forme un corps social avec des anticorps qui font que jamais on ne franchira une certaine barrière. Il y a une certaine dignité qui est reconnue par tous à la télévision française où l’on trouve des bêtises, des bavures mais rien du côté de l’information qui ressemble à de la Trash TV, jamais.

Vous avez refusé de voir Monica Lewinsky, qui seriez-vous susceptible de refuser également ?
Cela ne me pose aucun problème de faire des interviews d’hommes politiques y compris les plus contestés, puisqu’on apporte un élément d’information, ne serait-ce que de les voir ; mais s’il s’agit simplement d’interviewer l’ex-petite amie de je ne sais qui, cela ne m’intéresse pas, je n’en ai pas envie.

Vous répétez toujours que votre but est de faire le meilleur journal possible, en êtes vous convaincu ? Quels sont ces critères… ?
Le mien et celui de mes collaborateurs. Je n’en suis jamais convaincu (rires…), parce qu’il m’arrive de dire : tiens sur tel journal on n’a pas été bons, c’était insuffisant… Il ne faut pas avoir d’égocentrisme et lorsqu’on fait des erreurs ou qu’il y a un manque, il faut les rattraper.

La “starisation” du journaliste n’est elle pas à double tranchant ? On note une certaine érosion du JT lors de vos absences. Cela signifie-t-il que l’on fait plus confiance à l’homme qu’à la chaîne ?
D’abord, cette érosion est très limitée. Je n’aime pas le mot starisation ; il y a en effet une personnalisation évidente, il me semble que ce n’est pas tout à fait absurde puisque les gens aiment retrouver tous les soirs la même personne, un visage connu, de la même manière que l’on a envie de retrouver un voisin, un collègue ou son boulanger, mais en même temps, c’est à nous de contrôler les excès de la starisation. C’est pour cela que je me bats contre les dérives de la presse people, je suis journaliste, je ne suis pas acteur de cinéma.

Un sondage récemment paru dans un hebdomadaire révélait que 5% des Françaises aimeraient avoir une aventure avec vous. Vous avez été le plus jeune présentateur du 20h00. Vous êtes une idole pour tout apprenti journaliste. Des millions de téléspectateurs vous adulent et vous regardent. Comment gérez-vous cette notoriété ?
Il faut avoir un peu d’humour. 5% des Françaises, ça doit faire deux millions de personnes, une vie n’y suffirait pas, donc amusons-nous… Tout cela, c’est du sable, c’est du vent, ça part quand vous partez, il ne faut pas y accorder trop d’importance.

Au vu des résultats des élections européennes, quelles seront, selon vous les retombées de la victoire de la droite partout à l’exception de la France ?
La droite en France semble mettre beaucoup de temps pour digérer sa défaite de 1997. A chaque fois on pense qu’elle a atteint son niveau d’implosion maximum et il y a toujours une petite explosion supplémentaire. Apparemment les rivalités des hommes semblent plus difficiles à combattre que dans d’autres pays et en même temps, ce qui me frappe aussi c’est de voir qu’il y a toujours autant cette même ligne de séparation qui existe à peu près à 50 droite, 50 gauche, c’est impressionnant de voir que sur cinquante ans, depuis l’après-guerre, ça n’a pas beaucoup bougé. Tout est toujours possible en politique.

Le “Blairisme” est-il dépassé après la défaite subie récemment ?
C’est l’écume des choses. Il y a, immanquablement, au delà du phénomène politique, un phénomène humain : un renouvellement des générations, un regard différent avec ses spécificités.  La gauche a obtenu de bons résultats en France alors qu’on la disait pas aussi moderne que celle de Blair et Schroëder ; donc là aussi il faut se méfier des modes.

L’Euro a-t-il un avenir contre le dollar ?
Pas contre, mais à côté, oui.

Estimez-vous que le public a le droit de tout savoir ; sur quels critères est choisie telle info et pas une autre ?
La vie privée – je le répète – doit être mise à l’écart de ce que l’on croit être le droit de savoir.

Récemment on a évoqué les nombreux “bidonnages” pratiqués dans la presse et à la télévision. Comment respecter l’éthique, quelles sont les frontières à ne pas franchir.
Les frontières sont là aussi, tout comme ce qui concerne les fautes de goût. Dans une rédaction, il y a toujours des garde-fous qui empêchent de dériver. Et quand on regarde bien, malgré l’immense volume d’images diffusé, il y a extrêmement peu de petites bavures.

On a beaucoup parlé et surtout depuis la privatisation de TF1 en 1986 du lien étroit entre le Pouvoir et l’Info. Estimez-vous être suffisamment libre ? N’avez-vous jamais subi de pressions ?
Des tentatives de pressions souvent, mais est-ce qu’on appelle une pression quelqu’un qui souhaiterait venir dans le journal ce soir ? Ce qui serait grave, c’est si j’étais obligé d’accéder à cette requête parce qu’il y a une obligation ou que je sentais que mon patron ou le gouvernement me le demande. Mais ce n’est pas le cas: la situation est satisfaisante.

On parle de décrédibilisation du journalisme (et du rôle prédominant de la télévision dans cette cause). Le public ne fait plus confiance aux journalistes… Ces derniers sont–ils aussi responsables qu’ils le devraient ? La profession ne doit-elle pas re-mériter ses droits ?
C’est sûr que les sondages sont là pour nous dire que la crédibilité des journalistes est souvent remise en cause par les gens. On se demande pourquoi donc ? On a le sentiment et c’est un fait, nous sommes infiniment plus libres que du temps où il n’y avait que trois chaînes qui étaient contrôlées par le gouvernement. On a donc tendance à se dire : quel formidable progrès dans l’indépendance ce qui arrive progressivement chez les chaînes publiques. On n’imaginerait pas une chaîne publique aux ordres comme ce fut le cas à une époque. Donc, malgré cela on note une remise en question dans l’esprit des gens. A nous d’essayer de mériter leur confiance, mais je vois bien que cela s’inscrit dans un phénomène beaucoup plus général qui est une remise en cause des "élites". Cela a commencé par la politique, puis cela a été valable pour les hommes d’affaires, les avocats, les médecins – ce qui était inimaginable : remettre en cause le diagnostic d’un médecin, qu’on l’attaque en justice ; tout cela existe aujourd’hui. C’est valable pour les hommes d’église, c’est valable hélas! pour tout le monde. C’est une remise en question de tous les “oracles”. Il faut essayer de corriger, on n’a jamais raison contre le public ; il faut accepter ce diagnostic. 


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