Bloc - Notes

ParALINE LAHOUD 

DES CERVEAUX, POURQUOI FAIRE?

Notre Premier ministre est ce que l’on fait de mieux dans le domaine de la gentillesse et de l’honnêteté. C’est ce que les Saintes Ecritures appellent un homme de bonne volonté. Ainsi, ne voit-il de malice nulle part. Et quand on lui jette à la figure - plusieurs députés l’ont fait au cours des séances parlementaires consacrées au budget - que le Liban court un grave danger du fait de la fuite des cerveaux, le bon docteur Hoss manque tomber à la renverse.
Après tout, n’est-ce pas une preuve de super-évolution et de vitalité que nous ayons tellement de cerveaux à exporter, alors que d’autres exportent des sous-vêtements, des chaussures et des tuyaux pour l’écoulement des eaux usées? Malheureusement, notre handicap n’est pas dans ceux que nous exportons, mais dans ceux inexportables qui nous restent sur les bras.
Et à propos de ce genre de stock invendu, une dame de mes amies a voulu récemment envoyer comme cadeau, à des amis résidant à Londres et qui aimaient la couleur locale libanaise, un certain nombre de poteries, de celles que les marchands ambulants vendent tout au long des routes du pays: pots à fleurs, jarres, cruches, jattes, etc... Trois semaines plus tard, elle découvre que ces poteries sont toujours à l’AIB, consignées sous bonne garde. Explication: elles sont saisies, en attendant l’arrivée des experts archéologues pour savoir si “ces objets de valeur” n’étaient pas des vestiges phéniciens. Des vestiges phéniciens! On a peine à croire ses oreilles. Ahiram a dû en faire des gorges chaudes dans son sarcophage.
Et d’ailleurs, nous, au Liban, nous ne sommes pas fanatiques au sujet des cerveaux. Les cerveaux, on s’en fiche! Il n’y a rien de plus encombrant, de plus prétentieux, de plus casse-pieds qu’un cerveau. Pour tout dire, dans le Liban qu’on nous a fait, n’importe quel savant se serait couvert de ridicule.
Prenez Archimède, par exemple. Que d’embarras ce monsieur n’a-t-il pas fait avec son théorème! Il a fallu qu’il remplisse une baignoire d’eau et risque la noyade, pour prouver que “tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée de bas en haut”, etc... Que de chichis! Surtout quand on sait que le Liban a, lui, résolu le problème d’une façon drastique en supprimant l’eau, tout simplement. Et qu’Archimède et son théorème aillent se rhabiller.
Et Lavoisier donc. Ça valait bien la peine de brûler ses meubles et de se faire guillotiner pour découvrir que “rien ne se perd et rien ne se crée”, alors que deux siècles plus tard, l’administration libanaise parvenait à établir, elle, que si rien ne se crée, tout par contre se perd.
Pour en revenir à la fuite des cerveaux, le désarroi du président Hoss était attendrissant. Pourquoi nos cerveaux fuiraient-ils?”, avait-il l’air de dire. Parce que, monsieur le Premier ministre, il n’y a tout simplement pas de débouchés pour eux au Liban, pas d’emplois, pas de perspectives d’avenir. Et ce n’est pas le genre de budget, mis péniblement sur pied par M. Corm, qui va arrêter l’hémorragie...
En fait, la loi de finances soumise au parlement ne semble vouloir tenir compte que du déficit budgétaire, uniquement. Que les classes moyenne et pauvre crèvent sous le harnais, que le contribuable moyen paie 20% d’impôts, alors que les banques ne paient que 15%, que les pauvres deviennent plus pauvres et que la classe moyenne disparaisse du tableau, tout est bon, pourvu que le gouvernement réussisse la gageure de maintenir le déficit sous la barre des 50%. Comme si ledit budget était le nouveau veau d’or à qui tout devait être sacrifié et devant lequel nous devions tous nous prosterner pour faire vœu de pauvreté et promettre, comme le disait Tristan Bernard, de ne plus “manger que de la vache enragée et encore pas tous les jours”.
N’y aurait-il pas un autre moyen pour augmenter les revenus de l’Etat que de nous réduire à la famine? Il paraît que le vice-président du Conseil aurait, lui, un plan détaillé de privatisations diverses, notamment dans le domaine de l’électricité et des télécommunications, qui rapporterait au Trésor dix milliards de dollars en cinq ans. Pourquoi, dans ce cas, ne pas le prendre au mot? Surtout que lorsque M. Murr parle d’argent, il sait, lui, comment en faire.
Que dire de plus? Dire que le fait de faire de nous un peuple d’indigents ne colmatera pas les brèches énormes d’un budget-passoire; que nous passer à la casserole ne remplira pas les caisses sans fond de l’Etat, que contraindre le meilleur de notre jeunesse à l’exil et acculer nos cerveaux à l’émigration n’acquittera pas la dette de vingt milliads de dollars qui hypothèque le pays et le paralyse, ne détournera pas notre gouvernement de son obsession de damer le pion à Hariri.
Guérir une idée fixe par une argumentation logique est tout à fait inutile, tous les psychiatres vous le diront; l’adage populaire, aussi, qui précise: “Pour une hémiplégie pas de thérapie.” (1)

(1) En libanais:


Home
Home