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Leader
du Parti national libéral et président de la municipalité
de Deir el-Kamar, M. Dory Chamoun se distingue par une position qui lui
est propre: “ni loyaliste ni opposant”, comme il le précise, il
soutient le “Cabinet des 16”, disant qu’il est formé d’excellents
éléments, mais les critique en même temps, “parce qu’ils
manquent d’expérience politique”.
Se prononçant en faveur d’une loi électorale équilibrée, permettant d’assurer une meilleure représentation nationale, il ne pourra pas poser sa candidature aux législatives de l’an 2000 parce que la loi le lui interdit car il devrait résigner ses charges de président du Conseil municipal deux années avant la date du scrutin. |
Où vous placez-vous entre le loyalisme et l’opposition?
Il existe, en fait, deux oppositions: il y a celle qui est formée
d’éléments opérant au sein du système et ayant
admis le “fait accompli”, se considérant comme réaliste
et œuvrant en faveur de la patrie, mais je sais au service de qui elle
agit.
Ce sont les “opposants” reconnus, alors que notre opposition ne l’est
pas. Nous sommes marginalisés et considérés comme
des citoyens de second rang n’ayant donc pas droit de prendre part à
la vie politique.
Ainsi, après l’élection du nouveau chef de l’Etat, j’ai
rendu visite au président Lahoud pour lui faire part de la disposition
du Parti national libéral à soutenir le régime. Il
est apparu, par la suite, malheureusement, qu’il est interdit de traiter
avec nous, preuve en est que les “organismes” connus ont imposé
le black-out sur ma visite au palais de Baabda. Manière de nous
signifier que nous n’avons pas le droit de paraître dans les médias,
ni même de soutenir le régime...
Ceci n’affecte nullement notre action politique, ni notre conduite
qui ne dévie pas de la ligne tracée par le parti. En ce sens
que nous critiquons lorsqu’il faut critiquer et appuyons toute initiative
que nous jugeons valable.
Je tiens à préciser que nous (libéraux), ne sommes
ni loyalistes, ni opposants, nos prises de position étant dictées
par nos principes nationaux. Nous sommes contre tout ce qui porte atteinte
à la souveraineté du Liban, à son indépendance
et à sa sécurité; en faveur d’une politique financière
saine et sage; d’une magistrature probe, indépendante; enfin, d’un
Liban libre capable de recouvrer son rôle de pionnier au double plan
intérieur et extérieur.
Considérez-vous le président Lahoud comme un homme
d’Etat fort?
Que voulez-vous dire par le terme fort? Selon la Constitution issue
de l’accord de Taëf, le président de la République ne
dispose pas de beaucoup de prérogatives et ses limites sont connues.
S’il veut dépasser la Constitution et c’est ce que je souhaite,
il peut s’imposer sur le plan politique.
Mon opposition à l’accord de Taëf provient de ce
qu’il a favorisé l’institution de la “troïka”, qui a été
une honte pour le Liban. Le président de la République peut-il
dépasser les limites définies par la Constitution? Ici, nous
évoluons dans un cercle vicieux.
Des plaintes sont formulées par les médias, suite à
des pressions exercées sur ceux qui y travaillent, fixant les limites
de leur action médiatique. Ici je demande: Quelle en est la cause?
Un contrôle est-il exercé sur les vérités relatives
au Sud et ailleurs qu’au Sud?
Si des pressions sont réellement exercées sur les médias,
je les considère comme une grande erreur, parce qu’elles ne doivent
pas se manifester dans le pays de la démocratie et de la liberté
où le citoyen a le droit d’être informé sur tout ce
qui s’y passe. Où allons-nous donc dans le domaine de l’information,
celle-ci ayant un grand rôle à jouer?
Que diriez-vous du président Lahoud comparé à
ses prédécesseurs?
Si vous pensez au président Hraoui, je vous répondrai
qu’on ne peut faire aucune comparaison entre les deux hommes, chacun ayant
une personnalité différente de l’autre, ainsi que des qualités
et des défauts.
Croyez-vous que la “troïka” est toujours en vigueur?
Non, elle a été éliminée et le grand mérite
de sa disparition revient au président Salim Hoss qui avait conscience
du fait que la “troïka” était une anomalie. L’actuel chef du
gouvernement est avec les institutions et la loi qu’il respecte, alors
que son prédécesseur, Rafic Hariri n’en tenait pas compte.
Au contraire, ce dernier était le plus ardent partisan et défenseur
de la “troïka”, parce qu’elle lui a permis de se partager les biens
de l’Etat.
Vous paraissez plus dynamique sous ce régime que sous le précédent....
Ce n’est pas vrai du tout. Sous le précédent régime,
j’ai participé aux élections municipales à Deir
el-Kamar. Quant aux législatives, elles ont besoin d’une loi juste
et équitable. Mais je ne poserai pas ma candidature, car la loi
exige d’un président de municipalité de présenter
sa démission deux années avant le scrutin.
Dans ce cas, soutiendrez-vous un candidat déterminé
en l’an 2000?
Ceci est prématuré. Je me dois, d’abord, de prendre connaissance
de la nouvelle loi électorale, comme du découpage administratif
et des circonscriptions. Surtout s’ils veulent amener à la Chambre
des députés d’une couleur déterminée ne représentant
pas le peuple, comme c’est le cas de la présente législature.
Qu’auriez-vous à dire du “Cabinet des 16” et de sa gestion
politique?
Le gouvernement comprend d’excellents ministres, mais leur grand problème
réside dans leur manque d’expérience politique et le Conseil
des ministres pris dans son ensemble ne semble pas à la hauteur
dans ce domaine; aussi, je ne lui donne que 5 sur 10. Etant entendu que
la situation actuelle exige des responsables compétents jouissant
d’un niveau politique élevé.
Quelle est votre opinion sur le président Salim Hoss?
Une vieille amitié me lie au président du Conseil: c’est
un homme respectueux de la loi et des institutions, connu pour sa probité.
Cependant, politiquement, nous ne sommes pas toujours d’accord.
A quoi attribuez-vous le marasme économique?
C’est la conséquence de la mauvaise gestion de gouvernants ayant
accédé au pouvoir et assumé les responsabilités,
sans bénéficier du soutien du peuple libanais. Ils ont commis
bien des abus impardonnables et procédé à des nominations
au niveau du pouvoir et des gouvernements sous le précédent
régime et, également, au niveau de la Chambre des députés.
L’actuelle législature a été élue sous
le régime précédent...
C’est exact, mais qu’est-ce qui empêche le régime actuel
de dissoudre le parlement? J’ai déjà réclamé
la dissolution de l’Assemblée au moment où j’ai posé,
symboliquement, ma candidature aux élections présidentielles.
J’avais pris l’engagement, si j’étais élu, d’élaborer
une nouvelle loi électorale et de procéder à des élections
législatives en vue d’avoir une Chambre représentant le peuple
libanais, dont les droits ne peuvent ni ne doivent être bafoués
pendant longtemps.
Le nouveau régime était supposé confier à
un Cabinet restreint le soin de mettre au point une nouvelle loi électorale,
tout en gérant les affaires de l’Etat, en prévision d’élections
législatives au début de l’été, après
la dissolution du parlement. Il aurait prouvé réellement
qu’il est pour le changement, tout en montrant à l’opinion mondiale
que le Liban a commencé, pratiquement, à recouvrer sa vitalité
et instauré un véritable système démocratique,
après la mise en place d’une Assemblée réellement
représentative du peuple libanais.
Revenons à la situation économique: quels moyens préconisez-vous
pour remédier au marasme?
Maints facteurs sont à l’origine de la situation actuelle: d’abord,
le gaspillage des fonds publics sous le précédent régime
qui a vidé les caisses de l’Etat. Ensuite, la politique fiscale
adoptée jusqu’ici, que le nouveau régime s’emploie à
rectifier, aux fins d’assurer des rentrées substantielles au Trésor.
Il ne faut pas perdre de vue non plus la politique douanière stérile
élaborée par les gouvernements successifs de Rafic Hariri,
une politique fantaisiste et discrétionnaire.
A cela, s’ajoute la corruption qui sévissait dans l’administration
étatique. Le redressement économique ne peut s’opérer
sans l’assainissement des services administratifs pour mettre fin, une
fois pour toutes, au gaspillage.
Il faut, aussi, réduire le nombre des fonctionnaires, en particulier
ceux parmi eux qui ne sont pas productifs et embaucher de nouveaux éléments
d’un haut niveau en majorant leurs mensualités. L’Etat des institutions
contribuera à remettre de l’ordre dans les services officiels.
Nous ne pouvons pas, aussi, ignorer la situation au Liban-Sud dont
le moins qu’on puisse dire, est qu’elle est déplorable: au lieu
de prospérer, il se détruit sur la tête de ses habitants
et ne cesse d’affaiblir le corps de la nation tout entière.
C’est pourquoi, j’appelle à une action destinée à
calmer le Sud, au lieu de continuer à l’embraser par les déclarations
incendiaires.
Et qu’auriez-vous à dire des poursuites engagées contre
les personnes coupables d’abus?
Malheureusement, les poursuites sont limitées aux petits “poissons”,
alors que les “requins” ne sont pas inquiétés.
Pourtant, d’anciens ministres, des députés et de hauts
fonctionnaires font l’objet de poursuites judiciaires...
Oui, mais d’une manière timide. Il faut réclamer des
comptes aux hauts responsables.
Pourriez-vous citer des noms?
Je ne voudrais pas le faire, mais ils sont connus de tous les citoyens.
Pourquoi ne les poursuit-on pas?
Que pensez-vous des accusations portées par “Cobra” contre
l’ex-ministre Elie Hobeika dont il était, autrefois, l’homme de
confiance, le présentant comme étant l’auteur de l’assassinat
de votre frère Dany et des membres de sa famille?
Je voudrais savoir, d’abord, qui est “Cobra” et quelle est la valeur
de ses accusations.
C’était un homme au service de Hobeika dont il s’est séparé
à la suite d’une mésentente sur on ne sait quel sujet. Ses
accusations ne peuvent être retenues après le prononcé
de son verdict par la Cour de justice.
Comment souhaitez-vous la forme du futur Cabinet?
J’ai lu dans la presse que le président Hoss préconise
la formation d’un Cabinet neutre pour superviser les législatives
de l’an 2000. Je m’empresse de poser au chef du gouvernement la question
suivante: Que signifie un Cabinet neutre et de qui serait-il formé?
S’il s’agit de ministres choisis dans le cadre du système en place,
tout est perdu à l’avance.
S’ils veulent, réellement, le changement et élaborer
une loi électorale équilibrée, juste et équitable,
qu’ils forment un gouvernement d’union nationale ou de coalition, représentatif
de toutes les parties sans exception, ni discrimination; un Cabinet restreint
de six membres dont la tâche se limiterait à mettre au point
une nouvelle loi électorale et à superviser le scrutin sur
base de cette loi.
Le Cabinet le plus indiqué doit comprendre les représentants
des différentes fractions politiques, tant loyalistes qu’opposantes,
plus exactement de l’opposition véritable dont je me réclame.
Ignorer notre opposition et ne pas la reconnaître, c’est se comporter
à la manière de l’autruche qui cache sa tête dans le
sable pour ne pas voir la réalité en face.
Même si les ministres devaient poser leur candidature aux législatives?
Pourquoi pas? Cela se passe dans les pays évolués.
Parlez-nous de la “Rencontre chrétienne consultative” qui
s’est tenue dernièrement à Bkerké?
C’est une occasion au cours de laquelle les leaders chrétiens
ont exprimé leur avis en faveur d’une loi électorale équilibrée.
J’espère que le Pouvoir prendra en considération leur avis,
d’autant qu’ils étaient ignorés depuis 1992 par le régime
précédent.
Vous étiez en faveur d’un gouvernement d’union nationale qui
élaborerait une nouvelle loi électorale et superviserait
les prochaines législatives. Seriez-vous prêt à y participer
au cas où on vous le demandait?
Pourquoi pas?
Quel est votre programme?
Avant d’accepter, je voudrais connaître la base sur laquelle
se ferait ma participation. Je refuse d’être un simple figurant au
sein du gouvernement. Je serais prêt à y participer, si je
constatais que le Pouvoir est bien intentionné et déterminé
à élaborer une loi électorale juste et équilibrée
et à organiser des législatives libres.
Parlez-nous de vos relations avec le général Michel
Aoun et le président Amine Gemayel.
Nous sommes d’accord en ce qui concerne les principes de base, contre
l’occupation, pour l’indépendance, la souveraineté et la
décision nationale libre.
Etes-vous en contact?
De temps à autre.
N’y aurait-il pas une certaine tiédeur dans vos relations
avec le général Aoun?
Cela est dû au fait que j’ai participé aux élections
municipales... Mais nous sommes d’accord en ce qui concerne les principes
nationaux.
Après l’accession du président Emile Lahoud à
la magistrature suprême, le président Amine Gemayel s’est
apprêté à rentrer au Liban. Malgré ses contacts
positifs avec le Pouvoir, qu’est-ce qui l’a poussé à différer
son retour?
La décision du président Gemayel de retourner au pays
a été prise suite aux contacts qu’il a eus avec Beyrouth.
La classification d’une catégorie de Libanais en citoyens de deuxième
rang paraît être encore en vigueur.
Après que l’idée de son retour a été approuvée
et qu’il s’apprêtait à rentrer, il a reçu un télégramme
anonyme l’informant qu’il était préférable pour lui
de ne pas retourner maintenant... Nous n’attendions pas cela du nouveau
régime.
Croyez-vous qu’il y aura un règlement à ce sujet?
Je ne veux rien prédire. Tout Libanais qui refuse le “fait accompli”
est considéré comme un citoyen de second rang.
Pourquoi vous a-t-on permis de rentrer au Liban?
Parce que j’ai pris une décision irrévocable affrontant
tous les obstacles, au cours du régime précédent.
Mon retour définitif à ma patrie relève donc d’une
décision personnelle, le Liban étant ma patrie et nul ne
peut m’empêcher de m’y établir.
Le président Gemayel et le général Aoun voudraient,
aussi, retourner à leur patrie; mais des obstacles s’y opposent?
Cette question les concerne.
N’avez-vous pas été empêché par le régime
précédent?
Je ne demande la permission de personne. En tant que citoyen libanais,
je jouis du droit de rester dans ma patrie.