APRES LE VOTE DU BUDGET 99
REDEMARRAGE EN FORCE DE LA REFORME ADMINISTRATIVE
Les séances de l’Assemblée consacrées à l’examen du projet de budget 99 se sont transformées en débat de politique générale.
Des députés connus pour leur lien avec l’ancien président du Conseil, M. Hariri ou membres de son bloc parlementaire, ont pris la défense des Cabinets précédents, passant sous silence le gaspillage qui a été à l’origine du déficit budgétaire et de la dette publique ayant totalisé plus de 21,5 milliards de livres. Ils se sont contentés de rappeler les réalisations de l’ancien régime consistant en ponts, tunnels et autostrades, bien que ces ouvrages aient été exécutés dans des régions déterminées à l’exclusion des autres, contrairement au principe du “développement équilibré” adopté par la IIème République dans la nouvelle Constitution issue de l’accord de Taëf.

Mme Bahia Hariri, sœur de l’ancien Premier ministre, a abondé dans ce sens, ses collègues de la néo-opposition ayant interprété, à leur manière, les dispositions de la loi fondamentale. Dans le même temps, ils ont dénoncé la façon dont a été amorcée la  réforme au double plan politique et administratif, avant de réclamer l’autonomie totale à la magistrature.
De plus, ils ont insisté sur la nécessité de réactiver les secteurs industriel et agricole, pour permettre au pays de suivre le rythme de l’évolution prévue au IIIème millénaire.

UN NOUVEAU RÔLE POUR LE LIBAN
Il y a lieu de s’arrêter à l’exposé fait, avant le débat, par M. Georges Corm, ministre des Finances, qui a mis l’accent sur “la nécessité de trouver au Liban un nouveau rôle, le pays ayant perdu les atouts qui en faisaient un centre économique, financier, culturel et touristique dans la période allant du début des années cinquante  aux années soixante-dix ayant précédé les douloureux événements.”
La réforme fiscale a servi de thème à plusieurs députés qui ont souligné l’importance des investissements dans les secteurs productifs, industriel, agricole et touristique, notamment.
D’autre part, d’anciens ministres, tel M. Nicolas Fattouche se sont employés à prendre la défense du Législatif, alors que d’autres, tel M. Marwan Hamadé, membre du “Front de lutte nationale” (joumblattiste), ont émis des doutes à propos de la “philosophie économico-financière” sur base de laquelle le projet de budget a été élaboré et posé la question ci-après: Qui a décidé de transformer le Liban de “paradis fiscal” en “enfer fiscal”? Pourquoi les espoirs fondés sur la réforme administrative se sont-ils volatilisés et qui a compromis le climat propice à l’apport de fonds? “C’est, soutient-il, la conséquence de mesures arbitraires”.
M. Nassib Lahoud, député du Metn, a évoqué deux faits à l’actif du “Cabinet des 16” dans son action visant à promouvoir le changement: Primo, ouvrir la voie  à une réforme fiscale globale, à l’effet de moderniser les moyens de financement du Trésor et, partant, de favoriser l’instauration d’une politique sociale au profit des classes laborieuses. Secundo, traiter la loi de finances, non d’un angle étroit restreint à une année, mais d’un angle plus large, en vue de diagnostiquer les causes de la crise financière et, aussi, de réduire le volume de la dette publique.

RETOUR À LA “DACTYLO”Et AUX TABLES D’ÉCOUTE?
M. Bassem Sabeh, député de Baabda, se montre particulièrement critique et agressif dans son intervention. Il commence par s’en prendre à la nouvelle “dactylo” et au “fax”, accusant certaines parties de  chercher à imposer une sorte de censure préalable sur les médias et d’avoir rétabli les tables d’écoute, même aux dépens des hauts responsables.
“Quant au projet de budget, dit-il, c’est une copie conforme de la situation politique, faite de prostration et de morosité”.
Par ailleurs, l’or dont dispose l’Etat a été au centre du débat, ainsi que le secret bancaire. Bien que le président Salim Hoss ait atténué les critiques des députés, tant loyalistes qu’opposants, à ce sujet, en assurant “qu’il n’est nullement dans l’intention du gouvernement de toucher à l’or, ni au secret bancaire, parce qu’ils sont les piliers fondamentaux de sa politique financière.”

LE COMMUNIQUÉ DES “SOURCES MINISTÉRIELLES”
Le communiqué attribué à des “sources ministérielles” qui avait pris violemment à partie le président Rafic Hariri, est pris comme prétexte par M. Mohsen Dalloul, ancien ministre, parent par alliance de l’ancien Premier ministre, pour attaquer le Cabinet et son chef. “Nous avons fondé beaucoup d’espoir sur le discours d’investiture, surtout quand il a parlé de l’Etat de la loi et des institutions. Mais quelques mois après votre entrée en fonctions, M. le président du Conseil, nous assistons à une violation flagrante de la loi et des institutions. Nous en avons la preuve, dans la diffusion du fameux communiqué, les nominations et votre affirmation dont il ressort que votre Cabinet sera maintenu jusqu’à l’an 2000, alors que des organismes officiels, telle l’Agence nationale d’information (ANI) négligent les déclarations des membres de l’Assemblée”, citant à titre d’exemple, le fait pour ladite agence d’avoir ignoré la conférence de presse de M. Moustapha Saad, député de Saïda.
Puis, M. Dalloul demande qu’est devenu le dossier de la réforme administrative qui a été fermé peu de temps après son ouverture: “La réforme, ajoute-t-il, consiste-t-elle à licencier des fonctionnaires ou à les placer à la disposition de la présidence du Conseil, pour nommer à leur place des remplaçants choisis à titre discrétionnaire, instituant de ce fait la “politique des parts” que vous n’avez cessé de dénoncer?”
Le député de la Békaa accuse le gouvernement “d’avoir mis fin au dialogue national” qui avait été entamé à l’intérieur des institutions, le Conseil des ministres en tête... Les “sources ministérielles” ont accaparé tous les rôles au sein et en dehors du Conseil des ministres, mettant fin, de ce fait, à la vie politique dans son ensemble.”

RIEN N’A ÉTÉ FAIT EN 7 MOIS
Quant à M. Omar Meskaoui, l’un des ministres “inamovibles” des Cabinets Hariri au cours des six dernières années, il constate que “le gouvernement n’a rien fait sept mois après avoir obtenu la confiance de la Chambre”. Et d’enchaîner: “Le fait pour le projet de budget qui nous est soumis d’élargir la base des impôts, en les allégeant au profit des citoyens à revenu limité, reste une promesse, pareille à tant d’autres dont abondaient les déclarations ministérielles des précédents Cabinets.”
Cependant, en dépit de ses critiques, M. Meskaoui annonce qu’il approuvera le projet de budget “afin de permettre au gouvernement d’assumer ses responsabilités.”
De son côté, M. Bahaëddine Itani, autre député haririen, qualifie la loi de finances “d’ordinaire” et de “classique”, en ce sens qu’elle n’apporte rien de nouveau. M. Antoine Andraos, autre membre du bloc haririen, qualifie le projet de budget de “faire-part” pareil à celui qu’on adresse pour annoncer un décès, ayant fait perdre aux citoyens la confiance dans le gouvernement.”

CRITIQUE “RÉALISTE”
En revanche, les interventions des députés membres du “Bloc de fidélité à la Résistance” se distinguent par leur réalisme, ceux-ci s’étant étendus sur les problèmes intéressant le peuple dans sa vie quotidienne, sans aucune animosité ni agressivité contre le Cabinet.
M. Faouzi Hobeiche, député du Akkar, rend hommage aux efforts que déploient les présidents de la République et du Conseil, pour atténuer le déficit et redresser la situation socio-économique. Il constate que le projet de budget répond au principe de la transparence et de l’homogénéité dans la politique générale de l’Etat, tout en critiquant les coupes opérées dans certains départements ministériels et en réclamant une lutte plus efficace contre la pollution.
M. Gebrane Tok, député de Bécharré, juge exacts les chiffres du budget et déplorant le marasme économique, il estime qu’on ne peut dissocier la discussion de la loi de finances du plan quinquennal de redressement. “Le budget 99, poursuit-il, témoigne d’une nouvelle orientation et d’un style nouveau, différents de ceux des précédents gouvernements, en ce sens qu’il détecte la cause de la crise, à savoir l’endettement, la solution résidant dans la réactivation des secteurs productifs.”

L’EXPOSÉ DU MINISTRE DES FINANCES
Ici, il nous faut revenir à l’exposé que M. Georges Corm, ministre des Finances, a fait à l’ouverture du débat, dans lequel il met l’accent sur “la nécessité de trouver pour le Liban un nouveau rôle, en raison de la perte des atouts qui en faisaient, avant la guerre, un centre prééminent aux plans économique, commercial, culturel et touristique.
Il révèle que la commission parlementaire des Finances et du Budget, avait relevé légèrement les prévisions budgétaires de l’année courante, portant de ce fait le déficit de 40 à 41%.
Il précise que le montant des dépenses s’est élevé à 8395 milliards de livres, soit 34% du produit national, les recettes ne devant pas représenter 20% de ce produit. De plus, les dépenses à engager en dehors des prévisions budgétaires (par le Conseil du Sud et la Caisse des déplacés) augmenteront le déficit de 3 ou 4 points. De ce fait, le déficit du budget par rapport aux dépenses, se situera entre 42 et 44%.
M. Corm observe que le déficit financier (55% en 98 et 60% en 97) a eu pour conséquence d’aggraver la situation économique, en plus des années de guerre.
Puis, critiquant les Cabinets Hariri, le ministre des Finances dit que l’actuel Cabinet a hérité d’un lourd legs d’ordre politico-économique, résultant de dépenses excédant les prévisions et les possibilités. Celles-ci sont la conséquence de la création de nouveaux départements ministériels et d’institutions publiques et de l’engagement de crédits en dehors de la loi de finances, sans que l’Etat dispose des fonds nécessaires pour y faire face.
“Ceci a amplifié le volume de la dette intérieure qui est passée de 4031 milliards de livres fin 1992, à 21.686 milliards fin 98. La dette extérieure est passée de 327,5 millions de dollars à 412,7 milliards durant la même période.”
M. Corm juge que la tendance à investir, abusivement, dans le secteur de l’immobilier (la valeur des appartements non encore vendus est estimée à 7 milliards de dollars) et les crédits considérables investis pour la remise en état des infrastructures, ont eu pour conséquence, en définitive, d’immobiliser les secteurs productifs aux plans industriel, agricole et des services, tout en faisant perdre à l’économie libanaise sa compétitivité dans la région.
M. Corm indique que le plan quinquennal de redressement que le gouvernement a transmis à la Chambre, qu’elle n’est pas appelée à approuver, se base sur deux piliers: la réforme du système fiscal, en adoptant la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et la privatisation des services étatiques, totalement ou partiellement.

JOUMBLATT À BAABDA
La semaine dernière avait été marquée, notamment, par la visite de M. Walid Joumblatt au palais de Baabda, mettant fin à plusieurs mois de tension dans les rapports entre le Pouvoir et le chef du Parti socialiste progressiste.
M. Joumblatt a tenté de soulever certaines questions délicates, afin de détecter la position du chef de l’Etat à leur sujet, mais le président Lahoud s’est limité à confirmer son attachement à des constantes dont il ne dévie pas et qu’il a définies dans le discours d’investiture, se disant prêt à coopérer avec toutes les parties, dans l’intérêt supérieur de la nation, sans entrer dans les détails.
Le chef du PSP n’a pas caché, quant à lui, son opposition au gouvernement et à sa gestion de la chose publique, tout en exprimant sa disposition à coopérer avec le régime. Il a, ainsi, manifesté une attitude souple, se confinant dans une attitude à mi-chemin entre l’opposition et le loyalisme.
Le leader socialiste n’a pas manqué d’évoquer le nom de son ancien allié, Rafic Hariri, dans l’intention de connaître la réaction du président de la République qui n’a émis aucune réflexion, ni fait aucun commentaire.

KHATIB: Hoss est injustement accusé de tous les maux
Parmi les loyalistes, les plaidoyers les plus favorables au Cabinet, ont été ceux de MM. Zaher el-Khatib, député du Chouf et Jamil Chammas, député de Beyrouth.
M. el-Khatib a relevé la mauvaise foi des opposants “qui ont transformé le débat sur le budget en débat politique”. Aussi, a-t-il réfuté, point par point, les critiques décochées par les partisans de l’ancien Premier ministre.
“On crie à la dictature, dit-il, parce qu’un officier du deuxième bureau s’est enquis du nom d’un intervenant lors d’une conférence. Où voit-on une répression des libertés publiques, alors qu’une des premières décisions prises par l’actuel Cabinet fut d’autoriser les manifestations que le précédent gouvernement avait interdites.”
De plus, il s’étonne de ce que la néo-opposition accuse le président Hoss de tous les maux de la République, sans manquer de rappeler “le lourd héritage légué par les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir  au cours des six dernières années!”
En ce qui concerne le communiqué attribué à des “sources ministérielles”, le député du Chouf rétorque aux critiqueurs (pro-haririens) que “ce procédé est une tradition dans tous les pays et ne porte nullement atteinte à la démocratie comme ils le prétendent.”
Enfin, M. el-Khatib invite le “Cabinet des 16” à poursuivre les réformes sans aucune hésitation sur tous les plans.
Quant à M. Chammas, il a pris à partie les nouveaux opposants et invité le président Hoss à assainir l’administration publique, en la débarrassant des fonctionnaires qui se sont enrichis. Il s’est, également, déchaîné contre les “conseillers” engagés à des mensualités exorbitantes, la plupart d’entre eux “souvent incompétents” étant payés de 6 à 7.000 dollars par mois.
“L’une des principales réalisations du Cabinet Hoss, dit-il, est d’avoir fait au pays l’économie d’un milliard de dollars dans les prévisions budgétaires de 99.”

NADIM EL-HACHEM

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