Tout
vaut mieux que d’avoir affaire à un Netanyahu. Tel semble être
le raisonnement de ceux parmi les Arabes qui, avec l’arrivée au
pouvoir de M. Barak, manifestent beaucoup d’espoir et d’optimisme. Tout
ce que dit le nouveau chef de gouvernement israélien (mais, en fait,
il ne dit pas grand-chose) est pris en bonne part. On le crédite
d’un esprit ouvert et de bonne volonté.
Si ces réactions arabes témoignent d’une chose, c’est
bien de la profonde anxiété des gouvernements qui, ayant
parié en 1991 sur la paix (grâce aux promesses de M. Bush
et de M. James Baker) se sont aperçus, au bout de huit ans, qu’ils
avaient été bernés. Voilà maintenant, qu’ils
se raccrochent à un espoir: Barak n’est pas Netanyahu - et le “parrain”,
M. Clinton, s’est engagé à en finir avec le conflit arabo-israélien
dans un délai d’un an.
Si M. Clinton n’est généralement pas très crédible,
par contre, on doit reconnaître que M. Barak conduit jusqu’ici assez
habilement sa barque parmi tous les écueils de la situation interne
en Israël. Alors que Netanyahu exploitait ces écueils pour
en faire un obstacle à la paix, Barak s’emploie à les neutraliser.
Il a pris en main les départements qui peuvent lui permettre d’avoir
un contrôle direct sur l’évolution de cette situation, notamment
la Défense. Et on dit qu’il s’appuie sur l’état-major militaire,
plutôt qu’il ne consulte les civils, pour définir sa stratégie
politique. Tout se passe, semble-t-il, comme s’il entendait pousser la
démocratie israélienne vers une sorte de régime présidentiel.
N’est-il pas élu directement par le peuple? Il en tirerait les conséquences.
Cela est important s’il est vraiment résolu à réussir
son projet de paix (“la paix des braves”, a-t-il dit, ce qui signifie “des
combattants”, les militaires) - à fixer des limites claires à
la colonisation - à borner l’influence des “religieux”.
***
M. Barak apparaît déjà comme un homme secret. C’est
nouveau dans une société politique réputée
comme la plus bavarde de la région, ce qui n’est pas peu dire.
Ses rares interventions publiques se sont distinguées par un
discours soigneusement mesuré. Il a même marqué une
ouverture inhabituelle quand il a souligné la situation affligeante
de la population palestinienne. Il semble avoir compris l’importance d’une
reconnaissance, quoique implicite, de l’injustice dont ce peuple est la
victime. On est bien loin d’une Golda Meir qui s’écriait à
la face du monde: “Les Palestiniens, cela n’existe pas!” M. Netanyahu n’était
pas étranger lui-même à ce type d’idéologie
agressive, lui qui avait refusé longtemps de rencontrer M. Arafat.
On se souvient qu’il avait fallu une initiative personnelle du président
Weizman pour l’y forcer.
Sans verser dans un optimisme béat, on peut donc dire qu’avec
M. Barak il y a déjà un progrès. L’état d’esprit
est différent et les méthodes d’approche discrètes
du nouveau chef du gouvernement israélien peuvent laisser envisager
un dialogue sérieux avec ses voisins qui, tous comme lui, sont d’origine
des militaires.
Reste à savoir comment l’action du parrain américain
peut s’insérer dans cette stratégie. Car, contrairement à
ce que la Maison-Blanche veut nous laisser croire, la négociation
entre Arabes et Israéliens est, également, une négociation
avec le partenaire américain.
On a rappelé ici-même que l’armée israélienne
est financée par les Etats-Unis à raison de 1,92 milliard
de dollars l’an, avec une augmentation continue année après
année; que l’économie israélienne reçoit 960
millions de dollars l’an, sans compter l’aide directe à la colonisation
en Cisjordanie et à Jérusalem de la part de la communauté
israélite américaine. Que serait Israël sans les Etats-Unis?
Ce n’est donc pas une exagération d’en conclure qu’au-delà
d’Israël, c’est entre les Arabes et les Américains que la paix
doit, d’abord, être négociée. Les bonnes relations
bilatérales entre le gouvernement de Washington et ceux de l’Egypte,
de la Jordanie, des divers Etats de la presqu’île arabique (où
la présence militaire américaine massive est, désormais,
un fait acquis grâce à l’Irak) et même de l’Autorité
palestinienne, du Liban et de la Syrie, ces bonnes relations ne doivent
pas faire illusion. La réalité est ailleurs: dans un sentiment
populaire de moins en moins bien maîtrisé qu’avec l’Amérique
on a affaire avec une politique de puissance partiale et parfois incohérente.
***
Après avoir procédé à un tour d’horizon
avec ses interlocuteurs arabes, Moubarak d’Egypte, Abdallah de Jordanie,
Arafat de Gaza, M. Barak est reçu cette semaine par M. Clinton.
Il lui rendra compte de ces conversations. Il lui fera part de ses conclusions
sur la meilleure tactique pour parvenir à l’instauration de la paix.
Les deux hommes devront s’entendre sur la façon de procéder.
Par quoi est guidé M. Barak? Par la nécessité
de normaliser les relations de son pays avec ses voisins et d’intégrer
son économie dans celle de la région et, surtout, par le
maintien de la paix intérieure en Israël même.
Par quoi est guidé M. Clinton? Par sa conception des “intérêts
nationaux” des Etats-Unis.
Les vues du premier ne sont qu’un élément des vues d’ensemble
du second et doivent s’y insérer. Dès lors, c’est avec M.
Clinton qu’en dernier ressort - ou parallèlement - le négociateur
arabe devra traiter.
C’est lui qui détient les clés, toutes les clés. |
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