Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

LA PAIX, A QUEL PRIX?

La guerre s’est tue. Du moins, une sourdine y a été mise. Au grondement des canons, a succédé le chuchotement des chancel-leries, au temps de la confrontation, l’heure de vérité.
“Après l’ivresse, la réflexion”, dit le proverbe libanais. Après l’ivresse des champs de bataille, voici venir pour Israël la réflexion des tables de négociations. La paix serait-elle après tout, au bout du fusil? La paix? Avec Barak, on se risque à l’envisager ne serait-ce que comme hypothèse de réflexion, mais sans baigner pour autant dans la béate euphorie où semble plongé le président Clinton.
Il est vrai que dès son accession au pouvoir, Barak a multiplié les déclarations rassurantes en direction de la Syrie et du Liban. A la Syrie - indirectement et implicitement - il a fait miroiter une éventuelle restitution du Golan. Au Liban - et explicitement - il a promis un retrait (dans un an) du Liban-Sud. C’était trop beau pour être vrai. Effectivement, quelques jours plus tard, le Premier ministre israélien rectifiait le tir et précisait qu’il négocierait avec les Syriens ce qui pourrait être rétrocédé du Golan et avec les Libanais, des arrangements de  sécurité pour le nord de la Galilée. Eh oui! c’est toujours ainsi avec Israël: plus ça change, plus c’est la même chose.
En effet, depuis la guerre de juin 67, le chantage permanent qu’exerce Israël sur le monde repose sur l’argument des “frontières sûres”. Tour à tour, Golda Meir, Moshé Dayan, Begin, Rabin, Pérès (et aujourd’hui Barak) ont invoqué, partout et en toute occasion, ce prétexte pour justifier leur refus de restituer les territoires arabes occupés. La puissance de leur propagande et les lobbies sionistes aidant, ils ont réussi ainsi, sinon à convaincre, du moins à neutraliser une grande partie de l’opinion publique internationale. Et c’est là une escroquerie de plus à leur actif.
Car, en somme, que représente la notion de “frontières sûres” dans le monde où nous vivons? Quand la Chine ne considère pas l’immensité de la Sibérie qui la sépare de la Russie comme offrant une garantie suffisante, quand les fusées russes, chinoises, voire indiennes, se trouvent à quelques minutes de Washington et de New York, quand les missiles américains ne sont qu’à quelques tic-tac de chronomètre de n’importe quel point du globe, peut-on parler de frontières sûres? C’est à la fois stratégiquement inutile et logiquement absurde. “Une frontière sûre, écrivait Maurice Duverger dans Le Monde, c’est d’abord et surtout une frontière acceptée par les peuples qu’elle sépare”.
Les dirigeants de l’Etat hébreu ne sont pas plus sots que d’autres pour ne l’avoir pas compris. Mais ce faux argument représente pour eux un alibi bien commode. Un alibi qui révèle plutôt qu’il ne dissimule l’existence toujours vivace au cœur de chaque Israélien du rêve d’“Eretz Israël”, la terre de l’Israël de la Bible. Pour tout dire, du “Grand Israël”, un Etat suffisamment étendu pour y établir tous les juifs de la Diaspora (du moins la majeure partie d’entre eux). Autrement, que signifierait la fameuse “loi du retour”?
Hitler raisonnait-il autrement quand il annexait l’Autriche, envahissait la Pologne et la Tchécoslovaquie? Et l’“espace vital” du Führer allemand n’était-ce pas en somme un avant-goût des “frontières sûres” de Golda Meir à Ehud Barak?
Prudent, Barak se garde bien d’en parler. Ce qu’il dit, c’est qu’il veut faire la paix avec la Syrie et accessoirement avec le Liban, dans l’optique que l’une entraînerait nécessairement et automatiquement l’autre. Et inutile de demander à quel prix serait-elle cette paix pour nous?
Barak ne s’est pas fait prier pour le déclarer du haut du perron de la Maison-Blanche: le non-retour définitif des réfugiés palestiniens (sans compter entre autres: le partage de l’eau et une éventuelle rectification des frontières). Cela se traduit par l’implantation pure et simple. Une véritable tragédie dans la mesure où cette implantation représente une menace mortelle pour l’existence même du Liban à plus ou moins brève échéance. Et personne n’a pipé mot à travers les cinq continents, plus particulièrement dans les chancelleries de nos frères arabes.
Pour Clinton, après la muflerie de Netanyahu, tout devient permis à Barak. En fait, l’aveuglement voulu du président américain est, aujourd’hui, tel qu’il trouverait parfaitement normal que Barak fasse valoir ses droits aux Cèdres du Liban pour rebâtir le temple de Salomon. La seule chose qui pourrait l’étonner serait que son ami Shimon Pérès disparaisse avant d’avoir réécrit le “Cantique des Cantiques”. Et le reste du monde semble lui emboîter le pas.
A ce stade, on ne peut qu’évoquer Gebrane qui écrivait dans “Jésus Fils de l’Homme”: “Ponce Pilate est toujours là... Jusqu’à présent, il n’a pas fini de se laver les mains. Jusqu’à présent, Jérusalem porte la bassine et Rome (à laquelle Washington s’est substitué) le broc. Et entre les deux, mille et mille mains se tendent pour se laver”... 

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