PROBLÈMES D’ACTUALITÉ
Au début de la rencontre, M. Karam a dit qu’il avait décidé
avec ses confrères de lui rendre visite afin d’entendre son point
de vue à propos des problèmes de l’heure. “Nous entendons
des faits, dit-il, sans obtenir de réponses à leur sujet.
Après les propos de Barak sur la paix, les raids sur les populations
civiles se justifient-ils? Et la paix est-elle proche ainsi que le laissent
croire les Israéliens?
“Qu’en est-il des prochaines législatives et de la loi sur base
de laquelle elles seront organisées? Quelle est votre lecture de
ce qui se passe en Iran et du fait pour le président Khatami de
soutenir les mouvements protestataires, alors que le président Khaménei
dénonce la violence avec laquelle la police a réprimé
les manifestations?
Parlez-nous, voulez-vous, du temps où l’imam Moussa Sadr vous
a invité à être son vice-président; du jour
où a il a proposé votre nom et où vous avez accepté
d’assumer cette haute charge... Qu’en est-il de “l’état chiite”?
L’imam Chamseddine commence par souhaiter la bienvenue au conseil de
l’Ordre et à M. Karam, non seulement en sa qualité de président
de cette corporation, mais en tant que rédacteur en chef d’imprimés
ayant conscience du rôle prééminent des médias
dans l’édification de la patrie.
LE C.S.C. PAREIL À BKERKÉ
A propos de “l’état chiite”, le président du C.S.C. dit
qu’il n’aime pas cette expression et, d’ailleurs, il préfère
qu’il n’y ait pas “d’état chiite”, car dans ce cas, il devrait y
avoir un “état maronite”, sunnite, grec-orthodoxe, druze, etc...
“Tous ces “états” n’édifient pas une patrie, ni une société
civile, politique et un Etat dans le vrai sens du terme... Dans la mesure
où les chiites adhèrent au projet de l’Etat, ils préservent
leurs intérêts. Dieu merci, la situation des musulmans chiites
libanais est homogène; il n’existe pas de crispation entre eux et
mes coreligionnaires s’adaptent à la situation libanaise dans son
ensemble. J’invite les médias au Liban et dans le monde arabe à
nous aider à nous débarrasser de la “cause chiite” considérée
comme une situation anormale. Du point de vue de la religion, les chiites
sont musulmans et, du point de vue de leur nationalisme, ils sont arabes,
perses, turcs, hindous ou autres.
“En ce qui concerne le Conseil supérieur chiite, comme vous
le savez, c’est une institution qui constitue le cadre au sein duquel sont
gérées les affaires de la communauté à l’instar
des autres institutions libanaises, tel Dar el-Fatwa et le patriarcat maronite.
Il s’intéresse à la partie religieuse du point de vue des
problèmes internes et à la partie politique générale
non sectaire, ni confessionnelle. Je crois que depuis la fondation dudit
Conseil dans les années soixante-dix, les communiqués qu’il
diffuse confirment cette vérité. En ce sens qu’il n’a soulevé
à aucun moment un problème sectaire. Le Conseil persévère
dans la même ligne de conduite, en veillant à ne pas tomber
dans aucun piège de caractère politique ou partisan.”
BARAK ET LA PAIX
A propos de Ehud Barak et des possibilités qu’il offre pour
instaurer la paix, l’imam Chamseddine émet ces réflexions:
“Je ne veux pas me laisser induire en erreur. Nous avons dit à certains
grands frères arabes: Tirez les leçons des chances que vous
avez accordées à Netanyahu. Chaque fois qu’un responsable
israélien réclame un délai, nous tombons dans le piège...
Je n’ai pas trouvé plus de souplesse, mais de la duplicité
dans la manière d’agir et de se comporter d’Israël partout
et dans toutes les circonstances.
“Après ce qui s’est passé durant les dix ou quinze dernières
années dans la région, je ne vois qu’un nouveau procédé
dans la tergiversation et le chantage. A mon avis, les nouveaux dirigeants
israéliens commenceront par là où Netanyahu a fini.
“Après avoir réussi, cet homme (Barak) a proclamé
ses quatre “non” célèbres. S’il les avait proclamés
avant son succès, nous aurions pu nous dire qu’il fait de la propagande
électorale. Mais après avoir réussi, il a dit non
à l’arrêt de la colonisation; non au partage de Jérusalem;
non au droit de retour aux réfugiés palestiniens et au retrait
total du Golan.
“Je juge Barak, sur base de ses prises de position publiques. Cet homme
reste une énigme. Je demande, donc, aux responsables arabes de ne
pas manifester trop d’optimisme, de ne pas accorder des délais et
de poser des conditions pour reprendre les négociations.
LA RÉSISTANCE, PROJET LIBANAIS
Réfutant l’allégation de ceux qui collent à la
Résistance l’attribut de “chiite”, l’imam Chamseddine soutient que
celle-ci est, essentiellement, libanaise. “S’il n’en était pas ainsi,
dit-il, ce serait un point de faiblesse pour elle... La Résistance
est un projet libanais. L’Etat dans toutes ses institutions, du président
de la République, à son gouvernement, à la Chambre
des députés et à tous les organismes de la société
y ont adhéré, en tête desquels la Presse libanaise
et non chiite. Je me réjouis d’avoir contribué à former
les cellules libanaises, formations groupant des combattants de toutes
les communautés nationales.
“La situation, l’étape actuelle et l’intérêt du
Liban exigent de donner à la Résistance un cachet libanais
et elle se poursuivra tant que la résolution 425 n’est pas appliquée
sans chantage ni conditions de la part d’Israël. L’Etat hébreu
détient donc la décision dont la mise à exécution
arrachera à la Résistance sa raison d’exister... Je profite
de l’occasion pour renouveler mon hommage au président de la République
pour sa lucidité, sa moralité et son engagement. Je demande
à tous les citoyens de l’aider, car la Résistance est essentiellement
libanaise.”
Par ailleurs, le président du CSC vante la prise de position
du Vatican envers Jérusalem. Et d’ajouter: “On ne peut
faire confiance aux Israéliens; ce sont une bande de criminels;
qu’ils se retirent donc de notre territoire au-delà de nos frontières
avec la Palestine. Nos armes seront toujours prêtes, tant qu’il existera
des soldats israéliens sur notre territoire.”
LE COMITÉ DE SURVEILLANCE
L’imam Chamseddine dit qu’il n’est pas contre le comité de surveillance
de la trêve. “Cependant, poursuit-il, la présence de ce comité
ne me satisfait pas, parce que j’ai réalisé son but dès
sa constitution. La communauté internationale, l’Europe et l’Amérique
ne veulent pas s’embarrasser de nos plaintes au Conseil de Sécurité,
c’est pourquoi, ils ont créé un mini-Conseil de Sécurité.
“De ce fait, ce comité nous empêche de faire entendre
notre voix au monde. Nous avons tenu des propos en ce sens à nos
amis français et je profite de l’occasion pour leur présenter
nos vœux, parce qu’ils sont des amis, leur révolution ayant ajouté
quelque chose à l’humanité. Je ne suis pas contre le comité
de surveillance, mais j’estime que sa tâche consiste à renvoyer
dos à dos l’agresseur et la victime.”
Invité à émettre son avis à propos de la
nouvelle loi électorale en cours d’élaboration, le dignitaire
chiite avoue n’avoir pas eu connaissance de l’avant-projet y relatif, ni
des suggestions qui font l’objet d’échange de vues.
Toujours est-il qu’il se prononce en faveur de la grande circonscription,
parce qu’il la juge préférable: “Tel est mon point
de vue jusqu’à présent. La “Rencontre chrétienne”
m’a remis une copie de son projet que j’étudierai avec beaucoup
d’attention, car je suis ouvert au dialogue. Je ne préconise pas
la transformation du Liban en circonscription unique, mais j’estime valable
la grande circonscription. Prenons exemple sur la France; la Suisse et
le Royaume-Uni... Je n’accepte pas, en revanche, le modèle américain
qui semble pareil au nôtre.”
POUR UN SYSTÈME JUSTE ET ÉQUILIBRÉ
“Puis, je ne suis pas pour l’abolition du confessionnalisme politique
dans un délai prévisible. Le Liban est ainsi constitué.
Que son système confessionnel soit juste et équilibré;
je ne crois pas en l’échange des suffrages: donnez-nous vos voix
et nous vous donnerons les nôtres. Ou comme disent les chrétiens:
donnez à César ce qui est à César et à
Dieu ce qui est à Dieu. Nous donnons ce qui est à César,
mais qu’ils nous laissent ce qui est à Dieu.”
De la situation en Iran, suite aux manifestations de rues qui ont fait
des victimes et des blessés parmi les étudiants et les forces
de l’ordre, l’imam Chamseddine s’exprime en ces termes: “Il s’agit d’un
phénomène naturel traduisant la lutte des générations.
Les jeunes posent la question du changement et des libertés.
“Ce n’est pas un conflit, mais une opération d’interaction visant
à transformer la société iranienne. Mais on ne doit
pas croire qu’il existe deux positions différentes et deux courants
contradictoires. Quoi qu’il en soit, les extrémistes des deux camps
sont descendus dans la rue et s’y sont affrontés, l’appel du président
Khatami étant similaire à celui de Khamenéi, guide
spirituel de la révolution.
Ici, je critique la décision prise de suspendre le journal “Salam”.
La sauvegarde des libertés est une question fondamentale et nous
ne pouvons tolérer le bâillonnement de ces libertés
que ce soit en Iran, dans notre pays ou partout dans le monde. Quiconque
diffuse un manifeste portant atteinte aux questions sacro-saintes des chrétiens
ou des musulmans, nous lui couperons la langue, car c’est du sabotage et
de l’anarchie. La fermeture du “Salam” a été une erreur que
rien ne justifie.
“En soutenant tout courant favorable aux libertés, je demande
deux choses à nos frères iraniens: Primo, ne pas tomber dans
le piège que constitue la conception occidentale de la liberté,
certains jeunes étant victimes de cette conception. Secundo, je
leur dis: ne craignez pas la liberté, tout en manifestant de la
réserve à l’égard de sa conception occidentale.”
CONTRE LA “PRESSE À SCANDALES”
“Cela dit, je suis contre la “Presse à scandales”. C’est à
la Presse sérieuse et pondérée de traiter les travers
de la société et de critiquer le Pouvoir quand elle le juge
nécessaire.
“Je souhaite que la Presse libanaise traite le sujet iranien avec sagesse
et j’espère que la situation s’apaisera en Iran dans les jours à
venir. J’ajouterai ceci: l’ancienne génération a réalisé
la révolution et la nouvelle se doit de préserver l’Etat
et d’aider l’Iran à s’intégrer dans son environnement arabe
et islamique. Comme dans son environnement international, tout en accueillant
avec satisfaction le climat européen dans son interaction avec la
République islamique.”