Editorial


Par MELHEM KARAM 

LA SEPARATION DES POUVOIRS NE DOIT PAS SE TRADUIRE EN UNE SEPARATION DES PRESIDENTS

Reparler de la troïka est refusé, la Constitution libanaise ne faisant pas mention de cette appellation. Ceux qui ont créé la troïka, sont ceux qui, motivés par l’affection et le zèle, ont invité les leaders à traiter entre eux directement et, les Etats, à communiquer avec le Liban à travers les trois présidents.
En 1920, la position du Pouvoir n’était pas agréée par les musulmans. Ils ont refusé la formule du “Grand Liban” et réclamé la restitution, à la Syrie, des quatre cazas qui avaient été rattachés au Grand Liban le 1er septembre 1920. Ils ont réclamé davantage: le ralliement à la Syrie et la création d’une unité avec elle, prélude à l’unité arabe totale.
Tel était le but du congrès du sahel qui s’est tenu en 1933; puis, en 1936.
La situation est restée la même jusqu’à la fin du mandat de Charles Debbas, le Haut Commissaire, Henri Ponceau n’ayant pu modifier le système du 9 mai dont il était resté prisonnier.
Ponceau est parti après le départ de Debbas. En septembre 1932, est venu Damien de Martel, troisième Haut Commissaire civil. Fin 1932, Habib Pacha el-Saad a été nommé président de la République jusqu’à fin 1934; puis, son mandat a été renouvelé jusqu’à fin 1935.
A cette échéance, la situation est devenue intenable: l’argent s’est raréfié dans les mains des gens, le tourisme a périclité, alors que les émigrés se sont abstenus de venir et de rapatrier leurs revenus, la récolte des vers à soie ayant été compromise. Ceci a contraint de Martel réanimer la Constitution qui avait été suspendue par le système du 9 mai. Ainsi, il a restitué son pouvoir à la Chambre des députés, l’habilitant, de ce fait, à accorder la confiance au gouvernement et à élire le président de la République; c’était le 3 janvier 1936. Le 30 janvier de la même année, la Chambre formée de vingt-cinq députés, a siégé sous la présidence de Moussa Nammour et a élu Emile Eddé président de la République par 15 voix, contre dix à cheikh Béchara el-Khoury. Ce jour-là, Emile Eddé a chargé Kheireddine Ahdab de former le gouvernement. Depuis cette date, la présidence du Conseil est attribuée aux sunnites, soit sept années avant 1943. Après Ahdab, Beyhum; puis, Abdallah Yafi ont occupé ce poste.
En 1936, un autre Haut Commissaire, Puaux, a dissous le parlement pour les nécessités de la guerre, comme ce fut le cas à Paris. Puis, il est parti. Ici, ce fut la confusion, les nominations étant devenues arbitraires, la haute charge ayant été confiée, successivement, à Ayoub Tabet, Petro Trad et Alfred Naccache.
Ce système resta en vigueur jusqu’en 1943, date à laquelle ont été élaborés le “pacte” et la “formule”. Quant au pacte, ce fut celui des deux négations et deux refus. La formule a consisté à attribuer la première présidence aux maronites; la présidence de la Chambre, aux chiites et la présidence du Conseil, aux sunnites.
Citons les choses par leurs noms. Pratiquement, qu’est 1943? Convaincre le musulman de participer au gouvernement de l’Etat libanais qui avait été refusé le 1er septembre 1920, date de proclamation de l’Etat du Grand Liban.

***

Si nous brûlons les étapes jusqu’à Taëf, nous réalisons que Taëf n’a rien apporté de nouveau. C’est une tentative visant à changer la situation au Liban qui était gouverné en vertu du traité de Sikes-Picot, conclu entre le maréchal Sykes et Georges Picot. Ce traité a consacré un état de fait au Liban, à savoir que c’est le pays des protectorats. Chaque Etat protège une communauté: les maronites sont protégés par la France; les druzes, par la Grande-Bretagne; les grecs-orthodoxes, par la Russie; les grecs-catholiques, par l’Autriche et les sunnites, par la Sublime Porte, l’Etat ottoman. Ceci a commencé vers la moitié du XIXème siècle.
Taëf a supprimé les protectorats, considérant que la protection des communautés par les grandes puissances, compromet l’édification de la patrie. Puis, la protection des communautés les unes contre les autres, transforme l’Etat en fantôme, ce n’est ni deux refus, ni deux affirmations.
Taëf a confirmé le chef de l’Etat en tant que président constitutionnel. Il n’a pas pris de ses attributions, comme c’est l’opinion courante, mais a affirmé son titre de premier symbole et première instance. Ce sont des prérogatives que pratique un chef prestigieux, dont le courage renforce l’Etat qu’il préside. Le général Emile Lahoud est le modèle par excellence de ce leader transcendant.

***

Après le 8 novembre, la rencontre parlementaire s’est réalisée sous le titre de suppression des séquelles du mandat. Le président n’était pas président de la République, mais un fac-similé du Haut Commissaire, auquel ont échu tous les pouvoirs au cours de cette séance.
Ainsi, se sont amoncelées les erreurs des présidents élus depuis 1943. Taëf a incité le président Rafic Hariri à confondre sa personne avec le Conseil des ministres et la troïka a tout torpillé, pour devenir, comme le pacte... une vérité non écrite, mais en vigueur.
D’ici à ce que les faits se normalisent et que les appellations ne soient pas déformées, tout l’effort doit tendre à instituer des autorités connaissant leurs limites et leurs charges, en créant un Pouvoir homogène réalisant que la séparation des pouvoirs ne doit pas se traduire en séparation des présidents. 

Photo Melhem Karam

Home
Home