Et l’attente
fiévreuse, l’espoir insensé, l’horrible incertitude qui accompagnaient
les opérations de secours, remorquaient à nouveau la saga
des Kennedy au malheur. Aussitôt, la nouvelle connue, les chaînes
de télévision ont interrompu leurs programmes et leurs grandes
stars ont été étranglées par l’émotion:
Dan Rather de CBS, Peter Jennings de ABC avaient les larmes aux yeux, tandis
que Barbara Walters estimait que “L’Amérique (avait) perdu son prince
héritier”. Les journaux ont changé leurs titres et éditions
sacrifiant des dizaines de milliers d’exemplaires. Et le “Washington Post”
n’hésitait pas à relever: “Si l’Amérique avait un
Shakespeare, celui-ci choisirait de raconter la saga des Kennedy” assimilés
à une famille royale. Héritiers d’une véritable dynastie
où s’enchevêtrent, curieusement, épiques et tragiques
à la fois, la beauté, le sexe, la fortune, le pouvoir, la
gloire et la mort, ils ont été, sous les contraintes du hasard
et de l’Histoire, des prototypes de héros shakespeariens qui meurent
jeunes dans des conditions tragiques. C’est pourquoi, ils suscitent la
douleur et l’émotion et font après tout rêver.
A Hyannisport, comme à New York, à Washington et un peu
partout en Amérique, les fidèles se sont rendus dans les
églises pour y suivre la messe le dimanche et aussi prier afin que,
d’abord, on retrouve vivants les trois disparus (JFK Jr, 38 ans, Carolyn
Bessette, 33 ans et la sœur de celle-ci, Lauren, 35 ans); puis, à
mesure que l’espoir s’amenuisait, afin que Dieu les reçoive dans
son paradis. Le sentiment religieux des Américains est tenace. Et
celui des Kennedy, des catholiques pratiquants, l’est encore plus. “Car,
a expliqué un de leurs proches, ils ont pu supporter tous les événements
tragiques grâce à leur foi.” Assimilé au “petit prince”
(Saint Exupéry avait justement écrit “Le Petit Prince” à
New York et disparaissait lui aussi dans la mer), John Fitzgerald Kennedy
Jr dit “John John”, avait déjà ému le monde lorsqu’à
l’âge de trois ans, portant son petit manteau bleu, il saluait militairement,
au cimetière d’Arlington, le catafalque de son père, assassiné
le 22 novembre 1963 à Dallas dans le Texas et écrasait aussi
quelques larmes. Cet instantané a fait depuis le tour du monde;
puis, a été rediffusé à longueur d’émissions
par toutes les chaînes américaines. A cette époque,
il avait juste apposé un x au bas de la note écrite pour
l’occasion par sa sœur Caroline. Les Etats-Unis nageaient donc en plein
drame et assimilaient la disparition de leur “petit prince” à celle
non moins dramatique, survenue il y a près de deux ans, de la princesse
Diana.
JFK Jr était né le 25 novembre 1960, trois semaines après
l’élection de son père (le 5 novembre 1960) à la présidence
des Etats-Unis. Trois ans plus tard, il avait eu un frère Patrick,
né prématuré et n’ayant vécu que deux jours.
La même année, disparaissait son père, le 35ème
président des Etats-Unis, “le plus populaire de l’Histoire américaine”
(selon l’historien Michael Beschloss), devenu depuis une icône, un
mythe et une légende. Propulsé dès sa naissance au-devant
de la scène, ayant fait ses premiers pas dans les méandres
de la Maison-Blanche, “John John” risquait de subir les outrages de la
curiosité publique. Consciente des dangers qui le guettaient, sa
mère Jackie Bouvier Kennedy l’a emmené vivre avec sa sœur
à New York dans un spacieux appartement de la Fifth Avenue, à
l’abri des spotlights, des tabloïds et des paparazzi. Pendant ses
années de mariage avec Aristote Onassis, décédé
en 1975, “John John” et Caroline ont conservé cet appartement. “J’ai
toujours vécu une vie à peu près normale. J’en remercie
ma mère. J’ai toujours pris le bus. J’ai toujours pris le métro…
Les suites d’hôtel et les limousines, ça, oubliez”, avait-il
confié en 1998 au quotidien “USS Today”. C’est donc une vie normale
des enfants de son âge que “John John” est parvenu à mener
sous la protection chaleureuse de sa mère dont il se sentait “si
proche”, enfourchant sa bicyclette, faisant du jogging et du patin à
roulettes à Central Park. Après avoir fréquenté
Saint David’s School, Collegiate School à New York et Philips Academy
à Andover, Massachusets, JFK Jr s’est inscrit non point à
Harvard comme son père, mais à Brown University à
Providence, Rhode Island en 1983. Un diplôme en histoire en poche,
il se tourne vers le théâtre, tente sa chance dans une pièce
irlandaise: “Winners” de Brain Friel’s à “off-off Broadway”, refuse
de s’aventurer au cinéma pour endosser le rôle de son père
et pousse sa monture au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en Inde où
il suit des cours d’éducation et de santé à l’université
de New Delhi. Retour aux Etats-Unis, il fait du bénévolat
aux côtés de sa mère dans un organisme de développement
urbain et s’inscrit enfin à l’université de New York pour
y étudier le droit. Il rate deux fois le passage au Barreau et y
réussit enfin en 1989. Ce qui lui permet de travailler au bureau
du procureur de Manhattan et de gagner même six procès criminels.
Le rêve suprême de son père dont sa mère a gardé
pour lui et sa sœur “le souvenir et la personnalité très
vivaces” et qui avait un jour confié qu’il aimerait être le
rédacteur en chef d’un grand journal à la fin de sa présidence,
a-t-il surgi de son inconscient quand il a décidé de lancer
avec le groupe Hachette-Filipachi, en septembre 1995, le magazine “George”
du nom du premier président des Etats-Unis, George Washington et
qui présente “la politique comme vous ne la connaissez pas”? S’improvisant
rédacteur en chef, il parvient à interviewer Fidel Castro,
George Wallace, ancien gouverneur de l’Alabama, l’évangéliste
Billy Graham, le Dalai Lama et le boxeur Mike Tyson qu’il rencontre en
prison. A la recherche de sa propre voie, souvent aux antipodes du conventionnel
(il se fait un jour photographier quasi-nu avec pour seule protection une
feuille de vigne), ce jeune homme simple, chaleureux que le magazine “People”
désigne comme “l’homme le plus sexy de l’année”, ne se laisse
pas tenter par la politique. Du moins, il prend son temps. Il en connaît
la gloire éphémère lorsqu’à la Convention démocrate
de 1988, il a droit à un standing ovation de deux minutes après
y avoir présenté son oncle, le sénateur Edward Kennedy.
Des années plus tard, il avait été encouragé
à convoiter le poste de maire de New York, voire celui de sénateur
démocrate que brigue actuellement Hillary Clinton. Mais le temps
lui a manqué pour entreprendre un parcours politique. Il est le
seul du clan Kennedy à “ne pas avoir sali ni ridiculisé son
nom”. Il n’a même pas hésité à critiquer dans
les colonnes de sa revue “le modèle d’un comportement détestable”
de certains cousins compromis dans des scandales. Lui aussi a connu les
aventures amoureuses. Entre autres, une brève avec Madonna et une
prolongée avec l’actrice Daryl Hannah. Entre-temps, il rencontrait
Carolyn Bessette, fille d’un médecin new-yorkais, vivant dans l’élégante
banlieue de Greenwich et attachée à la publicité de
la maison Kelvin Klein. Simple et chaleureuse comme lui, elle est parvenue
à le conduire à l’autel. La cérémonie de mariage
a eu lieu le 21 septembre 1996 en présence d’une dizaine de proches
sur une île au large de Géorgie au sud-est des Etats-Unis.
Le secret trop bien gardé ne put le rester longtemps, car les paparazzi
ont fini par débusquer le jeune couple en lune de miel en Turquie.
L’héritier direct du président John Kennedy dans la lignée
instaurée par le patriarche Joseph, suscitait l’admiration de la
princesse Diana qui, s’exprimant dans un magazine new-yorkais, espérait
voir son fils le prince William “grandir aussi brillamment que John Kennedy
Junior”. “Je voudrais que William soit capable de traiter les choses aussi
bien que John”. Hélas! “John John” a suivi Diana dans l’au-delà,
engloutissant avec lui le rêve des Américains.