JOHN JOHN
LE REVE ENGLOUTI DES AMERICAINS
Le miracle n’a pas eu lieu. Les tentes blanches dressées au “Kennedy Compound” de Hyannisport ont été démantelées. La noce a été annulée et les 275 invités se sont dispersés dans l’anxiété et les larmes. Rory Elizabeth Kennedy, fille cadette et l’une des onze enfants de Robert Kennedy, assassiné le 6 juin 1968, a vu le plus beau jour de sa vie se transformer en deuil familial et catastrophe nationale. Son cousin John Fitzgerald Kennedy Jr qui venait rejoindre le clan, à bord de son avion et en compagnie de son épouse Carolyn, a disparu en plein vol.

Et l’attente fiévreuse, l’espoir insensé, l’horrible incertitude qui accompagnaient les opérations de secours, remorquaient à nouveau la saga des Kennedy au malheur. Aussitôt, la nouvelle connue, les chaînes de télévision ont interrompu leurs programmes et leurs grandes stars ont été étranglées par l’émotion: Dan Rather de CBS, Peter Jennings de ABC avaient les larmes aux yeux, tandis que Barbara Walters estimait que “L’Amérique (avait) perdu son prince héritier”. Les journaux ont changé leurs titres et éditions sacrifiant des dizaines de milliers d’exemplaires. Et le “Washington Post” n’hésitait pas à relever: “Si l’Amérique avait un Shakespeare, celui-ci choisirait de raconter la saga des Kennedy” assimilés à une famille royale. Héritiers d’une véritable dynastie où s’enchevêtrent, curieusement, épiques et tragiques à la fois, la beauté, le sexe, la fortune, le pouvoir, la gloire et la mort, ils ont été, sous les contraintes du hasard et de l’Histoire, des prototypes de héros shakespeariens qui meurent jeunes dans des conditions tragiques. C’est pourquoi, ils suscitent la douleur et l’émotion et font après tout rêver.
A Hyannisport, comme à New York, à Washington et un peu partout en Amérique, les fidèles se sont rendus dans les églises pour y suivre la messe le dimanche et aussi prier afin que, d’abord, on retrouve vivants les trois disparus (JFK Jr, 38 ans, Carolyn Bessette, 33 ans et la sœur de celle-ci, Lauren, 35 ans); puis, à mesure que l’espoir s’amenuisait, afin que Dieu les reçoive dans son paradis. Le sentiment religieux des Américains est tenace. Et celui des Kennedy, des catholiques pratiquants, l’est encore plus. “Car, a expliqué un de leurs proches, ils ont pu supporter tous les événements tragiques grâce à leur foi.” Assimilé au “petit prince” (Saint Exupéry avait justement écrit “Le Petit Prince” à New York et disparaissait lui aussi dans la mer), John Fitzgerald Kennedy Jr dit “John John”, avait déjà ému le monde lorsqu’à l’âge de trois ans, portant son petit manteau bleu, il saluait militairement, au cimetière d’Arlington, le catafalque de son père, assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas dans le Texas et écrasait aussi quelques larmes. Cet instantané a fait depuis le tour du monde; puis, a été rediffusé à longueur d’émissions par toutes les chaînes américaines. A cette époque, il avait juste apposé un x au bas de la note écrite pour l’occasion par sa sœur Caroline. Les Etats-Unis nageaient donc en plein drame et assimilaient la disparition de leur “petit prince” à celle non moins dramatique, survenue il y a près de deux ans, de la princesse Diana.
JFK Jr était né le 25 novembre 1960, trois semaines après l’élection de son père (le 5 novembre 1960) à la présidence des Etats-Unis. Trois ans plus tard, il avait eu un frère Patrick, né prématuré et n’ayant vécu que deux jours. La même année, disparaissait son père, le 35ème président des Etats-Unis, “le plus populaire de l’Histoire américaine” (selon l’historien Michael Beschloss), devenu depuis une icône, un mythe et une légende. Propulsé dès sa naissance au-devant de la scène, ayant fait ses premiers pas dans les méandres de la Maison-Blanche, “John John” risquait de subir les outrages de la curiosité publique. Consciente des dangers qui le guettaient, sa mère Jackie Bouvier Kennedy l’a emmené vivre avec sa sœur à New York dans un spacieux appartement de la Fifth Avenue, à l’abri des spotlights, des tabloïds et des paparazzi. Pendant ses années de mariage avec Aristote Onassis, décédé en 1975, “John John” et Caroline ont conservé cet appartement. “J’ai toujours vécu une vie à peu près normale. J’en remercie ma mère. J’ai toujours pris le bus. J’ai toujours pris le métro… Les suites d’hôtel et les limousines, ça, oubliez”, avait-il confié en 1998 au quotidien “USS Today”. C’est donc une vie normale des enfants de son âge que “John John” est parvenu à mener sous la protection chaleureuse de sa mère dont il se sentait “si proche”, enfourchant sa bicyclette, faisant du jogging et du patin à roulettes à Central Park. Après avoir fréquenté Saint David’s School, Collegiate School à New York et Philips Academy à Andover, Massachusets, JFK Jr s’est inscrit non point à Harvard comme son père, mais à Brown University à Providence, Rhode Island en 1983. Un diplôme en histoire en poche, il se tourne vers le théâtre, tente sa chance dans une pièce irlandaise: “Winners” de Brain Friel’s à “off-off Broadway”, refuse de s’aventurer au cinéma pour endosser le rôle de son père et pousse sa monture au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en Inde où il suit des cours d’éducation et de santé à l’université de New Delhi. Retour aux Etats-Unis, il fait du bénévolat aux côtés de sa mère dans un organisme de développement urbain et s’inscrit enfin à l’université de New York pour y étudier le droit. Il rate deux fois le passage au Barreau et y réussit enfin en 1989. Ce qui lui permet de travailler au bureau du procureur de Manhattan et de gagner même six procès criminels. Le rêve suprême de son père dont sa mère a gardé pour lui et sa sœur “le souvenir et la personnalité très vivaces” et qui avait un jour confié qu’il aimerait être le rédacteur en chef d’un grand journal à la fin de sa présidence, a-t-il surgi de son inconscient quand il a décidé de lancer avec le groupe Hachette-Filipachi, en septembre 1995, le magazine “George” du nom du premier président des Etats-Unis, George Washington et qui présente “la politique comme vous ne la connaissez pas”? S’improvisant rédacteur en chef, il parvient à interviewer Fidel Castro, George Wallace, ancien gouverneur de l’Alabama, l’évangéliste Billy Graham, le Dalai Lama et le boxeur Mike Tyson qu’il rencontre en prison. A la recherche de sa propre voie, souvent aux antipodes du conventionnel (il se fait un jour photographier quasi-nu avec pour seule protection une feuille de vigne), ce jeune homme simple, chaleureux que le magazine “People” désigne comme “l’homme le plus sexy de l’année”, ne se laisse pas tenter par la politique. Du moins, il prend son temps. Il en connaît la gloire éphémère lorsqu’à la Convention démocrate de 1988, il a droit à un standing ovation de deux minutes après y avoir présenté son oncle, le sénateur Edward Kennedy. Des années plus tard, il avait été encouragé à convoiter le poste de maire de New York, voire celui de sénateur démocrate que brigue actuellement Hillary Clinton. Mais le temps lui a manqué pour entreprendre un parcours politique. Il est le seul du clan Kennedy à “ne pas avoir sali ni ridiculisé son nom”. Il n’a même pas hésité à critiquer dans les colonnes de sa revue “le modèle d’un comportement détestable” de certains cousins compromis dans des scandales. Lui aussi a connu les aventures amoureuses. Entre autres, une brève avec Madonna et une prolongée avec l’actrice Daryl Hannah. Entre-temps, il rencontrait Carolyn Bessette, fille d’un médecin new-yorkais, vivant dans l’élégante banlieue de Greenwich et attachée à la publicité de la maison Kelvin Klein. Simple et chaleureuse comme lui, elle est parvenue à le conduire à l’autel. La cérémonie de mariage a eu lieu le 21 septembre 1996 en présence d’une dizaine de proches sur une île au large de Géorgie au sud-est des Etats-Unis. Le secret trop bien gardé ne put le rester longtemps, car les paparazzi ont fini par débusquer le jeune couple en lune de miel en Turquie. L’héritier direct du président John Kennedy dans la lignée instaurée par le patriarche Joseph, suscitait l’admiration de la princesse Diana qui, s’exprimant dans un magazine new-yorkais, espérait voir son fils le prince William “grandir aussi brillamment que John Kennedy Junior”. “Je voudrais que William soit capable de traiter les choses aussi bien que John”. Hélas! “John John” a suivi Diana dans l’au-delà, engloutissant avec lui le rêve des Américains. 


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