tribune
LE PARI DE BARAK ET CLINTON

Sur la visite de M. Barak à Washington, on peut tout juste constater que les points acquis jusqu’ici sont au nombre de deux: M. Barak et M. Clinton ont pris un pari sur quinze mois pour résoudre le conflit arabo-israélien. Il semble qu’en fait, c’est le président américain qui a fixé cette échéance qui correspond à la fin de son mandat. M. Barak ne l’aurait suivi qu’avec quelque réserve, puisqu’il s’empresse de préciser que si, en quinze mois, la paix n’était pas encore conclue, du moins on en aurait posé les fondements.
Le second point acquis est (naturellement) financier et militaire: Israël recevra quelques milliards de dollars supplémentaires pour son développement économique et pour ses équipements militaires; en outre, un comité de sécurité américano-israélien sera créé.
Après cela, M. Barak continuera à dire que le rôle des Etats-Unis dans le processus de paix devra être réduit au minimum. De qui se moque-t-il?
M. Clinton est content: “Tel un enfant qui reçoit un nouveau jouet”, a-t-il avoué ingénument pour se voir reprocher, ensuite, de prendre M. Barak pour une poupée. Il a tenu à manifester son bonheur en déroulant le tapis rouge pour son hôte avec tout le faste d’une grande réception à la Maison-Blanche, précédée d’un bucolique week-end à Camp David, théâtre de la première paix israélo-arabe (avec l’Egypte). Il a, ainsi, marqué, du même coup, que Barak n’est pas Netanyahu.
Il n’en reste pas moins qu’il serait prématuré pour les Arabes de pavoiser. Car, à part les deux points consignés ici, on ne sait strictement rien de sûr.

***

Comme pour atténuer la signification de la réception somptueuse dont il a été l’objet à Washington, M. Barak s’est dépêché de préciser qu’il n’entend pas subir des pressions de la part des Américains et que le rôle de ceux-ci doit se limiter à faciliter les contacts et non pas à faire des propositions.
On peut penser que cette attitude est adoptée pour des raisons de politique intérieure. M. Barak se doit de rassurer certains de ses partenaires de la coalition ministérielle qui tiennent toujours à l’argent de l’Amérique mais ne veulent pas de ses conseils.
Il reste que cette notion de “pressions” est, en l’occurrence, assez vague. Il est bien évident que les Etats-Unis n’iraient jamais jusqu’à la menace de stopper toute espèce d’assistance financière ou militaire à Israël pas plus qu’à envisager un embargo quelconque comme il est devenu coutumier pour Washington d’en user à l’égard de divers pays récalcitrants à sa ligne politique. En fait, le rôle de parrain du processus de paix que M. Clinton assume lui laisse une marge étendue pour orienter la négociation et pour peser sur les partenaires.
Il suffirait qu’il le veuille et que ses émissaires aient une vision claire des problèmes et des solutions possibles. On n’imagine pas que M. Barak puisse les confiner dans un rôle d’observateurs muets.
Du côté arabe, on a toujours insisté et on continue à le faire, sur les responsabilités américaines dans cette affaire.
Il existe une alliance de fait entre Israël et les Etats-Unis. L’économie et l’armée israélienne, ainsi que les colonies sont financées par l’Amérique. La diplomatie américaine s’est arrangée pour avoir l’exclusivité du parrainage du processus de paix. L’Europe et la Russie émettent des avis mais sont pratiquement tenues à l’écart, ainsi que l’ONU (dont toutes les résolutions, sans exception, sont rejetées par Israël). M. Barak peut-il mettre, également, l’Amérique sur la touche? En fait, depuis la guerre de 1967, pour ne pas remonter plus loin, depuis la résolution 242 qui sert de référence au processus en cours, la diplomatie américaine n’a jamais cessé de se mêler directement du conflit arabo-israélien.
Les gouvernements israéliens successifs ont toujours réclamé une négociation bilatérale avec chacun de leurs voisins pris séparément, sans interférence extérieure. Ils n’y ont jamais réussi. La conférence de Madrid a institué de nouvelles règles en adoptant le principe d’un parrainage international pour des négociations bilatérales mais simultanées. En prenant progressivement seuls en main toute l’opération, les Etats-Unis sont devenus directement responsables de son aboutissement.
Prétendre, aujourd’hui, limiter leur rôle et leur interdire de faire des propositions ou d’exercer des pressions, n’a strictement pas de sens.
M. Barak, comme beaucoup d’autres avant lui, invite les chefs d’Etat arabes à suivre l’exemple de Sadate. Il oublie que Sadate a eu besoin, finalement, d’une forte pression américaine pour obliger Begin à signer la paix du Camp David. Sadate a été assassiné. Et la “normalisation” qui devait suivre cette paix n’a pas répondu aux espoirs d’Israël.

***

A tort ou à raison, c’est avec l’Amérique que les Arabes négocient.
A tort, parce qu’une expérience de cinquante ans a prouvé l’incapacité de Washington à se libérer de l’influence juive. Et elle s’en accommode, d’ailleurs, parfaitement. Cela convient peut-être à ses “intérêts nationaux”!
A raison, parce que l’Amérique, qu’on le veuille ou non, est le principal responsable de la situation. Il est temps que M. Clinton en prenne conscience sans faux-fuyants et en tire les conclusions. Les Etats-Unis portent la responsabilité de l’existence même d’Israël. Que M. Barak le reconnaisse ou non ne change rien aux réalités. La paix est un engagement américain depuis la crise de Suez. Déjà, sous le mandat britannique, certaines “commissions de conciliation” étaient entièrement américaines. Toute l’histoire des drames vécus depuis lors tient à une totale incompréhension des conditions de cette conciliation.
Le moment est-il venu d’avoir le courage de comprendre? Nous avons, après cent ans de déceptions, quinze mois pour le vérifier... 


Home
Home