Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

À QUOI SERT LE PALAIS BUSTROS?

On vient de m’en faire le reproche: “Vous autres journalistes, vous êtes d’éternels ronchonneurs, vindicatifs, nombrilistes et négatifs. Quels que soient les circonstances ou les régimes au pouvoir, vous vous rangez toujours dans le camp des opposants, ceux justement sur lesquels vous vous acharniez la veille encore... Quel est le secret de ces volte-face inexplicables et de cette hargne permanente?”
Je n’ai pas autorité pour parler au nom de la Presse - Melhem Karam et Mohamed Baalbaki sont là pour ça et s’en acquittent fort bien - et je n’ai, non plus, nullement l’intention de me justifier. Nos cibles ne sont pas les individus en tant que tels, mais ceux investis de responsabilités à l’échelle nationale et leurs faux-pas, surtout quand ces faux-pas se répercutent sur l’ensemble du pays et sa population.
Exemple? Eh! bien, exemple “l’absence”, ou presque, d’un ministre des Affaires étrangères. Théoriquement, nous en avons un en la personne du Premier ministre. Il n’est pas question ici ni de polémiquer avec le chef du gouvernement, ni de dénigrer ses nombreuses qualités et qualifications. Chacun reconnaît que l’homme et sa carrière au service de l’Etat inspirent la plus haute considération. Mais il ne s’agit pas, en l’occurrence, de décerner au président Hoss - déjà docteur en économie - un nouveau doctorat, honoris causa celui-là, en respectabilité. Il s’agit du détenteur du portefeuille des Affaires étrangères, un portefeuille que tous les gouvernements du monde considèrent comme majeur. A moins, bien entendu, que nous nous soyons arrangés pour rétrograder au rang de mineurs, incapables de décider par et pour eux-mêmes.
Est-il normal que dans les circonstances que nous traversons actuellement, à la veille de changements régionaux qui pourraient déboucher sur des bouleversements à la fois géo-politiques et humains, des bouleversements susceptibles de remettre en question le tracé de nos frontières, nos ressources hydrauliques et notre composition démographique - déjà en équilibre instable - est-il permis que nous n’ayons pas un ministre des Affaires étrangères à plein temps - et non pas part-time - qui sillonne les cinq continents et s’assoit, le cas échéant, à la table des négociations?
Plus grave que tout, la menace démographique. Elle est là. Elle nous pend au nez. Elle n’est pas nouvelle et ce ne sont pas les journalistes qui l’ont inventée. Ehud Barak, à qui la majorité du monde arabe a fait fête aux obsèques du roi Hassan II, n’a pas fait mystère de ses intentions et ce, à partir de la Maison-Blanche: les réfugiés palestiniens ne seront jamais autorisés à rentrer en Palestine. “Ils devront s’établir dans les pays où ils sont installés.”
Cela signifie, contrairement à ce que nous avions rabâché et claironné jusqu’à présent, que notre problème avec Israël n’est pas simplement l’exécution de la 425, mais surtout l’implantation des Palestiniens sur notre sol et la véritable catastrophe qui en découlerait. Non seulement à cause de l’exiguïté de notre territoire qui ferait de nous un second Bangladesh voué à la misère et à l’asphyxie, mais aussi du fait de la rupture d’un équilibre démographique qui serait pour le Liban une sentence de mort à plus ou moins brève échéance.
La réalité oblige à dire que la politique du régime, ainsi que celle du gouvernement est sans équivoque à ce sujet. Mais il ne suffit pas de l’affirmer au cours des conférences de presse, ni de le proclamer dans les discours et devant les caméras des télévisions. Faudrait-il encore en faire une condition sine qua non à la table des négociations.
Avons-nous délégué notre souveraineté? Qui conduirait les négociations en notre nom et place? Qui les superviserait, qui en suivrait le déroulement et les rebondissements, qui se concerterait avec qui? Ne faudrait-il pas un ministre à plein temps pour se consacrer à cette phase critique et combien dangereuse de notre Histoire? Un chef de gouvernement sollicité par des centaines d’autres problèmes, pourrait-il assumer cette charge et y faire face à lui tout seul?
Que voyons-nous aujourd’hui? Un ministère des Affaires étrangères qui baigne dans la morosité du silence, le haut lieu de la diplomatie livré presque à l’abandon, un ministre qui n’y pointe le bout de son nez que pour signer - une ou deux fois par semaine - le courrier à la va-vite.
Au train où vont les choses, bientôt l’herbe poussera sur le chemin et le perron du palais Bustros que ne foulent plus ni délégations, ni ambassadeurs.
L’aurait-on cédé en fermage ou bien privatisé, par hasard? 

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