Editorial



Par MELHEM KARAM 

LE ROI HASSAN II: "ECLIPSE DE LA MEMOIRE DU SIECLE"
MOHAMED VI PORTE LE FLAMBEAU ET MARCHE SUR LES TRACES DE SON PERE

Le grand écrivain français, Jean Lacouture, a consacré deux dossiers à deux hommes et deux leaders qu’il a considérés comme des pionniers, s’étant distingués dans l’Histoire de leur pays: le premier est le général de Gaulle à qui il a réservé un livre de plus de cinq cents pages, où il relate les secrets de sa personnalité et les rôles qu’il a joués sur les scènes française, européenne et internationale. De même, il a dégagé une partie du contenu politique stable de la Vème république proclamée par le général de Gaulle en 1958.
Il l’a qualifié de chêne plongeant ses racines dans l’Histoire contemporaine française.
La surprise a été grande, quand Jean Lacouture a consacré son second ouvrage à une personnalité qu’il avait admirée, parce qu’elle a joué un grand rôle dans l’Histoire de son pays, ainsi que dans l’Histoire de son environnement arabe et international: il s’agit de Hassan II, roi du Maroc.
A l’instar de nombreuses personnalités politiques françaises, entre autres M. Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle, Jean Lacouture revenait souvent au palais de Skhirat au sud de Rabat où il passait beaucoup de temps avec le roi Hassan II, lisant avec lui l’Histoire et échangeant les vues sur les développements politiques. Puis, il a écrit sur sa personnalité, sur sa passion pour la connaissance et sur sa vaste culture qui le distinguait de bien de ses pairs.
Le roi Hassan II, décédé la semaine dernière d’une manière subite, était une personnalité transcendante dans toute l’acception du terme.
Naturellement, il avait été formé par son père le roi Mohamed V, qui avait fait accéder le Maroc à l’indépendance en 1958, après avoir été exilé par les Français à Madagascar. Il n’était revenu à Rabat qu’après avoir reçu des affirmations et des garanties de la part du mandat français, assurant que le Maroc redeviendra un pays libre, indépendant et souverain.
En 1961, le roi Mohamed V est mort et Hassan II prit en charge le Pouvoir dans une étape parmi les plus difficiles de l’Histoire du Maroc, au temps où les Espagnols occupaient une grande partie de la carte marocaine, la région du Sahara, occidental ou Wadi Az-Zahab.
Dès les premiers jours de son entrée en fonctions, Hassan II s’est signalé par la longueur de vue et la prévision juste à partir de données politiques, sur base d’une analyse minutieuse et rationnelle de la situation, ce qui a suscité la jalousie de bon nombre de dirigeants de la région.
Il a persisté à grandir par ses décisions politiques, renforçant de ce fait le rôle du Maroc et son rôle géopolitique jusqu’en 1971, date à laquelle il s’est exposé à la première tentative d’assassinat au palais de Skhirat, où plus de cent membres de la garde sont tombés, au moment où il célébrait son anniversaire de naissance. Il est sorti indemne par miracle de de cet attentat. La tentative a été réitérée en 1973, lorsque son avion a essuyé des coups de feu. Gardant son sang-froid, le roi avait dit au pilote: Dites à ceux qui ont ouvert le feu sur l’appareil, que Hassan II a été mortellement atteint et qu’ils n’avaient pas besoin de continuer à tirer. Le roi Hassan a fait le mort jusqu’à ce que l’avion a atterri. Il en est sorti sain et sauf, alors que plusieurs parmi les passagers à bord avaient péri. Et ce fut le second miracle.
Les deux miracles ont doté Hassan II d’une relique politique et religieuse et d’une foi profonde qui lui ont permis de dépasser les nombreux tracas dans sa vie. Il avait entrepris la, “Marche verte” en 1975, récupérant ainsi une partie chère du Maroc à la mère-patrie. Cette marche a coûté à Rabat un lourd tribut et une guerre avec l’Algérie, une bataille ayant confronté les armées marocaine et algérienne en 1976 dans le Sahara. Le roi Hassan II est resté “sur ses positions et a réussi à édifier un Sahara moderne ayant Al-Ouyoun comme capitale. Bien que cette position ait coûté au Maroc beaucoup d’argent, de sang, d’efforts politiques et économiques.
Le roi Hassan II restera vivant dans la mémoire des Marocains et des Arabes. Naturellement, son livre distinctif: “Mémoire d’un roi” résume une grande partie de sa vie politique. Dans ce livre, il dit et pour la première fois, d’une manière inédite de la part d’un dirigeant arabe, que soixante pour cent de ses décisions étaient erronées. “Je n’ai pas honte de reconnaître qu’elles étaient erronées. Cependant, ajoute-t-il, j’ai œuvré en vue de les rectifier”.
Dans “Mémoire d’un roi” apparaît la marche d’un homme, d’un chef et d’un grand leader politique ayant joué un rôle fondamental dans l’élaboration du premier accord politique arabo-israélien dont il a été le parrain. Il a réuni au palais de Skhirat, Moshë Dayan et Ahmed Al-Touhami, émissaire du président Anouar Sadate en 1977. Ils se sont rencontrés, secrètement dans ce palais et ont paraphé, sous le double parrainage de Hassan II et de l’Amérique, le texte de l’accord de Camp David.
Ce fut le parrain de la paix entre les Arabes et Israël et “de la paix juste et globale qui restitue la terre et sauvegarde la dignité”. Il a été le premier a insister sur le principe de la terre contre la paix, ainsi qu’il apparaît dans la résolution 242 des Nations-Unies. La meilleure preuve à cela est que la grande communauté juive du Maroc appelle à la paix. Naturellement, elle compte une partie d’extrémistes, mais la majorité rallie le parti “Shass” favorable au retrait des territoires occupés et à un Etat palestinien. De plus, il manifeste de la souplesse au niveau politique, alors qu’il est extrémiste et dur au niveau idéologique.
Hassan II était un partisan de la paix, de l’entente et du resserrement des rangs arabes. Rabat et Casablanca ont été les sièges de la plupart des sommets arabes, lesquels ont dégagé des dénominateurs communs arabes, dans les phases les plus délicates de la région, au milieu de multiples conflits.
Le premier sommet de Fès a préparé le terrain à la. reconnaissance de l‘OLP en tant qu’unique représentant légal du peuple palestinien. C’est lui, aussi, qui a lancé le principe du troc de la terre contre la paix. Fes II en 1982; puis, les sommets se sont répétés en 1985-86. Hassan II était toujours le parrain de l’entente arabe et de la limite minima des dénominateurs communs, pour que les Arabes récupèrent leurs droits, ne serait-ce que sur la voie du petit pas, mais d’une façon complète et définitive.
La troisième caractéristique de cet homme, fut sa relation solide avec l’Europe. Il a été, en permanence, un interlocuteur jouissant de la crédibilité et du respect auprès des Français, qu’ils soient socialistes ou gaullistes. Et auprès des Américains qui le consultaient toujours à propos des initiatives qu’ils s’apprêtaient à entreprendre au Proche-Orient.
Naturellement, il reste la relation avec l’Algérie. Le roi Hassan II est parti sans avoir liquidé les profonds différends avec l’Algérie. Mais ses dernières prises de position ont apporté bien des positivismes. De son côté, le président algérien, Bouteflika a manifesté bien des éléments positifs. Ces derniers auraient pu se rejoindre à mi-chemin, à l’effet de créer un nouveau climat de relations entre les deux pays voisins qui constituent deux pôles importants dans la région du Maghreb arabe.
Hassan II adoptait bien des positions envers le Liban et il avait joué un rôle fondamental dans l’élaboration de l’accord de Taëf, le considérant comme un moyen de mettre fin à la guerre libanaise.
Il laisse un flambeau ardent à son fils aîné et prince héritier, Sidi Mohamed, à qui échoient les rênes du pouvoir, alors que son second fils, moulay Rachid, jouit de l’expérience, de la connaissance et de la vision. Tous deux sont capables, avec le rassemblement autour d’eux des peuples marocain et arabe et des dirigeants européens, d’engager le Maroc sur les traces de leur père, en vue de plus de solutions politiques pour lesquelles planifiait le monarque disparu, que ce soit dans le Sahara occidental ou au niveau du conflit arabo-israélien.
En conclusion, le “Prince des croyants” avait sa grande foi comme arme principale dans la vie politique. Il est parti en croyant. Quiconque a la foi de Hassan II, peut fermer ses yeux en toute sécurité et laisser le dépôt en des mains sûres.
En bref, l’homme était un barrage face au fondamentalisme qui n’a pas été réprimé sous son règne, mais a été traité avec souplesse, de manière à le transformer en associations de bienfaisance non politisées.
Si “Mémoire d’un roi” est son ouvrage le plus en vue, on peut le mieux résumer son effort et son don de soi, en le présentant comme la mémoire d’une ère tout entière, avec tout son déluge politique, ses guerres et ses crises. 

Photo Melhem Karam

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