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A LA RECHERCHE DE NOS EDILES

LeQuand est-ce que nous avons eu des élections municipales? Il y a un an? Deux ans? Dix-huit mois?... Le souvenir en est tellement perdu qu’on finit par se demander si elles ont effectivement eu lieu récemment. Pourtant et cela on peut bien se le rappeler, quand le gouvernement avait décidé de les organiser, on avait jugé que c’était un grand événement. Pensez donc! Il y avait plus de trente ans que cette opération de démocratie de base ne s’était pas produite.
On attendait donc un progrès décisif de ce renouvellement des conseils municipaux. Aujourd’hui, on peut se demander si vraiment cette élection a eu lieu. En tout cas, à Beyrouth, la capitale, qu’y a-t-il de changé? Apparemment, rien.

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A quel niveau le citoyen ordinaire peut-il mesurer le changement sinon au niveau de la rue? Or, que voit-on? Le même désordre, la même incurie.
Les quelques feux de signalisation qui avaient été posés bien avant les élections du conseil municipal, ne sont pas toujours respectés. Rien n’est prévu pour le passage des piétons. Les trottoirs sont toujours dans le même état. Les stations des autobus des transports en commun n’ont toujours pas de nom; les itinéraires et les horaires de ces véhicules antédiluviens sont encore un secret d’Etat. Et si je dois en juger d’après le spectacle qu’offre la Place Tabaris que je peux observer de ma fenêtre, c’est toujours la plus invraisemblable image du désordre que représente la circulation automobile en général.
Le plaisir de conduire une voiture au Liban est celui de l’aventure; c’est-à-dire de tous les dangers. Une jeune Libanaise d’Australie, de passage à Beyrouth, me disait l’autre jour, après avoir conduit un moment à Beyrouth et dans sa banlieue: “En Australie, quand vous êtes stressé, votre médecin vous conseille parfois d’aller faire un tour en voiture. Au Liban, ce doit être le contraire.”
Certes, le Liban ne possède pas les espaces d’un pays comme l’Australie. C’est, précisément, pourquoi le respect des règlements et des usages de la courtoisie devrait y être plus strict. Nous avons l’habitude de nous comparer à un pays de dimensions plus modestes: la Suisse... Mais je rêve!
Ce que j’en dis est totalement désintéressé car, pour avoir la paix, j’ai renoncé à la possession d’une voiture privée. Je suis donc devenu, généralement, piéton, c’est-à-dire une non-personne. Le piéton ne figure, en effet, dans aucune catégorie de citoyens dont les municipalités et le ministère de l’Intérieur sont supposés être responsables de leurs droits à emprunter une rue à pied, sans risquer de se faire écraser ou de tomber dans une creusade de trottoir quand, par hasard, le trottoir n’est pas occupé par des voitures.
Voici une expérience tout à fait significative que chacun peut faire: vous vous engagez sur un tronçon de trottoir que vous avez découvert libre quand soudain surgit une voiture qui, pour se garer, grimpe sur ce tronçon en vous ignorant complètement. Vous n’avez qu’à reculer précipitamment et à redescendre sur la chaussée - ou à avoir une crise cardiaque. Vous n’avez aucun droit.
Allez donc rêver de courtoisie ou de la liberté de flâner.
Nous ne parlons pas du bruit, du tapage nocturne ou diurne, des pétarades de motos, des klaxons, cela c’est déjà dans l’ordre normal du désordre généralisé.
Qui donc s’en soucie?
Nous avons élu un conseil municipal pour quoi faire?
Nous avons élu un député pour en faire un ministre de l’Intérieur (inamovible, en l’occurrence) pour quoi faire? Pour nous dire: je ne peux pas placer un gendarme derrière chaque Libanais (et probablement un autre gendarme derrière ce gendarme).
C’est une moquerie qui n’est pas drôle du tout et une manière facile de fuir les problèmes.
Tout ce qu’on demande à monsieur le ministre et à ses édiles, c’est un espace habitable où il soit possible de se déplacer à pied ou en voiture sans risque de finir à l’hôpital ou dans un asile psychiatrique.
Mais c’est probablement la lune!
Et ce n’est apparemment pas pour remplir ce genre de fonction au service de la communauté urbaine qu’on élit des députés et des conseillers municipaux; mais pour faire fonctionner une machine qui tourne à vide et pour créer de nouveaux “notables”.

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Soyons donc réalistes! Ce que j’écris là peut passer pour un mouvement d’humeur. Personne n’en tiendra compte. Le ministre rejette la responsabilité sur le citoyen. Le citoyen la rejette sur l’Etat. Finalement, personne ne réagit plus à ce genre de situation.
Aujourd’hui, tout le monde semble accoutumé à mal vivre dans un combat permanent pour simplement survivre. Cela s’appelle régression. Et c’est une pente où l’on peut glisser de plus en plus vite dès lors que personne ne se sent concerné. 


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