UN EXPERT EVOQUE LES PROBLEMES SUSCITES
PAR LES RESSOURCES HYDRAULIQUES AU P.-O.
WALID ARBID: "LE DOSSIER DE L'EAU EST EN PASSE
DE DEVENIR AUSSI IMPORTANT QUE CELUI DE L'OR NOIR"


Walid Arbid: le dossier de l’eau peut
modifier les équilibres stratégiques.
Titulaire d’un doctorat d’Etat en droit international et d’un diplôme de hautes études en diplomatie, le Dr Walid Arbid enseigne dans les universités du Liban et de France, ainsi qu’à l’Institut des études diplomatiques et stratégiques de Paris. Auteur de plusieurs ouvrages traitant des relations internationales, il évoque le problème des ressources hydrauliques au Proche-Orient et son influence sur le processus de paix.

PAS DE LOI INTERNATIONALE
En l’absence d’une loi internationale, les eaux sont considérées comme un facteur géopolitique principal dans cette région du globe, venant s’ajouter au pétrole. Les lois internationales régissant ce secteur, nous paraissent classiques. Or, de telles lois si elles existaient, pourraient empêcher l’utilisation du précieux liquide en tant “qu’arme destructrice”.
Ainsi, Israël a pu, étant donné sa puissance militaire, imposer les options qu’il juge nécessaires pour garantir sa “sécurité hydraulique”. De son côté, la Turquie jouit d’une supériorité dans ce domaine, car elle dispose de données lui permettant de servir ses ambitions régionales.
Dans ce même ordre d’idées, on peut dire que l’Egypte, étant donné sa puissance démographique et militaire, a la possibilité de protéger sa position géographique inadéquate, stratégique-ment, dans le bassin du Nil.
Le Dr Arbid préconise l’utilisation de procédés techniques valables, afin de combattre le gaspillage de l’eau, tout en procédant au dessalement de l’eau de mer pour économiser les réserves d’eau douce qui ont tendance à se raréfier, surtout en période d’étiage.

QUID DU PARTAGE DES EAUX?
A propos du partage des eaux entre les Etats riverains d’un fleuve, le Dr Arbid estime qu’une telle éventualité exige une étude pratique sur base de laquelle il sera procédé à la répartition des ressources hydrauliques et d’autres ressources naturelles dans la région proche et moyen-orientale. Dans le même temps, ajoute-t-il, il faut trancher la question du désarmement au double plan chimique et nucléaire.

A la question: Quelle est l’influence de l’eau au Proche-Orient sur la stratégie de paix?,
Il répond: Il ne fait pas de doute que ce problème figure parmi les facteurs importants au plan des ressources naturelles et de leur gestion, en vue de l’essor économique pour promouvoir le développement industriel et agricole.
Ajoutez à cela, les ambitions géopolitiques de chaque Etat de la région désireux d’affirmer sa présence, non seulement au plan national mais, également, au plan régional. Les exemples abondent: le haut barrage d’Assouan en Egypte et le grand projet d’Antioche en Turquie (GAP), etc...

On parle souvent d’une “guerre de l’eau” au Proche et au Moyen-Orient; cette guerre aura-t-elle lieu?
Le dossier de l’eau peut modifier les équilibres stratégiques et favoriser l’émergence d’alliances reflétant la dimension des forces en présence dans la région.
Il va sans dire que ce dossier commence à prendre une dimension plus grande que le dossier pétrolier, au point qu’il risque de devenir aussi important que l’or noir au cours du IIIème millénaire.

Quelles seraient les retombées d’éventuelles tentatives de mainmise sur les sources?
Ces tentatives existent déjà, ce qui explique les négociations multilatérales entre les Arabes et l’Etat hébreu.
M. Boutros Ghali, ancien secrétaire général des Nations Unies, a déclaré récemment: La prochaine guerre dans notre région aurait pour enjeu l’eau et non un conflit d’ordre territorial.
Le Dr Arbid cite, à ce propos, le litige opposant la Turquie, d’une part, à la Syrie et à l’Irak, d’autre part, en ce qui concerne le partage des eaux communes. La crise ayant envenimé les relations entre ces pays, avait atteint son paroxysme en 1990, lorsque la Turquie a réduit pendant tout un mois le débit de l’Euphrate, suite à l’inauguration en territoire turc du barrage d’Ataturk, suivie de celle d’une station thermique en juin 1992.
Par la suite, la Turquie a entrepris de construire une nouvelle station sur le cours du Tigre le 25 juin 93. Le fait pour ce pays de vouloir construire vingt-et-un barrages et dix-sept stations thermiques sur le cours  de ce fleuve, de l’Euphrate et de leurs affluents, constitue une menace pour la Syrie et l’Irak. Etant donné que plus de la moitié de la main-d’œuvre syrienne travaille dans le secteur agricole et les stations thermiques dont le rendement baisserait si ces nombreux ouvrages étaient édifiés sur le cours des deux fleuves en territoire turc.
Ainsi, l’eau joue un rôle primordial dans le conflit mettant aux prises ces trois pays limitrophes, en plus du problème kurde.

LE NIL, LE PLUS GRAND FLEUVE
Qu’en est-il des eaux du Nil?
Le Nil est considéré comme le plus grand fleuve du monde, son débit étant évalué à 84 milliards de mètres cubes par an. Il prend sa source dans les hauts plateaux en Ethiopie et compte entre autres affluents le Nil bleu. Quant au Nil blanc, le second affluent, il fournit 20% du volume total des eaux.
Le débit du Nil s’amplifie quand il est rejoint par le Nil blanc, ce dernier prenant sa source dans les montagnes du Burundi. Sa longueur est de 6.671 kilomètres et a son embouchure sur la Méditerranée, son bassin mesurant plus de 3 millions de mètres carrés.
Le Nil traverse neuf pays africains; ce sont, avec l’Egypte: le Burundi, le Ruanda, la Tanzanie, le Zaïre, le Kenya, l’Ouganda, le Soudan et l’Ethiopie. Ses eaux sont partagées entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan. Soixante millions d’Egyptiens vivent sur ses rives et considèrent le précieux liquide comme une question de vie ou de mort.

Le président Hosni Moubarak s’emploie à normaliser et à raffermir les relations de l’Egypte avec l’Ethiopie. Y parviendra-t-il et, dans la négative, quel en sera l’impact par rapport aux peuples des deux pays?
Il ne fait pas de doute que l’Ethiopie avait montré des réserves, voire de la méfiance à l’égard de la politique suivie naguère par l’Egypte, en raison de l’étau islamique dont Addis Abeba avait pâti dans le passé.
Puis, l’Etat hébreu et l’Ethiopie sont les seuls riverains (non arabes) de la mer Rouge et Le Caire ne voyait pas d’un bon œil un éventuel rapprochement entre Addis Abeba et Tel-Aviv.
Il ne faut pas écarter le danger d’un conflit armé dans cette région et, dans ce cas, le haut barrage d’Assouan revêtirait une grande importance stratégique.

LE DOSSIER DE L’EAU DANS LE CONFLIT DU P.-O.
Les ressources hydrauliques ne forment-elles pas un élément stratégique dans le conflit arabo-israélien?
Lorsque la Jordanie et Israël ont paraphé un traité de paix le 17 octobre 1994, le Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, a déclaré que c’était un “moment historique”.
L’Etat hébreu a proposé la recherche de nouvelles sources d’eau et les deux pays signataires sont tombés d’accord sur la réalisation de maints projets dont un barrage sur le fleuve du Yarmouk, l’un des affluents du Jourdain et à la construction d’usines pour la décantation de l’eau.

Quid de la stratégie de l’eau en Israël?
Il faut nous rappeler qu’au cours de la conférence de Paris, Weizman a demandé que les frontières-nord de Palestine englobent le mont Hermon (Jabal el-Cheikh), ainsi que les fleuves du Jourdain et du Litani, pour profiter des réserves du bassin du Yarmouk dont le débit était évalué, alors, à 85 % des réserves.
En 1921, le mouvement sioniste a obtenu l’autorisation de l’Autorité britannique d’exécuter un projet thermique, en vue d’explorer les eaux du Jourdain, du Yarmouk et du lac de Tibériade. En 1936, l’Agence juive a fondé, en coopération avec la fédération des ouvriers sionistes, une société en vue de réaliser des projets de caractère hydraulique en Palestine.
Mais la stratégie sioniste ne s’est pas arrêtée à ce stade; elle a lancé en 1944 un slogan significatif, en prévision de l’avenir: “La Palestine, terre des eaux”. Le mouvement sioniste projetait, alors, d’exploiter les eaux du Jourdain, du Yarmouk, du Banias, du Hasbani et du Zarka, dans la perspective d’installer quatre millions d’immigrants juifs.
Depuis 1948, Israël a adopté une politique visant à profiter de ses ressources hydrauliques, avec l’aide d’un ingénieur américain qui devint, par la suite, conseiller du gouvernement israélien. Ce dernier a fait creuser une canalisation près de la frontière syrienne, ce qui a incité Damas à déployer une force militaire dans la région. Puis, Israël a procédé à des travaux à la frontière jordanienne, à l’effet d’acheminer les eaux du Jourdain aux régions désertiques. Le président Eisenhower dépêcha son conseiller particulier, Erik Johnston, qui avait pour mission d’aider à la réalisation de projets hydrauliques afin d’assurer le partage des eaux entre la Syrie, la Jordanie et Israël.

L’EAU, ARME GÉOSTRATÉGIQUE
Jusqu’à quand l’eau restera-t-elle une arme géostratégique dans le conflit israélo-arabe?
Après la guerre de 1967, les Israéliens ont étendu leur hégémonie sur la région. La répartition de l’eau entre l’Etat hébreu et ses voisins constitue, sans nul doute un problème politico-stratégique complexe difficile à résoudre. Cependant, en l’absence d’une loi internationale régissant ce secteur, tout accord exige une coopération entre les parties concernées non moins difficile à obtenir.
Il est donc préférable que le Liban, la Jordanie et la Syrie procèdent à des études sur le terrain et se concertent en vue d’une exploitation commune de leurs ressources hydrauliques. Israël convoite ces ressources qu’il puise, actuellement, du Golan et à Banias; au Liban-Sud (Hasbani et Wazzani) et en Jordanie (Jourdain).

PROJETS MIXTES?
Le problème de l’eau constitue donc un facteur important dans le processus de paix au Proche Orient?
En effet, les spécialistes israéliens pensent que le conflit israélo-arabe ne peut être réglé que dans le cadre de projets mixtes qu’exécuterait Israël, en coopération avec les pays limitrophes. L’Etat hébreu rêve d’acheminer les eaux du Litani vers le lac de Tibériade ou de construire un barrage sur le Yarmouk...
Mais le Liban s’oppose à tout projet visant à détourner le cours du Litani. Depuis l’invasion israélienne du Liban en 1982, l’Etat hébreu tente de maintenir son occupation d’une partie du Liban-Sud, afin de pouvoir faire mainmise sur les ressources hydrauliques, principalement celles du Litani.

JOSEPH MELKANE
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