MIKHAIL NOUAIME (1889-1989)
Dans une cabane retirée et modeste, creusée dans le roc
à Chakhroub, Mikhaïl Nouaïmé, penseur dont le nom
peut être cité parmi les maîtres de la prose littéraire
arabe, a écrit des œuvres qui attestent une force de l’esprit, une
vaste connaissance et une puissance de travail peu communes.
D’une famille relativement modeste, il vit le jour le 17 octobre 1889
à Baskinta, localité riante et paisible, au pied de Sannine.
Son père Youssef partit en 1890 pour les Etats-Unis afin de fuir
le despotisme ottoman et s’installa en Californie. Le petit Mikhaïl
élevé par sa mère, un enfant timide et intelligent,
fit ses études primaires à l’école du village.
En 1899, le tsar de Russie envoie des missionnaires fonder des écoles
gratuites russes dans différentes régions du Proche-Orient
et au Liban. En 1902, Mikhaïl Nouaïmé débute ses
études secondaires et pédagogiques à l’Ecole normale
de Nazareth. Puis, il se rend en Russie où il suit des études
théologiques et philosophiques au séminaire de Poltava. Il
cultive, ainsi, la poésie, rompt avec la théologie et se
fait remarquer par le “Fleuve Gelé (1910). Coloriste, il peint les
régions et les lieux féeriques de Russie.
A 19 ans, il lit les chefs-d’œuvre des grands penseurs russes: Tolstoï,
Dostoïevski et Gogol. Nouaïmé rêve de s’inscrire
à la Sorbonne, mais son plan échoue et il part avec son frère
pour les Etats-Unis en 1911. Une fois en Amérique, il se consacre
à l’étude de la langue anglaise et s’inscrit à l’université
de Washington. En 1916, il quitte l’université avec une licence
en Droit, rejoint en France l’American Légion et assiste à
de terribles batailles sur le front franco-allemand.
En 1919, il revient à New York où il fonde avec Gebrane
Khalil Gebrane, Rachid el-Khoury, Arida, Haddad et Abou-Madi le groupe
littéraire: “Al-Rabitat Al Kalamia”. Ce fut le début de sa
vocation littéraire. Cette période dura de 1920 à
1935. Rentré au Liban en 1912, Nouaïmé élabore
une œuvre littéraire et philosophique dont le thème central
est le “marxisme spiritualiste”.
Son activité intellectuelle est polyvalente. La critique et
l’ironie ne sont pas absentes de ses réflexions. L’amour éveille
en lui un sentiment noble et tendre.
Son idée de la femme porte une empreinte de respect chaste.
Si, à son avis, l’homme est supérieur par l’esprit et le
caractère, la femme a pour elle la beauté et la vertu. Les
souvenirs de Nouaïmé sont passionnants. Il n’y faut pas chercher
un récit complet et suivi, ni un simple document biographique. Ses
contes sont imbibés de réalité et d’enchantement.
L’impression qui s’en dégage est celle de l’aisance et du naturel.
La phrase se déroule lentement comme un fleuve limpide. Son style
est le reflet de sa personnalité profonde; il en exprime les éléments
essentiels, la netteté de l’intelligence, la valeur des aperçus,
la richesse de l’imagination. Avec quel amour Nouaïmé n’a-t-t-il
pas parlé de sa localité natale, de sa cabane à Chakhroub
isolée dans la montagne au milieu des rochers! Il était le
parfait trait d’union entre ses compatriotes émigrés et leurs
parents restés au pays. Nouaïmé a connu la terreur des
Ottomans, la famine, l’émigration, la guerre mondiale. C’est un
homme de cœur croyant en l’immortalité de l’âme. On peut le
considérer comme un grand critique littéraire, un poète,
un dramaturge et un penseur à la fois. Son œuvre est considérable
et embrasse une grande variété de genres et de sujets. En
voici quelques-unes:
“Al-Ghorbal”, “Gebrane Khalil Gebrane”, “Karm Ala Darb”, “Fi Mahab
Al-Rih”, “Mirdad”, “Al-Yom al-Akhir”...
Considéré comme l’intelligence la plus ouverte et la
plus fine de notre ère littéraire arabe, Nouaïmé
est mort en 1989. |