À L'ECOUSTE DES GENS SANS VOIX | ||
La
faculté qu’ont les Libanais de se placer, spontanément, à
la pointe de ce qui se fait serait proprement admirable s’il ne s’agissait
que de progrès. Mais, hélas! il peut s’agir, aussi, de réaction
ou de surenchère.
Un rien peut, en effet, pousser le plus modéré, voire le plus apathique, de nos concitoyens (et de nos concitoyennes) à se lancer ou à se laisser entraîner dans les exagérations et les superlatifs et à ne plus en démordre, en attendant d’autres sujets d’attraction. Prenez le nassérisme, par exemple. Nul, en Egypte, n’en parle plus que comme une simple référence historique. Chez nous, les nassériens sont toujours sur la brèche et continuent à militer sous les plus virulents slogans en honneur du temps du raïs. Il y a d’autres exemples sur le plan politique ou confessionnel que nous nous abstiendrons de citer ici pour ne pas provoquer une levée générale de boucliers. Cependant, parmi tous les sujets à controverse, c’est le régime qui recueille tous les suffrages, en ce sens qu’il suscite les discussions les plus passionnées. Prenons comme exemple un cas précis dû à une initiative personnelle du président de la République. Dans son discours d’investiture, le président Lahoud a, à plusieurs reprises, prononcé des phrases telles “...les gens disent... les gens se plaignent... les gens veulent... les gens espèrent... les gens... les gens...” soulignant, ainsi, son intention de rester à l’écoute “des gens”, c’est-à-dire des Libanais de tous bords, surtout de ceux qui ne peuvent pas faire entendre leur voix. Et c’est probablement à partir de là que fut créée et mise en place, à Baabda, une cellule des plaintes, si on peut lui donner ce nom. On nous dit qu’en moins d’un an, cette cellule a reçu dans les 8000 plaintes de simples citoyens désespérés, ne sachant plus à quel saint se vouer et que 50% de ces plaintes ont déjà été réglées. Comme de juste, les pro-régime s’en vont partout crier leur émerveillement sur les toits, raconter des histoires merveilleuses et au besoin en inventer. Ils ne se font pas faute non plus d’évoquer à cette occasion - pour le honnir évidemment - le je-m’en-foutisme et l’égoïsme forcené des régimes précédents. L’exagération dans les louanges n’a cependant d’égale que celle dans la critique. Pour les détracteurs du régime - qui se dissimulent volontiers derrière une prétendue légalité - cette cellule des plaintes n’est qu’une opération de relations publiques destinée à “blanchir” le visage du président Lahoud, bien plus qu’un acte politique responsable. Et les accusations pleuvent: l’idée elle-même est de la provocation, elle est anticonstitutionnelle et illégale, la première présidence n’a pas à se mêler à ce genre de problèmes, elle empiète, ce faisant, sur le domaine de la deuxième présidence, elle ridiculise les départements ministériels, elle court-circuite l’administration... Je ne suis pas spécialiste en droit constitutionnel - il faudrait consulter à ce sujet le Dr Rifaï qui fait autorité en la ma-tière - mais je sais qu’en ce qui concerne l’administration, celui qui réussira à la court-circuiter aura son nom à jamais gravé en lettres d’or dans nos mémoires et dans nos manuels d’Histoire. Où était l’administration, héritée de l’immobilisme ottoman et des fameux “bakhchiches” en honneur du temps de la Sublime Porte, où étaient les ministères et leurs différents services quand des malades cardiaques, cancéreux, mendiaient les médicaments auxquels ils avaient droit et mouraient à la porte de l’administration concernée, parce que leurs papiers avaient été jetés au fond d’un tiroir et oubliés? Que de personnes auraient été empoisonnées par des troupeaux d’ovins malades ou de la viande avariée, que d’immeubles se seraient effondrés sur leurs occupants, que de crimes contre l’environnement ont pu être évités in extremis... et tout cela grâce à la cellule de plaintes de Baabda! Evidemment, le Premier ministre aurait pu prendre cette cellule à sa charge et la faire marcher non pas au ralenti - méthode qu’affectionne M. Hoss - mais au train où elle va actuellement. Cela pourra-t-il jamais arriver? Le député de Saïda M. Moustapha Saad a dit récemment: “Le problème de Rafic Hariri, c’est de croire qu’il est toujours chef du gouvernement.” Le problème de Salim Hoss serait-il d’avoir du mal à croire que c’est lui le chef du gouvernement? |
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