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Il
a hérité d’un lourd fardeau, celui d’un ministère
ployant sous tant de problèmes autant inextricables les uns que
les autres.
Puis, il a été parmi les membres du “Cabinet des 16”, celui qui a été pris pour cible et fait l’objet d’une cabale particulièrement féroce, au point qu’il a été “sur le point de démissionner”, selon certains milieux. Mais M. Georges Corm, ministre des Finances, nie avoir eu l’intention de résigner ses fonctions officielles, en précisant qu’il avait dû prendre quelques semaines du repos “pour raisons de santé”. Il explique la campagne virulente dirigée contre le gouvernement Hoss dès le premier jour de sa formation, par une tentative destinée à discréditer le Pouvoir et, surtout, à susciter le doute autour de la capacité de l’équipe ministérielle de faire face à la crise socio-économique. |
DETTE PUBLIQUE ET REDRESSEMENT FINANCIER
A la question: “La manière dont est traitée la question
de la dette publique et du déficit budgétaire, contribue-t-elle
à atténuer la crise financière?”,
M. Corm répond: “Tout Etat ayant contracté des dettes,
quel qu’en soit le volume, doit suivre de près les développements
sur les marchés financiers mondiaux, car toute évolution
négative sur ces marchés se répercute sur ses dettes.
Au Liban, le montant de la dette publique a atteint un niveau inadmissible
ayant eu pour conséquence d’étouffer les secteurs productifs.
Les gouvernements successifs auraient dû placer en tête de
leurs priorités cette question, d’autant qu’une partie de cette
dette est couverte par des banques ou des institutions financières
étrangères.
Le secteur bancaire libanais qui en a fourni une grande partie, est
également influencé par les fluctuations financières
et monétaires au plan mondial.”
Des points d’interrogation ont été posés sur
le plan de redressement financier élaboré par le gouvernement.
Il va sans dire que ces critiques s’insèrent dans la cabale
de l’opposition. Or, ce plan avait été mis au point avant
la constitution de notre gouvernement, par des experts financiers qui avaient
mis en garde, à l’époque, contre les retombées négatives
de la politique financière qui était suivie sur l’économie
nationale.
Quand le président de la République est entré
en fonctions, son action reposant sur la transparence et visant à
édifier l’Etat des institutions, nous devions nous conformer à
sa vision et à ses directives, en accordant la priorité au
plan de redressement financier.
Etant donné mon esprit démocratique, je suis acquis au
dialogue en vue de la recherche des meilleures solutions à nos problèmes,
ainsi que je l’ai montré au Conseil des ministres et lors des réunions
de travail de la commission ministérielle chargée des problèmes
économiques.
Le plan de redressement financier auquel ont été apportées
certaines modifications et bien que je n’approuve pas quelques-unes des
idées qui y sont consignées, bénéficie de l’appui
du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et des banques
internationales. Car, pour la première fois depuis qu’est apparu
le déficit budgétaire, un gouvernement s’emploie à
remédier à la situation.
UN GRAND EXPLOIT A ÉTÉ RÉALISÉ
Quels points du plan de redressement ne correspondent pas à
votre optique?
J’aurais souhaité en tant qu’expert financier, que la réforme
fût plus radicale dans ce secteur. Cependant, en tant qu’homme politique
prenant en considération les données sociologiques, politiques
et économiques du Liban, je crois que ce qui a été
réalisé jusqu’ici constitue un grand exploit.
Puis, des tabous ont été éliminés, tels
notamment les dix pour cent à prélever de l’impôt sur
le revenu. On croyait, précédemment, que nous n’avions pas
besoin de procéder à une réforme fiscale et que la
dette publique peut se traiter d’elle-même. Ces idées préconçues
et le discours économico-financier qui étaient en cours chez
nous sont maintenant dépassés.
Aujourd’hui, un débat logique et sain est institué par
rapport à la privatisation, la réforme fiscale, la dette
publique et le service de cette dette. J’imagine que la scène libanaise
assiste, maintenant, à une renaissance dans la culture financière
et économique.
LES FAUX CALCULS DE LA NÉO-OPPOSITION
L’opposition soutient que la proportion du déficit budgétaire,
telle que proclamée par le gouvernement, est de loin inférieure
à la proportion réelle.
L’opposition qui était précédemment au Pouvoir,
manipulait en permanence les chiffres et statistiques. Elle ne peut imaginer
qu’un gouvernement puisse appliquer, effectivement, les principes qu’il
s’est engagé à respecter, que ce soit dans le discours d’investiture
ou la déclaration ministérielle. Or, les chiffres actuels
sont, on ne peut plus transparents et nous nous préoccupons de déterminer
l’image exacte des finances publiques.
L’opposition mêle le déficit aux anciennes dettes que
les précédents gouvernements n’ont pas acquittées.
Il s’agit, en fait, de sommes énormes dues au secteur privé,
aux hôpitaux et aux entrepreneurs, notamment.
Tout en reconnaissant ces dettes, nous ne les avons pas payées
en espèces, mais au moyen de bons du Trésor.
En ce qui concerne le reste des dépenses, le bilan mensuel diffusé
par le ministère des Finances indique que nous nous maintenons au
niveau des 38% par rapport au déficit budgétaire et, de 43%,
par rapport aux dépenses générales.
POLITIQUE BASÉE SUR LA TRANSPARENCE
D’aucuns prétendent que les principes économiques
adoptés par le “Cabinet des 16” sont les mêmes que ceux du
précédent gouvernement. Dans quel domaine avez-vous innové?
Les efforts déployés en 1998 pour juguler le déficit,
étaient basés sur l’action des industriels. Le non-paiement
des sommes dues au secteur privé a aggravé la situation et
contribué à accentuer le marasme économique.
Nous agissons d’une manière différente, tenons compte
des sommes dues aux citoyens et y faisons face sur base de la loi sur la
comptabilité publique et le système parlementaire.
De fait, nous avons obtenu le feu vert de la Chambre des députés
pour acquitter ces dettes après nous être assurés de
leur exactitude. En tant que ministre des Finances, j’ai demandé
au Conseil des ministres d’approuver le paiement d’une première
tranche de ces dettes dans une proportion de 30 pour cent, en veillant
à ce que tous les ayants-droit soient traités sur le même
pied d’égalité, ceux-ci bénéficiant du taux
d’intérêt à partir d’une même date, le 6 août
1999, les bons du Trésor en vertu desquels une partie de leurs dettes
est acquitée ayant la même échéance, le 6 août
2002.
PLAN D’ASSAINISSEMENT FINANCIER
Les organismes économiques ont émis un avis défavorable
quant aux solutions fiscales prévues par le plan de relèvement
financier. Pourquoi?
Les organismes économiques sont obnubilés par l’idée
qui prévalait précédemment, selon laquelle les taxes
affectent l’économie et l’empêchent de progresser. En réalité,
ils se contredisent dans leurs revendications: d’un côté,
ils se prononcent en faveur de la réduction du déficit budgétaire
et des dépenses publiques pour mettre un terme au gaspillage des
fonds publics, ce sur quoi nous sommes d’accord. Et, d’un autre côté,
ils préconisent une politique différente sur base de l’accroissement
des dépenses, en vue de réactiver l’économie et les
secteurs productifs; ceci les a menés à l’impasse et au marasme,
ce que nous ne pouvons admettre.
Nous sommes attachés au plan d’assainissement financier, pour
pouvoir asseoir l’activité économique sur de nouvelles bases
et des moyennes élevées de développement, capables
de se perpétuer avec le temps.
L’Association des industriels a soulevé autour du plan de
redressement, la question du secret bancaire. Celui-ci est-il sauvegardé?
Un climat médiatique a été créé
dans le pays hostile au plan de la réforme et des gens ont été
influencés par des rumeurs propagées dans ce sens. Le chef
du gouvernement a déclaré maintes fois et, moi aussi, que
le secret bancaire au Liban est intouchable.
La majoration des taxes sur certains produits importés a eu
pour conséquence de relancer la contrebande. Comment envisagez-vous
d’y faire face?
Nous savons qu’une partie des quantités importées en
contrebande dans le passé, était réexportée
de la même manière.
La président de la Chambre a réclamé l’abrogation
de la surtaxe sur le tabac...
La majoration était élevée et je n’y étais
pas enthousiaste. Je crois que si les quantités importées
étaient réduites, la consommation intérieure se limiterait
à soixante mille caisses par mois, ce qui est un bon chiffre. Avec
le relèvement de la taxe douanière, des recettes supplémentaires
seront versées au Trésor.
L’important est de pouvoir industrialiser ce secteur.
SITUATION CATASTROPHIQUE À L’OEL
Vous aviez suggéré la réduction du coût
des services aux plans social et économique. Est-il possible de
concrétiser cette suggestion?
La plus lourde part du legs que nous avons hérité est
constituée des tarifs des services, notamment ceux de l’électricité,
dont le dossier est chargé d’erreurs au double plan technique et
financier. De fait, la situation financière de l’Office de l’Electricité
est catastrophique. Nous étudions ce dossier et le ministère
des Ressources hydrauliques et électriques élabore un plan
de réforme prévoyant des tarifs calculés sur une base
saine. Ce dossier est très complexe et requiert un certain temps.
Les citoyens ont raison de se plaindre des tarifs abusifs de l’électricité,
ces derniers étant élevés, surtout pour le citoyen
ordinaire, les industriels et les secteurs économiques.
A quelles réformes procédez-vous au sein de votre département
ministériel?
Nous avons concentré notre attention et nos efforts sur l’aspect
fiscal, en raison de la baisse dans les recettes. Aussi, avons-nous décidé
de réactiver la perception des impôts et taxes, tout en rationalisant
les dépenses, en application de la politique d’austérité
instaurée par le régime.
D’autre part, nous veillons à respecter les délais que
nous nous sommes fixés, en ce qui concerne la taxe sur la valeur
ajoutée (TVA), le timbre fiscal, l’unification de l’impôt
sur le revenu, la révision de la loi sur la comptabilité
publique et la réorganisation du ministère des Finances.
FAUT-IL CONVERTIR L’OR?
En ce qui concerne la réserve en or, êtes-vous favorable
à sa conservation ou à sa conversion et pourquoi?
Je ne préconise ni l’une ni l’autre de ces options. En tant
que ministre des Finances, toute déclaration au sujet de l’or est
délicate. Il est prématuré d’envisager cette question
à laquelle une large partie de l’opinion publique accorde beaucoup
d’importance.
Il paraît que l’or, dont la valeur est en chute dans le monde,
ne constitue plus une garantie?
Jusqu’à présent, la réserve en or de la Banque
centrale constitue un facteur de confiance. Je n’ai pas d’objection à
ce que ce sujet soit soulevé dans les débats économiques
et financiers. Mais en tant que ministre des Finances, je ne vois pas la
nécessité de changer la situation. En tout cas, la question
est entre les mains de l’Assemblée nationale qui a élaboré
une loi interdisant à la Banque centrale de toucher à la
réserve en or.
Le président Hoss affirme que, pour la première fois,
il est procédé à la séparation des deux notions:
la livre libanaise et la politique. Qu’en pensez-vous?
Ceci constitue une grande réalisation de notre Cabinet. Les
citoyens réalisent que le gouvernement est responsable et agit en
vue de régler les problèmes financiers et l’inflation qui
caractérisaient les années précédentes. Le
regain de la confiance envers la monnaie nationale et toutes les mesures
que nous avons entreprises ont rassuré les marchés local
et étrangers. Toute déclaration politique n’aura aucun impact
sur la livre libanaise, surtout avec l’instauration de la démocratie
et de l’Etat des institutions.
STABILITÉ MONÉTAIRE
Dans le passé, la conception prédominante associait
la stabilité monétaire à la personne du président
Hariri, ancien Premier ministre. Comment s’est-elle dissipée, même
avant l’élaboration du plan de redressement financier?
Cette conception s’est réellement dissipée depuis mai
dernier, lorsque les réformes ont commencé à être
appliquées. Malgré la campagne dont nous avons été
la cible, nous avons pu stabiliser la situation. En tout cas, le fait d’associer
le sort de la monnaie nationale à une personne, abstraction faite
de son importance, avait un impact négatif sur le marché
des changes au Liban.
Dans quelle mesure, M. Fouad Sanioura, ancien ministre des Finances,
est-il responsable des politiques financières adoptées précédemment?
Depuis plus d’un an, j’avais exprimé mon opinion concernant
les précédents gouvernements, la reconstruction ayant pris
forme avec le projet Solidere, ceci allant de pair avec la négligence
de la crise socio-économique dont pâtissait le pays depuis
quinze ans. J’avais appelé à l’élaboration d’un plan
global, en vue de remédier aux séquelles de la guerre. De
même, j’ai prôné l’imposition d’une taxe exceptionnelle
sur les richesses acquises durant la guerre et la restitution des fonds
acquis par les miliciens.
Ces propositions sont-elles applicables aujourd’hui?
Non, parce que nous sommes entrés dans une nouvelle étape.
Ce qui est valable au cours d’une année déterminée,
ne peut être appliqué après dix ans. Aujourd’hui, le
président de la République a consolidé l’entente nationale,
les lacunes dans l’application de l’accord de Taëf ont été
comblées et la politique des quotes-parts a pris fin.
RELÈVEMENT DES TAXESET JUSTICE SOCIALE
En ce qui concerne le relèvement des redevances sur les services
que vous planifiez, prévoyez-vous une baisse au cours d’une période
déterminée?
Deux facteurs influent sur l’opinion publique: Primo, les médias
qui contredisent ou renient les réalisations du gouvernement. Secundo,
le fait de mêler les notions de taxes et du prix des services publics.
Les factures de l’électricité, de l’eau et du téléphone,
ne constituent pas des impôts mais des coûts que nous payons,
en contrepartie de notre abonnement à ces services. Certes, ces
coûts sont élevés et nous en échelonnons les
paiements.
L’impôt sur le revenu et les tarifs douaniers constituent des
taxes qui, selon les chiffres, sont les plus basses au monde.
Nous avons procédé à leur majoration de manière
à en exempter les catégories à revenu limité.
De même, nous avons augmenté l’impôt sur le revenu pour
les catégories sociales aisées; les augmentations en cours
concernent les revenus annuels dépassant cent millions de livres
libanaises. Ainsi, notre politique fiscale tient compte de la justice sociale.
Approuvez-vous la revendication de la CGTL concernant la majoration
des salaires?
Nous reconnaissons le malaise social qui remonte à 1992, lorsque
la dernière vague de spéculation a provoqué l’effondrement
de la monnaie nationale et la perte du pouvoir d’achat des citoyens dont
les revenus sont en livres libanaises. Le remède à cette
situation ne consiste pas, en premier lieu, à augmenter les salaires
mais à consolider la monnaie nationale, à travers le renforcement
de la productivité.
Nous œuvrerons en vue de remédier aux problèmes sociaux,
par l’obtention de prêts à long terme à des conditions
favorables, pour aider les catégories à faible pouvoir économique.
Un projet consiste à créer un fonds social financé
par l’Union européenne. Je mène des pourparlers avec la Banque
mondiale en vue d’assurer des prêts aux secteurs sociaux.
ENDETTEMENT EXTÉRIEUR ET IMPLANTATION
On craint que l’endettement extérieur soit le prélude
à l’imposition de l’implantation, en contrepartie de l’annulation
des dettes extérieures du Liban. Qu’en pensez-vous?
L’augmentation de la dette n’a pas d’importance, puisque le Liban obtiendra
une aide dans le cadre des négociations de paix.
Prenons, à titre d’exemple, la Jordanie où vit une grande
colonie palestinienne. Ce pays connu pour sa politique favorable à
l’égard des pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis, a obtenu,
après la signature du traité de paix, 750 millions de dollars,
soit 10% du total de ses dettes évaluées à 7 milliards
de dollars. De même, l’Egypte, qui est d’une grande importance régionale
pour les Etats-Unis, a contribué à la guerre du Golfe et
signé l’accord de “Camp David”, n’a été exemptée
que du tiers de ses dettes, évaluées à 42 milliards
de dollars, selon des conditions sociales, économiques et financières
sévères. Ainsi, le fait de lier l’annulation de la dette
ou l’aide financière à l’implantation des Palestiniens au
Liban, relève de l’utopie. En tout cas, notre attitude est claire:
nous refusons à tout prix l’implantation.
Le gouverneur de la Banque centrale est considéré comme
l’un des symboles du gouvernement précédent. Le renouvellement
de son mandat pour six prochaines années est-il le fait de sa compétence
et de sa rupture avec le président Hariri? Une de ces conditions
est-elle suffisante pour son maintien à la tête de la BDL?
Les marchés financiers, en général, n’aiment pas
le changement, surtout au niveau des responsables compétents. Personnellement,
lorsqu’en 1984, on m’a proposé la direction de la Banque centrale,
j’ai décliné l’offre et demandé la réélection
de cheikh Michel Khoury. Il y a une différence qualitative entre
le régime précédent et l’actuel. La relation entre
la Banque centrale et le ministère des Finances est harmonieuse,
alors que dans le passé elle était perturbée, ce qui
influait, négativement, sur le marché financier. Aujourd’hui,
nous travaillons en parfaite coordination, ce qui se répercute,
positivement, sur le marché des changes.