ANCIEN PREMIER MINISTRE AMINE EL-HAFEZ:
"L'ACCORD DE WYE RIVER DISSIPE L'ESPOIR EN UNE PAIX JUSTE ET GLOBALE"

S’étant éloigné depuis quelque temps de la vie politique active, après avoir passé trente-et-un ans sous l’hémicycle, le président Amine el-Hafez occupe son temps par la lecture et l’observation des développements de la conjoncture locale et régionale, sans rompre ses relations au double plan arabe et international.
Après avoir dirigé pendant près de trente ans la Commission parlementaire des Affaires étrangères, il est actuellement à la tête du Conseil de direction du congrès permanent pour la lutte contre l’invasion culturelle sioniste. Cet organisme estime que le danger sioniste dans ce domaine s’intensifiera au fur et à mesure que l’opération de paix approchera de son épilogue. Aussi, insiste-t-il sur la nécessité de sauvegarder la personnalité culturelle arabe.
 
Invité à commenter l’accord palestino-israélien signé, dernièrement, à Charm el-Cheikh, en plus de celui de Wye River, le président el-Hafez émet ces réflexions: “Il a apporté à l’Autorité palestinienne et aux leaders arabes qui la soutiennent, un nouvel espoir émanant d’une série de déceptions. Aux opposants à l’accord mentionné, il a ajouté un nouveau maillon de désespoir et de perte de confiance en une paix juste et globale.
Les antagonismes persistent, la perplexité domine les cercles politiques arabes, alors que le chef du gouvernement israélien, ses alliés et collaborateurs persévèrent dans leur politique faite de duplicité et de tromperie, le comportement de Benjamin Netanyahu s’étant distingué par sa franchise et sa fermeté.
Quant aux retraits israéliens (au plan administratif et non militaire) du territoire palestinien, ils ne laissent prévoir aucune concession lors des négociations sur le statut final. En fait, l’opinion israélienne n’est pas encore prête à accorder des concessions aux Palestiniens, si minimes soient-elles, surtout en ce qui concerne les problèmes vitaux que sont ceux des réfugiés, de Jérusalem, des eaux et de la souveraineté par la création d’un Etat indépendant.

ISRAËL TABLE SUR NOS DISSENSIONS
Les Israéliens tablent, sans doute, sur les dissensions interpalestiniennes pour faire prévaloir leur position et imposer leurs conditions?
Nous n’avons pas oublié le temps, combien long et les efforts déployés pour régler le problème de Taba. Comparée à ce petit problème, la cause palestinienne constitue une affaire de grande dimension dont le règlement nécessitera des années de pourparlers. Puis, les Palestiniens n’ont pas encore pris conscience de la force du “non” qu’utilise la Syrie pour mettre en échec toutes les visées de l’Etat hébreu et maintenir l’équilibre des forces dans la région.

La visite de Mme Madeleine Albright au Liban et en Syrie a-t-elle donné les résultats qu’en escomptaient Beyrouth et Damas? Les négociations sur les volets syrien et libanais reprendront-elles au point où elles avaient abouti en 1996?
Aucun jour je ne me suis attendu à voir les responsables ou émissaires américains nous apporter un cadeau susceptible de nous réjouir, leur souci ayant toujours été d’exercer des pressions sur nous ou de faire du chantage pour nous amener à souscrire aux demandes et conditions d’Israël. Et en ce qui nous concerne, à renoncer à nos constantes fondamentales auxquelles nous sommes fermement attachés.
En ce qui a trait à la visite de Mme Albright, de deux choses l’une: ou elle n’était pas préparée à engager le dialogue avec nous pour recueillir notre point de vue; ou elle connaissait à l’avance notre point de vue et n’y attache pas d’importance, tant qu’il ne va pas dans le sens souhaité par Israël. Mme Albright ne savait-elle pas que l’implantation des réfugiés palestiniens au Liban est un danger mortel pour l’entité de notre pays? Elle ne l’ignorait pas sans doute, mais peu lui importe que le Liban assure sa pérennité ou disparaisse, du moment que le plan sioniste est en marche! On peut en dire de même à propos des négociations multilatérales dont l’ordre du jour comprend, aussi, le problème des réfugiés.

HISTOIRE DE “LIÈVRE” ET DE “TORTUE”
Dans son discours d’investiture, le président Lahoud a parlé de l’Etat de la loi et des institutions, de la réforme et du changement: les vents soufflent-ils dans le sens souhaité par le régime?
Si le président Hariri était resté chef du gouvernement, vous auriez pu répondre vous-même à cette question, sa manière de gouverner étant percutante, alors que le président Hoss est calme; c’est une “tortue”, alors que son prédécesseur est un “lièvre”. Selon la fable, la tortue a devancé le lièvre. Mais ce n’est qu’une légende.

Que voulez-vous dire par là; pourriez-vous expliciter davantage votre pensée?
Si le président Hariri était resté au Pouvoir jusqu’à la fin de l’an 2000, son expérience aurait été menée à son terme; on aurait pu, alors, porter un jugement sur son style de gouvernement et dire s’il a réussi ou échoué.
Mais que Dieu lui pardonne, il a choisi de se retirer. Ses détracteurs répondront que s’il était resté au Grand Sérail, il aurait mené le pays au gouffre, faisant allusion à la dette publique qui s’élève à vingt milliards.
Le Liban aurait-il supporté ce genre de gestion gouvernementale en un si court laps de temps? Je ne suis pas en position me permettant de porter un jugement adéquat.
Le proverbe français dit: Le style, c’est l’homme. Les responsables gravitant sur la scène politique ont leur style propre. Laissons un jour à l’un d’eux le temps de parachever son expérience.

Quel est votre avis au sujet de la nouvelle loi électorale?
Toutes les formules proposées ont leurs avantages et leurs inconvénients. L’important est d’élaborer une loi dont les avantages excèderaient ses lacunes. Partant de mon expérience politique de quarante ans, j’accepte toute formule et n’en rejette aucune, chacune ayant ses avantages. Ce qui compte, en définitive, c’est l’application de la loi et la détermination des gouvernants d’assurer le déroulement de la consultation populaire dans un climat démocratique libre.

Comment expliquez-vous la concordance de vues entre l’Amérique et l’Europe à propos de la position de Ehud Barak relative aux réfugiés palestiniens, ce dernier préconisant de les implanter dans les pays d’accueil? Ce problème vous préoccupe-t-il?
Certainement, comme il préoccupe les Libanais, toutes communautés confondues. Ce qui me gêne, c’est que le Pouvoir libanais n’ait plus d’autre alternative que de prendre des décisions dures et inhumaines, telle celle de mettre fin à l’action de l’UNRWA, privant les réfugiés de ses prestations. Dans ce cas, les Palestiniens vivant dans les camps seraient contraints de rechercher un gîte sous d’autres cieux.
Je souhaite qu’on n’ait pas à opter pour une telle décision pour un double motif: d’abord, parce que je ne souhaite pas plus de privations et d’épreuves aux frères palestiniens; ensuite, je ne veux pas imaginer que ceux-ci perdent, définitivement, l’espoir de réintégrer leur patrie.
Ici, je voudrais soulever un point délicat: le Liban est considéré comme la base fondamentale de la présence chrétienne en Orient. L’affaiblissement de son rôle se répercuterait, négativement, sur le moral et la présence de tout chrétien dans cette région du globe, y compris les coptes.
Du moment que l’implantation menace la présence chrétienne, je me demande pourquoi le Vatican n’agirait pas pour conjurer ce danger?
Le Saint-Père ne cesse de proclamer l’affection qu’il voue à notre pays, suivi des chefs spirituels chrétiens, mais un tel sentiment ne se manifeste pas et ne se concrétise pas au plan pratique ou d’une manière claire.
Pourtant, 70 millions de catholiques vivent aux Etats-Unis qui disposent du pouvoir de décision au plan mondial. Ces catholiques peuvent constituer un lobby capable d’exercer des pressions sur l’Administration américaine pour préserver la personnalité chrétienne au Liban. Qu’attendent-ils pour s’exécuter?

Propos recueillis par
JOSEPH MELKANE

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