PROMOTEUR DE L'EXPOSITION SUR L'ART NUMERIQUE ET HOMME DE SON EPOQUE
MIGUEL CHEVALIER: "J'AIME TRAVAILLER SUR L'HISTOIRE POUR ACTUALISER LE PASSE"


Musique pour le moins étrange. Espace vaste plongé dans la pénombre. Voûtes, arcades, combles et arabesques très anciennes.
Lieu désert, abandonné, où le temps semble s’être arrêté. C’est le décor idéal choisi par l’artiste futuriste, Miguel Chevalier, pour faire revivre le passé et ranimer les images qui s’estompent.
Au moyen de son ordinateur, il recycle, restructure, transpose et analyse des images pixellisées, vivantes et mouvantes qui risquent, à chaque intervention, d’être perturbées, désintégrées et redéfinies.


Les derniers préparatifs dans les 
vastes et riches décors de la Fabrika.


L’ambassadeur de France au Liban, 
M. Daniel Jouanneau, Saër Karam, 
Miguel Chevalier,Alain Fouquet, conseiller
culturel près l’ambassade de France.

UN LONG CHEMIN TRAVERSÉ DEPUIS 1985
A la Fabrika (ancienne imprimerie catholique), dans la nef principale, sur un immense écran tendu en diagonale entre sol et mur, est projetée l’œuvre principale “Mémoires et Mutations” de l’exposition “Réseaux Croisés”.
Inaugurée sous le patronage de M. Mohamed Youssef Beydoun, ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur et de l’ambassadeur de France au Liban, M. Daniel Jouanneau, l’exposition est organisée par l’AFAA (ministère français des Affaires étrangères), l’Académie Libanaise des Beaux Arts-Université de Balamand, le CCF  de Beyrouth avec le concours de “Dar Alf Leila wa Leila” et Kodak - Near East Inc.
Les intéressés ont pu apprécier durant une semaine, outre l’œuvre principale portant sur Beyrouth, trois autres installations mélangeant la vidéo et les images de synthèse: “Turbulences numériques”, “Natures liquides” et “Aller-retour Tokyo-Kyoto” (Japon).
Ils ont, aussi, bénéficié de l’accueil, de la tournée guidée et des explications fournies par Miguel Chevalier lui-même.
L’homme, l’artiste, derrière sa machine, a fait un long chemin avant d’en arriver là. Depuis 1985, l’année de son passage au “Pratt Institute” et à la “School of Visual Arts” à New York, il n’a cessé de défricher le terrain.
En 1988, il expose au musée d’Art moderne de Paris; ce fut le lancement. Parmi ses œuvres: “Image, Puissance Infinie” à Fukuoka au Japon, en 1995, “Périphérique”, en 1998 à l’espace Cardin, “Croissances et Mutations”, en 1998-1999 à l’espace Landowski de Boulogne-Billancourt.
“Réseaux Croisés” est sa première exposition au Moyen-Orient. “La Revue du Liban” a saisi l’occasion pour l’interviewer.

BEYROUTH, VILLE EN PLEINE TRANSFORMATION
Cette exposition vise quoi au fond?
Créée dans le cadre de Beyrouth, capitale culturelle, il y a dans cette exposition une œuvre que j’ai créée spécialement sur Beyrouth. Ce qui m’intéressait, c’est de travailler sur la notion des strates. Et comme à certains moments on accumule des informations qui deviennent des éléments déterminants, alors que d’autres s’estompent, dans ces films, dans cette installation vidéo-numérique, tout est travaillé avec des outils informatiques. A partir de là, on peut travailler sur beaucoup de couches d’images qui font penser à des strates de mémoire, à l’instar de l’histoire de cette ville - Beyrouth - constituée à la fois d’éléments terribles qui l’ont meurtrie mais, aussi, une ville qui est en plein changement et transformation.
J’ai voulu essayer d’exprimer par les moyens actuels cette notion de la mobilité, du mouvement qui caractérise Beyrouth.


Miguel Chevalier (à gauche) posant
avecM. et Mme Jouanneau, M. Mansour
Moubarak, Mme Nicole Harfouche.

M. Jean-Claude Voisin,
directeur du CCF.

“Le but est un peu de désacraliser 
l’art, qui est figé. Ici l’œuvre est en
mouvement et se transforme continuellement”... 
Une expérience vécue par M. Jouanneau.

Combien de temps vous ont pris la préparation et la mise en place d’une telle exposition?
La conception et la réalisation du projet ont pris trois mois et demi. J’ai demandé à Gérard Hourbette de composer la musique. Il était venu à Beyrouth juste après la guerre. Il a vu la ville dans un état bien pire que moi. Alors, l’idée était comment la folie des hommes peut arriver à détruire leur propre passé! Dans sa musique, il y a à la fois des éléments nostalgiques, des choses qui ont disparu mais, aussi, un univers présent avec des éléments de vitalité.

Avez-vous discuté avec des artistes libanais de ce nouveau moyen d’expression qu’est l’art numérique?
J’ai discuté avec plusieurs artistes, dont Nadim et Hélène Karam. Je suis conscient de ne pouvoir rallier tout le monde. Simplement, j’essaie de m’exprimer, de m’entendre avec les outils de mon temps.
Actuellement, Beyrouth est traversée d’une autoroute allant du Nord au Sud, d’où cette espèce de téléscopage, de ce travail sur les deux mouvements linéaires de va-et-vient. On vit, aujourd’hui, un monde d’hybridation et c’est, à la fois, l’idée de mixité, de mélange et de strates qui en font, j’espère, la création.

RÉACTUALISER LA CALLIGRAPHIE ANCIENNE
Certains reprochent à l’art numérique l’absence de l’émotion ressentie devant une œuvre de peinture par exemple?
Pour certains, l’art numérique est formidable puisqu’il exprime ce qu’ils ressentent et n’arrivent pas à exprimer eux-mêmes par les moyens traditionnels. Mon travail ne consiste pas à faire l’apologie du numérique. Il n’est pas moderne, parce que j’utilise les nouvelles technologies. Il est actuel et essaie de s’insérer dans le monde qui nous entoure. Il est très difficile de traduire avec les moyens traditionnels la notion de flux, de l’immatérialité. Des gens ont été agressés par la musique, je dirais, mais tout être sensible ne peut rester indifférent.

Pourquoi la Fabrika, ce contraste entre art futuriste et passé?
C’est un milieu très fort, un milieu de mémoire et comme je travaille à partir de la mémoire, je trouve que c’est tout à fait adéquat. Aussi, parce que c’est un lieu qui risque d’être détruit et répond à ce que les artistes ont besoin aujourd’hui pour s’exprimer. Un lieu où il y a eu des choses qui se sont passées antérieurement, mais où il y a de très grands espaces pour les œuvres de grand format, les grandes sculptures.


Echafaudages et technologie
en parfaite harmonie.

ASSOCIER L’ART MAMELOUK ET OTTOMAN
Envisagez-vous de faire une autre exposition au Liban?
Je l’espère. J’ai des projets qui seraient d’associer la calligraphie Mamelouk et ottomane, puisque l’écriture est une sorte de dessin; avec l’enluminure et le numérique, elle permet d’associer le texte et l’image à la fois. J’ai déjà vu des éléments qui semblent capables de réactualiser les univers des manuscrits anciens pour leur redonner une nouvelle dynamique. L’idée n’est pas de se confiner dans le passé, mais de le récupérer et le digérer, afin de créer des œuvres actuelles.

Y aura-t-il une collaboration libanaise?
Chaque travail résulte de l’effort de toute une équipe. Les compétences sont devenues multiples et spécialisées. Leur concours permet de créer une œuvre.

Que dites-vous des autres installations?
“Aller-retour” est un travail sur le Japon, assez intéressant, puisqu’il s’agit d’une ville qui se développe le long du rail. Il y a, aussi, les œuvres interactives qui sont une façon de les désacraliser. Le spectateur devient actif en intervenant, directement, sur une partie de l’œuvre. L’image enregistrée au départ est en processus. Elle se génère au moment où les gens interviennent, se développe, change de couleur et se destructure.
 



L’artiste expliquant aux visiteurs
le mécanisme de son travail.



L’APPROCHE FAIT LA DIFFÉRENCE
L’art numérique est-il en vogue en France?
Quand j’ai débuté il y a quinze ans, on m’a pris pour un fou. A partir des années 90, il y a eu, effecti-vement, une prise de conscience et un outil de création capable d’ex-primer des sensations impossibles à exprimer par d’autres moyens. Ac-tuellement, peu d’artistes tra-vaillent avec ces outils. Mais cela viendra. Dans toutes les écoles, comme à l’ALBA, il existe des ate-liers informatiques. Il suffit d’être fort et persévérant pour convaincre les artistes de les utiliser, de réfléchir sur leur mode, sur ce qu’ils ont de bien et de négatif...

Comment ces outils peuvent tuer certains rapports à la sensibilité?
Si on ne réfléchit pas au médium, à ce qu’il génère, à l’idée derrière la conception et au sens qui sous-tend un travail, on n’obtient que des choses futiles et banales. D’où l’importance d’analyser l’outil pour le maîtriser. Dans le numérique, il n’y a pas que de la technique. Il y a la sensibilité, la connaissance des couleurs, des formes et des volumes. Je pense qu’il faut penser à tous ces aspects.

J’AIME LA COULEUR ET LA VIE
Les couleurs sont criardes et fortes. Est-ce un choix?
Personnellement, j’aime la couleur. Né au Mexique dans un pays où on aime la couleur, j’ai appris à apprécier la couleur et la vie.

Qu’est-ce qui différencie vos œuvres des autres artistes qui travaillent l’art numérique? A quoi reconnaît-on votre touche personnelle?
“L’approche diffère. Alors que je travaille sur des couches successives d’images et de mélanges, d’autres ne font que des images de synthèse générées par l’ordinateur. J’utilise des images vidéos, photographiques, informatiques et de peinture. Mon travail devient transversal de ce point de vue.
J’essaie de montrer qu’il peut y avoir une richesse à amalgamer différentes sortes de médiums qui sont des moyens d’expression. Mes sujets varient entre la ville qui me passionne et la nature et l’artifice, parce que cela m’angoisse de voir la nature disparaître au profit des constructions. L’ensemble de mon travail réside dans la mixité et l’hybridation.
J’aime, aussi, travailler sur l’Histoire, actualiser le passé, d’où le fait de présenter quelque chose de technologique dans un milieu en état de délabrement comme la Fabrika”.


MICHELINE ABI-KHALIL



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