L'EXPLOSION DE L'EGLISE DE DEKOUANEH
UN ATTENTAT COMMANDITE DE L'EXTERIEUR

Cela pourrait être un fait divers banal. Ce n’en est pas un, puisque ayant eu lieu dans une église, dans un but bien évident: troubler la paix civile et, surtout, intercommunautaire. Effectivement, comme une traînée de poudre, la nouvelle de l’explosion d’une grenade dans l’église Saint-Georges de Dékouaneh, dimanche dernier, s’est propagée dans le pays, provoquant l’indignation générale. Le but recherché par le ou les auteurs de cet acte criminel semblait atteint: créer un impact médiatique à grande échelle dans ce Liban fragilisé et convalescent qui, de plus, est la caisse de résonance du Proche-Orient, chaque fois que des négociations majeures doivent avoir lieu dans la région.

Après l’explosion, les fidèles se sont 
rassemblés de nouveau dans l’église.

Le frère de la victime affligé par cette perte.

Les faits: c’est à 11h50 que cet acte terroriste a eu lieu, juste après la messe dominicale. L’explosion s’est produite au moment où le sacristain, Chafic Rajha, a tenté d’ouvrir une sacoche abandonnée près du baptistère. La goupille (ou détonateur) de la grenade étant accrochée à la fermeture à glissières de la sacoche, le seul fait de l’ouvrir a provoqué l’explosion. Selon les experts militaires, il s’agit d’une grenade défensive aux parois épaisses, mais de faible puissance. Le sacristain a été tué sur le coup, atteint au visage et à la poitrine, tandis que deux fidèles se trouvant à ses côtés, MM. Emile Sader et Joseph Salamé ont eu plus de peur que de mal. Les vitres de l’église ont été soufflées par l’explosion. Quant au curé de la paroisse, le père Pierre Achkar, il se trouvait dans la sacristie et n’a pas été atteint. Il en fut de même pour les fidèles qui avaient déjà évacué l’église à la fin de l’office divin.


Les traces de sang.

L’ENQUÊTE JUDICIAIRE
Jusqu’à l’heure où nous mettions sous-presse, aucune arrestation n’a été opérée, seul un portrait-robot de l’auteur présumé était en train d’être dressé grâce aux indications recueillies auprès de fidèles présents à la messe, ce jour-là. On ignore, aussi, les motivations précises de cet acte terroriste. Toutefois, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, M. Nasri Lahoud nous a déclaré: “Ce crime a été commis dans le but de créer un boom médiatique pour nuire à la stabilité politique, économique et sécuritaire du pays. C’est un acte odieux mais très sérieux qui doit être traité très efficacement loin du tapage et du sensationnel médiatiques, afin d’aboutir à l’arrestation de ses auteurs et pour que de telles actions criminelles ne se renouvellent pas.” M. Lahoud reprenait ainsi, dans les grandes lignes, la déclaration qu’il avait faite dimanche dernier sur les lieux de l’explosion, considérant cet attentat comme “un message de sécurité dont le but est d’entraîner une réaction de la presse au double plan local et régional et de porter atteinte à la paix civile.”
L’enquête menée avec célérité par les organismes sécuritaires sous les auspices du Parquet militaire, suit plusieurs pistes à partir d’indices similaires à d’autres attentats à l’explosif. L’établissement d’un portrait-robot de l’homme ayant déposé la sacoche, sur base de témoignages divers, devrait faire avancer l’enquête rapidement pour identifier le criminel. Une des dames chargées d’effectuer la quête durant l’office aurait déclaré avoir vu des visages inconnus dans les rangs de l’assistance, ce dimanche-là. Le fait est que tous les éléments sont recueillis avec minutie. Pour sa part, le chef de l’Etat qui a stigmatisé “cet acte lâche par lequel on cherche à troubler le calme du pays”, a demandé aux enquêteurs de faire preuve de diligence dans l’identification des auteurs de ce crime.
Selon des sources proches de l’enquête, cet acte criminel serait commandité de l’extérieur. Le choix d’une église et spécifiquement dans la localité de Dékouaneh, ne serait aucunement dû au hasard. En effet, un lieu de culte est une cible facile à susciter des dissensions d’ordre intercommunautaire. Quant à Dékouaneh, qui abrite beaucoup de déplacés, elle constitue, de ce fait, un terrain propice à l’exécution d’un attentat anonyme qui risque fort de demeurer sans châtiment. Toutefois, la sagesse a prévalu au sein de la population libanaise qui, après vingt ans de guerre, a totalement banni la provocation confessionnelle.

Le corps de Chafic Rajha transporté 
jusqu’à l’ambulance.

Le commissaire du gouvernement 
près le tribunal militaire, M. Nasri 
Lahoud, entouré du procureur général 
de Beyrouth, M. Joseph Maamari et 
de l’avocat général militaire, M. Maged 
Mouzaghem (à droite).

LES RÉACTIONS
Outre sa condamnation par le chef de l’Etat, cet acte terroriste a suscité de nombreuses réactions indignées dans tout le pays. Le chef du gouvernement, M. Salim Hoss, l’a qualifié de “criminel et de lâche”; le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir a demandé de “hâter les investigations pour arrêter les fauteurs de troubles”; le député Nassib Lahoud a dénoncé “cet acte terroriste visant à semer la confusion dans le pays et à porter atteinte à tous les Libanais.” Le chef du parti Kataëb, M. Mounir Hajj a stigmatisé cet “acte criminel qui vise à mettre le Liban dans une situation difficile au double plan politique et de la sécurité, au moment où il est question d’une reprise des négociations de paix dans la région.” M. Walid Joumblatt, leader du PSP, a jugé, quant à lui, que cet attentat constitue “une tentative regrettable visant à semer la discorde et menace la paix civile. Il crée un climat dangereux de confusion et d’inquiétude générale dans le pays qui porte atteinte à l’entente et à la stabilité.”
Autant de tentatives qui ont toutes avorté depuis 1990.
 
M Melhem Karam a stigmatisé l’attentat à l’explosif perpétré dimanche dernier contre l’église St-Georges à Dékouaneh, où les fidèles accomplissaient leur devoir religieux dominical.

“Si la série devait continuer dans ce sens, dit-il, les lieux de culte, refuge de ceux qui recherchent la paix de l’âme, deviendraient des places ouvertes au terrorisme, au crime et aux actes répréhensibles contre les gens de foi et de bien.
“C’est pourquoi, il est demandé à la magistrature et aux organismes de sécurité d’accélérer les investigations pour appréhender le ou les coupables, afin que le Liban ne perde pas sa réputation en tant que patrie de la quiétude et d’asile des croyants.
“A cette occasion, nous proclamons notre entière solidarité avec le président de la République, le général Emile Lahoud; le président de la Chambre, M. Nabih Berri; le chef du gouvernement, M. Salim Hoss; ainsi qu’avec la Justice, l’Armée et les Forces de sécurité intérieure, en vue de consolider la souveraineté, à travers la sécurité, en infligeant le châtiment qu’ils méritent aux agents stipendiés et à leurs commanditaires.”
L’Ordre des journalistes a reçu de nombreuses communications d’associations syndicales, telles les fédérations mondiales de journalistes, dénonçant cet acte vil, condamnant leurs auteurs et accusant  Israël et ses agents de l’avoir planifié et exécuté, “car un bon citoyen ne peut accomplir un acte aussi préjudiciable à l’homme et aux valeurs.” 

JEAN DIAB

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