UNE EXPOSITION MAGISTRALE AU GRAND PALAIS
CHARDIN, LE PEINTRE DES PARADOXES

Le coup d’envoi de la saison des grandes expositions parisiennes a été donné à Paris, au Grand Palais, avec une exposition des œuvres de Chardin.

Cette manifestation a comblé  les nombreux esthètes qui se pressaient dans les salles de ce haut lieu artistique.
Peintre d’un XIIIème siècle libertin, cet artiste a sciemment ignoré les joies du libertinage pour rendre une peinture sans message, où rien n’est spectaculaire et qui, pourtant, offre des sensations rares.
Chardin n’a jamais quitté la France, à l’heure où la plupart des artistes de son temps se rendaient fréquemment à Rome ou aux Pays-Bas pour s’imprégner autant des vestiges antiques, que de la beauté des grands modèles de la peinture...
Chardin était un artiste à part. Ses confrères comme Fragonard, Boucher, Watteau peignaient de grandes toiles représentant les amours de Mars et de Vénus, le voyage de Cythère, lui préférait un genre considéré mineur au XVIIIème siècle: la nature morte.
Parisien indéracinable, il travaille dans un périmètre étroit entre la rue de la Seine où il a vu le jour et la rue du Four où il vivra jusqu’à sa mort.
La date qui va compter dans la vie artistique de Chardin est 1728, quand lors d’une procession organisée pour la Fête-Dieu, il expose à cette occasion deux natures mortes “Le Buffet” et “La Raie” qui intéresseront des peintres de l’Académie royale.
Largillière l’encourage à se présenter à l’Académie où il sera reçu la même année.
Il a alors 29 ans.
Chardin qui n’a jamais fait ses humanités n’est pas tenté par l’art noble, se contentant de passer des natures mortes à la scène de genre.
Ses œuvres ont quelque chose de poétique, racontent un autre XVIIIème siècle, loin des lits défaits et des escarpolettes coquines...
En 1740, il est présenté à Louis XV à qui il offre deux toiles.
En retour le roi lui commandera “La serinette” qu’il paiera d’une somme respectable.
Chardin fut un anti-héros, un créateur modeste, le peintre des paradoxes, le précurseur de la peinture pure.
Toute nature-morte avant lui était nette et stable. Les combinaisons de Chardin disaient le mûrissement, la pourriture, la vie arrêtée en suspens, une manière de peindre qui répond à la précarité de la vie.
Chardin voyait au travers des apparences, savait aller au-delà de la petite sensation, dépasser l’instant.
Chardin, peintre bourgeois de bon sens, artiste du gibier, des objets domestiques et des tables dressées, affichait partout la maîtrise de son art.
 

“Autoportrait”.

“Le lapin mort”.

Ainsi avec lui, l’objet perdait sa valeur anecdotique et la délectation venait des harmonies colorées.
Sa peinture est un corps à corps avec le spectateur.
La touche de Chardin n’a jamais aussi bien montré qu’elle entend, en effet, toucher celui qui regarde  et que plus on s’approche du tableau, plus cette tactilité chromatique peut prendre des dimensions de heurt ou même de blessure... Cet artiste s’est même permis d’exécuter plusieurs versions d’un même tableau, tant des natures mortes que des scènes de la vie quotidienne. Chardin, artiste modeste et paisible, n’avait pas enthousiasmé les foules...
Aujourd’hui, de retour sur les cimaises, il fascine tout un chacun.
Sa peinture faite d’équilibre, de calme, d’opposition entre  le blanc et les couleurs, tantôt sourdes, tantôt vives, sait être, aussi, de chair et de feu.
Il se dégage de ses compositions une chaleur.
Peinture musicale s’il en est au chromatisme intemporel.
Pour la première fois dans l’histoire de l’art, Chardin a montré, démontré dialectiquement le jeu relationnel de l’informe et de la forme.
L’artiste ne cherchait pas à bluffer le spectateur. Il lui suffisait de peindre un enfant, une toupie, des fruits, un pot d’étain, une “Dame prenant son thé” pour montrer la simplicité de la vie.
Julien Green disait à son propos: “Ce que j’aime chez lui c’est qu’il n’a jamais su mentir.”
Chardin l’enchanteur a donné à son œuvre une dimension telle qu’il est l’un des peintres majeurs de son temps.
Le grand Palais célèbre, aujourd’hui, le tricentenaire de sa naissance avec quatre-vingt-quinze œuvres...
Autant de merveilles pour tous les esthètes.

SONIA NIGOLIAN

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