tribune
A PROPOS DE "TRANSPARENCE"
On parle maintenant au Liban de “transparence”, ce concept mis à la mode, il y a une dizaine d’années, par M. Gorbatchev lorsqu’il présidait aux destinées de l’ex-Union soviétique. Chez nous c’est, semble-t-il, le ministre des Finances, M. Georges Corm qui, le premier, s’est soucié de transparence en élaborant le budget de l’Etat avec une volonté de réforme.
La loi de finances pour l’an 2000 est maintenant sur le chemin de l’Assemblée nationale. Elle est censée être transparente. Est-ce à dire qu’on pourra, à travers ce texte, distinguer clairement une orientation politique?
Dans les pays de tradition démo-cratique, le budget de l’Etat traduit la politique du gouvernement dans tous les domaines: social, défense nationale, sécurité, éducation et culture, développement économi-que, monnaie, etc... Les budgets au Liban n’ont jamais témoigné d’une telle ambition. Leur discussion par les députés n’était que de pure forme, sauf quand on en arrivait à la répartition des crédits pour les chemins vicinaux. Ces budgets n’étaient qu’un assemblage de chiffres combinés de telle manière qu’on aboutissait à un équilibre illusoire entre recettes et dépenses. Simple travail de comptable. L’adoption de telles lois de finances permettait aux divers départe-ments de l’Etat de continuer à fonctionner dans la routine, sans la moindre vision d’un objectif de progrès. Aujourd’hui, sous le signe de l’austérité, ne s’agirait-il que de parvenir à une baisse du pourcentage du déficit qui avait atteint un niveau dangereux?
La tâche n’était pas facile. On dit déjà que M. Corm s’en est tiré d’une manière satisfaisante quoique imparfaite à ses propres yeux. En matière fiscale, notamment, il a dû se contenter de compromis pour tenir compte de la répugnance traditionnelle du citoyen libanais à acquitter ses impôts.
En définitive, cette austérité de la politique budgétaire se fera-t-elle au détriment d’une vision claire d’une politique de développement économique et humain? C’est là-dessus qu’on espère une véritable transparence.

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Il y a des priorités. Héritant d’une gestion des affaires qui, pendant de nombreuses années, avait été marquée par la nécessité d’aller au plus urgent, la pacification et la reconstruction, le gouvernement de M. Salim Hoss s’est trouvé devant une situation financière désastreuse aggravée par des mœurs administratives et affairistes relevant du code pénal.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement ait commencé par tâtonner. Sa première tâche était l’assainissement des finances publiques. Des finances saines réclament parallèlement une structure administrative digne de confiance. Jusque-là, avait prévalu une conception primaire d’un libéralisme sauvage qui n’était que le reflet d’une absence totale de préoccupation sociale et de véritable politique raisonnée de développement. Tout allait ainsi au hasard des intérêts égoïstes d’une nouvelle classe de profiteurs habiles à exploiter les lacunes de l’administration publique et les faiblesses morales des fonctionnaires.
En prenant en main les rênes du Pouvoir, M. Hoss a-t-il bien mesuré l’étendue et la complexité de la tâche? Sa position est d’autant moins commode que les affairistes et les politiciens mis à l’écart cultivent à son égard une solide rancune personnelle et disposent d’énormes moyens pour le bousculer. Ils ne se privent pas tous les jours de les utiliser. C’est une véritable haine qui caractérise, désormais, ce jeu politique qu’on peut qualifier de sanguinaire. C’est sans précédent.
Démuni de fortune personnelle et des facilités coutumières d’une trésorerie publique aujourd’hui dégarnie, mais homme de bonne volonté, M. Hoss se heurte à ce qu’on appelait jadis, en France, sous la troisième République, “le mur de l’argent”.
Ce mur-là, pour l’abattre, il n’y a qu’un moyen: réussir - faire la preuve qu’on pratique une politique répondant réellement aux besoins fondamentaux du pays - gagner, ainsi le soutien d’une opinion publique; enfin, éclairée. Alors, on verrait peut-être les profiteurs en pleine débandade. Mais on n’en est pas encore là, hélas! Et puis, on est au Liban, pays de tous les compromis.

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Ces considérations, inspirées au départ par l’idée de “transparence” apparue ces jours-ci dans le vocabulaire officiel de l’Etat, n’ont aucunement de prétention de décrire l’ensemble de la situation. Elles visent seulement à inciter à la réflexion sur la nécessité pour les détenteurs du Pouvoir à, effectivement, pratiquer cette transparence dans tous les domaines et à tous les niveaux. Car c’est ainsi qu’ils pourraient espérer gagner la confiance et la coopération du citoyen traité jusqu’ici en quantité négligeable, tout juste bon à être ameuté pour ovationner ceux qui le réduisent à la misère, pour huer leurs adversaires; enfin, pour aller aux urnes à l’aveuglette. Moutons de Panurge.
Transparence et participation devraient être les maîtres-mots d’un Pouvoir résolu réellement à assainir la vie politique dans ce pays et la gestion de l’Etat. 


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