RODEO BOULEVARD MAZRAA | ||
On
en croit à peine ses oreilles. Ainsi, M. Mahmoud Awad, député
de Jbeil, préfère, aux pratiques parlementaires, se livrer
aux joies du rodéo en plein boulevard Mazraa!
Pour ceux qui ne connaissent pas le folklore US du Far West, le rodéo est un sport où il s’agit de rester le plus longtemps possible sur le dos d’un taureau furieux ou d’un cheval sauvage et, le cas échéant, s’accrocher à l’une de ses oreilles pour ne pas être jeté à terre et piétiné. En ce qui concerne notre rodéoman local, son adversaire n’était pas un taureau furieux, mais un modeste autobus de l’Office des transports en commun. Ce n’était pas non plus lui qui se trouvait accroché à l’oreille de l’animal - en l’occurrence le rétroviseur de l’autobus - mais son garde du corps, l’adjudant Maymoun Awad, de la Sécurité de l’Etat. Du jamais vu! Sans doute, mais c’est le propre des grandes premières. Un jour, un autre député pourra prendre un camion au lasso sous le tunnel de Dbayé et pour toute explication renvoyer les éventuels coupeurs de cheveux en quatre à ce précédent historique. Devenir une référence, n’est-ce pas le privilège des prédécesseurs? Pour le moment, cette auréole de gloire ne semble pas avoir impressionné outre-mesure le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Mouyassar Choukre, qui a décidé d’engager des poursuites à l’encontre des trois gardes du corps du député sous l’inculpation de tentative d’assassinat. D’après les conclusions du juge Choukre, il apparaît que harcelé par les klaxons hystériques de la Range Rover de M. Awad, mais pris en même temps dans l’étau d’un embouteillage monstre, le chauffeur de l’autobus n’ait pas obtempéré immédiatement pour livrer passage au représentant de la nation, lequel représentant aurait sans doute voulu, eu égard à son rang, que ledit autobus “décolle” (puisque l’embouteillage l’empêchait de démarrer) et se transforme en hélicoptère. Et pourquoi pas après tout, n’avait-on pas vu jadis une citrouille transformée en carrosse? Pour finir, les sbires de M. Awad, obéissant presque à l’injonction de leur maître qui - selon les témoins - criait: “Tirez et tuez ce fils de p....” firent irruption dans l’autobus, prirent l’infortuné chauffeur pour punching-ball et, pour faire bonne mesure, arrosèrent carrosserie et pneus de rafales d’armes automatiques, ce qui obligea les passagers à se jeter à terre, à plat ventre, pour ne pas se voir récupérer par les leurs, le lendemain, dans un des tiroirs de la morgue. Bien entendu, le député Awad nie, catégoriquement, cette version des faits. D’après lui, deux autobus se livraient à une course folle (sur le boulevard le plus encombré de la capitale?!) manquant le réduire lui, sa Range et ses gardes en compote. N’écoutant donc que son devoir de citoyen et son instinct de conservation, M. Awad décida de jouer les shérifs musclés, en contraignant l’énergumène de l’OTC à mettre un terme à son jeu de massacre (où était passé l’autre autobus?) et ce, en tirant par désespoir et d’une façon fort civique, sur les pneus de l’émule de Jack l’Eventreur. C’est plaidable. Mais nous ne sommes pas des avocats et nous ne faisons le procès de personne. Nous sommes de simples citoyens on ne peut plus ordinaires et nous aimerions savoir en quelle qualité M. Mahmoud Awad se fait protéger par, entre autres, un sous-officier de la Sécurité d’Etat. Est-il un président étranger en visite officielle au Liban, un engin nucléaire en route vers sa rampe de lancement, un secret militaire, un trésor national? Notre survie en tant que pays et peuple dépend-elle de M. Awad? A ma connaissance, M. Awad est médecin et député. Est-ce que chaque député, ou chaque médecin, ou chaque médecin-député a droit à des gardes du corps appartenant à la Sécurité d’Etat et ce corps d’élite, qui coûte aux contribuables les yeux de la tête, a-t-il été créé pour servir de nounou à ces messieurs de la Place de l’Etoile? En outre, le juge Choukre engage des poursuites contre les gardes du corps et contre “leurs éventuels complices et instigateurs”... De qui peut-il s’agir? Y avait-il quelqu’un d’autre dans la voiture du député: un terroriste caché dans le coffre de la Range, un tueur en série tapi sous le tableau de bord, un vampire déguisé en pneu? Ou bien, depuis que le président du parlement a lancé ce qu’un confrère a appelé “la fatwa de M. Berri” - faisant de l’immunité parlementaire un blockhaus en béton armé, même dans un cas qui frise le flagrant délit - la loi ne s’applique plus qu’à la masse des sans-grade imbéciles que nous sommes? Est-ce à dire, enfin, à l’heure où le gouvernement s’efforce péniblement de redresser la barre, de nettoyer les écuries d’Augias et d’établir l’Etat des institutions, qu’il suffit pour pratiquer impunément malversations et incitation au meurtre, d’être couvert par l’immunité parlementaire? On en demeure songeur... |
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