AVEC L'AFFAIRE ABOUL-AYNAINE
LE DOSSIER DE LA PRESENCE MILITAIRE PALESTINIENNE AU LIBAN EST GRAND OUVERT

La condamnation à la peine capitale, de Sultan Aboul-Aynaïne, chef de Fath au Liban, vient de rouvrir, tout grand, l’ensemble du dossier de la présence de plus d’un demi-million de Palestiniens au Liban.
Au verdict du tribunal militaire, l’inculpé a réagi avec arrogance, affirmant “qu’il ne se rendra pas à la Justice libanaise” et qu’il “s’agit là d’un procès politique.”
A partir de Gaza, l’Autorité palestinienne prenait, sur le champ, fait et cause pour Aboul-Aynaïne, qui était promu par M. Yasser Arafat du grade de “colonel” à celui de “général”, tout en l’intégrant au Conseil national palestinien. Quant à Nabil Abou-Roudeina, conseiller d’Abou-Ammar, il déclarait à l’AFP: “Nous considérons ce verdict comme un acte agressif, inacceptable, dangereux et nuisible à la présence palestinienne au Liban.” Cette attitude de défi à l’égard de la Justice, du Pouvoir et du peuple libanais de la part d’un réfugié sur une terre d’accueil et l’appui qu’il a reçu de la part de l’OLP, ne pouvaient que susciter un sentiment de colère et d’indignation chez les Libanais qui s’interrogent, non sans inquiétude: “Sommes-nous revenus à la case départ?”
La nécessité de régler la question de la présence palestinienne au Liban dans toutes ses composantes et ramifications est, aujourd’hui, plus que jamais, impérative. Sinon, “le complot” ourdi dès les années soixante, contre le pays des Cèdres, serait en train de se réaliser contre la volonté de tous ses fils.
 

A l’intérieur des camps, une
présence militaire ostentatoire...

Le “général” Aboul-Aynaïne.

RETOUR AUX ANNÉES SOIXANTE
Certains considèrent, peut-être, qu’il est inutile de revenir sur le passé ou de ressasser des phases douloureuses de notre Histoire. Pourtant, la mémoire est un élément essentiel dans la formation et la pérennité des nations. Elle ne se limite pas, toutefois, à évoquer, avec nostalgie, les beaux jours du Beyrouth d’antan, mais à garder présent dans le subconscient individuel et collectif, les épreuves vécues pour en tirer les leçons et les dépasser.
Nul donc n’a le droit d’ignorer comment, à partir du milieu des années soixante, les Palestiniens accueillis au Liban, en tant que réfugiés, ont commencé à défier le Pouvoir pour aboutir en 1969, à “l’accord du Caire” qu’ils ont même outrepassé pour se constituer en Etat dans l’Etat.
Ils ont, alors, transformé leurs camps, du Nord au Sud, en passant par Tall Zaatar, en véritables forteresses militaires regorgeant d’armes de tous calibres, bien enfouies dans des souterrains en béton armé.
Nul, non plus, ne peut réfuter le fait que la présence armée palestinienne au Liban a été l’une des causes essentielles du déclenchement de la guerre de dix-sept ans, car les “fedayine” ont braqué leurs armes, non pas contre Israël, mais contre le peuple libanais.

POURQUOI: L’EXTRATERRITORIALITÉ DES CAMPS?
Trente ans viennent de s’écouler sur l’accord du Caire qui, d’ailleurs, a été aboli en 1987, par le parlement libanais. Peut-on, dès lors, expliquer pourquoi, jusqu’à l’heure, les camps palestiniens au Liban continuent à jouir d’un statut d’extraterritorialité, l’armée libanaise n’ayant pas le droit d’y pénétrer?
Ainsi, condamné à mort, pour le meurtre de cheikh Nizar Halabi, le dénommé Abou-Mahjane continue à se promener à sa guise à l’intérieur du camp de Aïn el-Héloué, près de Saïda, le plus grand du Liban.
Aujourd’hui, Aboul-Aynaïne, qui vient d’être condamné à mort par le tribunal militaire, défie lui aussi les autorités libanaises, à partir du camp de Rachidiyeh, près de Tyr. Il tient des conférences de presse, rejette les accusations portées contre lui, continue à mener son rythme de vie quotidien et à vaquer à ses occupations. Il a quand même saisi au vol la déclaration du président Salim Hoss qui a affirmé: “Le cas d’Aboul-Aynaïne est aux mains de la Justice et il pourrait faire appel de son jugement devant la Cour de cassation, conformément aux principes juridiques libanais”.
L’inculpé a chargé son avocat du pourvoi en cassation. Mais selon les sources judiciaires, cette procédure n’est possible que si le condamné se présente devant le tribunal.
 

... Côtoie une misère intolérable.

Des manifestants palestiniens 
réclament leur droit au retour!

LES CAMPS REGORGENT TOUJOURS D’ARMES
L’affaire Aboul-Aynaïne a, de même, mis en évidence la présence d’armements et de combattants dans les camps palestiniens au Liban. Pourtant, l’accord de Taëf (octobre 1989) a décidé de désarmer les milices et de les dissoudre, à l’exception de la milice du “Hezbollah”.
Que font les armes aux mains des Palestiniens.
Pourquoi affluent-elles à nouveau, massivement, dans les douze camps disséminés à travers le pays? Contre qui vont-elles être tournées, sachant que le chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, a reconnu l’Etat hébreu et négocie avec son Premier ministre, Ehud Barak, les modalités du statut final?
Le Pouvoir et le peuple libanais sont en droit de s’interroger, en voyant Aboul-Aynaïne former des combattants, renforcer les troupes et l’équipement militaire. Il a été même jusqu’à organiser “une cérémonie de promotion” pour un noyau de commandos ayant suivi un cycle de formation au Liban-Sud. Autant d’images qui rappellent les années 70.
Comment ne pas s’inquiéter?

FATH VEUT CONTRÔLER LES CAMPS EN PRÉVISION DE L’IMPLANTATION
Un des objectifs prioritaires d’Aboul-Aynaïne est de placer les camps du Liban sous la coupe des Arafatistes, en y excluant les fractions hostiles aux accords d’Oslo, pour permettre à Fath de se poser, ensuite, en unique interlocuteur de l’Etat libanais pour tout règlement du dossier palestinien.
C’est ainsi qu’il a provoqué des heurts entre différentes organisations dans les camps de Nahr el-Bared au Liban-Nord et à Aïn el-Héloué près de Saïda, afin de pouvoir s’y imposer. Puis, il a fait toute une tournée auprès des leaders politiques et religieux pour affirmer sa position sur la scène libanaise.
Toutes ces manœuvres, disent les analystes politiques, sont essentiellement liées au problème de l’implantation. Or, le Liban, à travers toutes ses composantes politico-confessionnelles s’est nettement et clairement prononcé contre l’implantation. Au sommet francophone de Moncton (Canada), début septembre, le président Emile Lahoud a été plus qu’explicite en affirmant du haut de cette tribune internationale: “L’implantation des réfugiés palestiniens au Liban constituera une bombe à retardement qui mettra, sans conteste, en péril la paix et la sécurité régionales”.
De même, lors de la visite-éclair du secrétaire d’Etat américain à Beyrouth, le Premier ministre, Salim Hoss, a soulevé cette question, disant que les Libanais rejetaient, unanimement l’implantation.
Mme Albright avait répondu que le dossier des réfugiés palestiniens sera examiné lors de la phase finale des négociations israélo-palestiniennes”.
Réponse qui n’a satisfait ni M. Hoss, ni les Libanais dans leur ensemble, car elle signifie que le spectre de l’implantation demeure omniprésent, tel que l’envisagent l’Amérique et Israël.
Il semble que M. Arafat ne soit pas trop éloigné de cette thèse. Car où caser ces milliers de Palestiniens de la diaspora dans une Cisjordanie ou une bande de Gaza déjà surpeuplées?
Les images et les propos du passé reviennent, aussitôt, à la mémoire des Libanais avec un Dean Brown proposant d’installer les chrétiens du Liban au Canada pour offrir leur pays aux Palestiniens comme “patrie de rechange”.

MENER UNE ACTION TOUS AZIMUTS
Des Libanais ont porté les armes en 1975, pour que leur pays ne serve pas de patrie de rechange aux réfugiés. Des jeunes sont morts en affrontant avec témérité le camp de Tall Zaater transformé en forteresse militaire.
Aujourd’hui, la conjoncture interne a évolué. Les Libanais de tous bords refusent l’implantation. Mais le refus est encore verbal et timide; il reste un grand pas à franchir; à s’engager à fond dans le règlement de ce dossier.
Quelles que soient les raisons d’Etat qui ont amené le tribunal militaire à condamner à mort Aboul-Aynaïne, la décision est prise. Il faut aller jusqu’au bout dans la logique du processus; mettre fin à l’extraterritorialité des camps qui viole et bafoue la souveraineté nationale; exiger le désarmement de ces ilôts implantés dans les différentes régions du pays et qui peuvent, à tout moment, exploser. Puis, mener une action diplomatique, tous azimuts au niveau des chancelleries occidentales et arabes, pour régler la question de la présence palestinienne au Liban, conformément à la volonté nationale et du refus catégorique de l’implantation.
Certes, pour toute action, il y a un prix à payer. Il faut oser aller de l’avant, pour ne pas revenir à la case départ.

NELLY HÉLOU

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