tribune
LES FLEURS DE M. ARAFAT
M. Arafat nous lance des pierres. C’est, paraît-il, ce qui s’est passé, la veille de la fête nationale libanaise, aux portes du camp de réfugiés palestiniens d’Aïn el-Héloué: des Palestiniens appartenant à la mouvance de M. Arafat, ont lancé des pierres à la tête des soldats libanais postés aux entrées du camp. Ils en ont blessé un. C’est comme une nouvelle “Intifada”, non plus contre l’armée d’occupation israélienne de Cisjordanie, mais pour remercier le Liban de son hospitalité. On se serait plutôt attendu à des fleurs en cette veille d’anniversaire de l’Indépendance.
Mais M. Arafat n’est pas content du Liban et il nous l’envoie dire avec des pierres. De quoi nous accuse-t-il? De discrimination, de ségrégation, d’apartheid, en somme de racisme. Ce n’est pas une plaisanterie qui serait de mauvais goût. C’est très sérieux. M. Arafat a fait publier un communiqué dans ce sens contre le pays qui héberge depuis cinquante ans, au mépris de sa propre sécurité, des milliers de Palestiniens. Après avoir armé ses hommes dans les camps du Liban-Sud, il lance des pierres à l’Armée libanaise pour la chasser des abords des camps.
C’est M. Ehud Barak, son partenaire, qui doit se frotter les mains. Il n’en espérait pas tant d’un homme que son armée avait expulsé du Liban en 1982.
Les Libanais sont tellement accoutumés aux inconséquences des dirigeants palestiniens et aux comportements des réfugiés que nul n’a paru s’indigner de cette manifestation des pierres. Le gouvernement libanais continue d’opposer un calme impavide à la politique agressive de M. Arafat. Cette modération n’est plus de mise. Il est urgent d’être, désormais, clair et de placer l’Autorité palestinienne de Gaza devant ses responsabilités.
Le Liban a été sans relâche le défenseur de la “Cause palestinienne”. Il l’est depuis un demi-siècle, alors que de nombreux pays arabes, ne considérant que leurs intérêts immédiats, la trahissent. C’est au Liban mieux que n’importe où ailleurs, que s’est formé un corps de doctrine rationnelle sur les notions de droit, de justice et de paix en Palestine et sur les dangers du sionisme. Les intellectuels palestiniens, c’est ici qu’ils ont trouvé un climat de liberté pour développer leurs thèses. Arafat lui-même c’est ici qu’il a trouvé un champ d’action pour mener son combat jusqu’à nous attirer deux invasions en l’espace de quatre ans. Les conséquences, nous les avons encore aujourd’hui au Liban-Sud victime de bombardements quotidiens et d’occupation.
Les hommes politiques et les penseurs libanais ont été les défenseurs les mieux écoutés de la “Cause palestinienne”. Faut-il rappeler Michel Chiha, par exemple, ou Hamid Frangié, Philippe Takla, ou Béchara el-Khoury? Et combien d’autres?... Mais est-ce qu’il y a encore une “Cause palestinienne”?
Dans un sens, oui, dans la mesure où il reste à obtenir de la communauté internationale la reconnaissance du droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Plutôt, sa mise en pratique, puisqu’il a déjà été reconnu par une résolution onusienne. C’est à quoi s’emploie encore le Liban. Est-ce cela qui dérange maintenant M. Arafat, déjà habitué à se suffire des miettes de territoires et de souveraineté que lui abandonne Israël, lentement, comme au “compte-miettes”, tout en exigeant de lui une répression rigoureuse de toute tentative d’opposition.
Depuis Madrid, Israël a réussi à briser le front de solidarité arabe qui n’avait, d’ailleurs, jamais été que théorique. En isolant chacun de ses voisins dans une négociation bilatérale, il a réussi à écarter, définitivement, toute référence à une “Cause palestinienne” pour circonscrire le conflit avec les Arabes à une question de territoires à évacuer, de relations à normaliser, d’eaux à partager et de sécurité à garantir. Dès lors, il n’y avait plus de fondement à la “Cause” et plus de motivation à la solidarité. En se ralliant à ces tactiques à partir d’Oslo, M. Arafat a réduit ses ambitions aux limites posées par Israël et, de ce fait, il a libéré les pays arabes de toute obligation de solidarité. Beaucoup en ont été soulagés, il faut l’avouer. Le dernier exemple en date de cette tendance à l’abandon: la Mauritanie.

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Le Liban est poussé à suivre le même chemin. On lui explique que sa solidarité avec la Syrie ne saurait plus avoir pour objet la “Cause” (Jérusalem, les réfugiés, etc...) qui n’existe plus que dans l’esprit de quelques activistes et autres utopistes attardés. Cette solidarité libano-syrienne, souligne-t-on encore, ne relèverait plus que d’une tactique négociatoire. Elle n’aurait donc aucune base morale.
Reste, cependant, pour le Liban, le problème des réfugiés. Et là, il ne s’agit plus de tactique, mais bel et bien de la “Cause” et de la stabilité du Liban lui-même, de sa sécurité.
Voilà bien ce qui ne correspond pas aux vues de M. Arafat comme de M. Barak lui-même. Et il prend les armes. Non pas pour ramener les Palestiniens en Palestine, mais pour faire taire les Libanais.
M. Arafat n’a-t-il donc rien appris, ni rien retenu de ses expériences passées au Liban? 

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