Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
HORIZON 2000: QUEL PARLEMENT?
Nous en sommes aujourd’hui au numéro 13. A ce stade, nous aurions tout aussi bien pu casser un miroir, passer sous une échelle ou entendre un hibou ululer dans un caroubier. Tout ça pour dire que nous ne sommes pas superstitieux au Liban. A vrai dire, nous n’avons nullement besoin d’échelles, de miroirs cassés ou de hiboux de caroubiers pour nous porter malheur, nos politiciens y suffisent ample-ment.
Pour en revenir au numéro 13, chiffre semble-t-il choisi pour fixer le nombre des circonscriptions de la nouvelle loi électorale c’est, disent les spécialistes, pour le moins aberrant. Pourquoi aberrant et en quoi? Bien plus, répondent ces messieurs, dans le découpage que dans le nombre. On nous a dit, on nous a répété, on nous a seriné que cette nouvelle loi serait juste, équilibrée et qu’elle réalisera un brassage miraculeux au sein de la population.
Là-dessus, Marlborough s’en va-t-en guerre (comprendre évidemment le ministre Murr), mais contrairement à celui de nos rondes enfantines, ce Marlborough-là ou ce Murr-ci reviendra - il revient toujours - pour nous mijoter dans l’arrière-fond de sa cuisine une loi- électorale-gruyère, comme le dit la chanson: des petits trous, des petits trous, toujours des petits trous et même des grands.
On commence par le mohafazat. Berri sourit, Bkerké fronce les sourcils, Moukhtara claque des dents, Hoss déjà momifié ne bronche pas et Hariri se prend les pieds l’un dans l’autre, ne sachant plus s’il faut faire la grimace pour le Sud ou pavoiser pour Beyrouth. Les contradictions sont telles qu’on ramasse les cartes pour les rebattre.
Nouvelle donne: les mohafazats sont divisés en deux, en long, en large, en diagonale, en travers et de travers. Brusquement, chacun sent le sol se dérober sous ses pieds. Les enchères reprennent: circonscription unique... contre! Mohafazat... surcontre! Dix... ça rime à quoi dix? Treize... Pourquoi treize, y aurait-il un Judas quelque part?
Le ministre Frangié jure ses grands dieux qu’il ne se présentera pas si on ne rattache pas Tripoli, le Koura et Batroun à Zghorta. Batroun se demande s’il doit se sentir flatté et, dans le doute, se tient coi. Bécharré, rattaché au Akkar, sans le moindre lien géographique, songe au mur de Berlin. Jezzine, dont l’environnement naturel est Saïda et Zahrani, se voit mal exécutant des sauts de carpe jusqu’à Nabatieh et de là à Marjeyoun auxquels on se propose de la rattacher. Omar Karamé réclame Denniyé à cor et à cris. Hoss et Hariri, pour une fois d’accord, ne veulent pas pour Beyrouth d’un jugement à la Salomon.
Au sein de cette levée de boucliers, deux béatitudes, totales celles-ci: Joumblatt qui a sauvé les meubles de son émirat douillet du Chouf et Murr, dont le modèle exclusif Btéghrine-Bourj-Hammoud relève à la fois du 7ème art et de la haute couture.
Et qu’en est-il du brassage? De quel genre de brassage s’agit-il, se demande le Chiite de Jbeil qui se voit disparaître corps et biens dans l’océan maronite de Jbeil-Kesrouan. Brassage au Akkar... rumine Bécharré. Baabda n’est pas tellement brassable grince Aley. Pour ce qui est de Jezzine, on s’y exerce déjà au marathon pour aller brasser de Nabatieh à Marjeyoun.
Quant à traiter tout le monde sur le même pied d’égalité, on y repassera. Il est vrai que les cinq mohafazats ont été morcelés, mais entre être amputé d’un doigt et l’être des deux jambes, il y a quand même une différence. Pourquoi le Mont-Liban a-t-il été atomisé et le Sud à peine effleuré? Pourquoi le Liban-Nord - un mohafazat, presque aussi grand que celui du Mont-Liban - est seulement divisé en deux circonscriptions, obligeant ainsi ses électeurs à jouer à saute-moutons pour choisir leurs députés? Pourquoi? Parce que, expliquent certains politologues, il y aura ainsi un parlement plus docile, plus dans la ligne... Docile à quoi? Dans la ligne de qui?
Et de quelle ligne s’agit-il? Mais tout simplement de la ligne rouge qui part du Barada pour passer par Btéghrine et Moukhtara. Curieuse géographie et drôle d’histoire! 

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