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LE DIFFICILE PARTAGE DU FROMAGE
Le débat sur le projet de loi électorale est engagé sur la place publique avant même qu’on sache ce que sera ce projet. Tous ceux qui interviennent ces jours-ci sur ce sujet, limitent leur argumentation à la question du découpage des circonscriptions électorales. C’est que, de ce découpage, dépend l’avenir politique des députés actuels. Parmi eux, il en est qui appartiennent à des familles politiques traditionnelles, dont les positions sont solidement établies.
S’ils ne risquent pas d’être éliminés par le prochain scrutin, ils peuvent tout de même redouter de se voir affaiblis à la faveur d’un découpage des circonscriptions qui ne leur permettrait pas de revenir au parlement à la tête d’une coalition susceptible de peser sur la constitution des futurs gouvernements ou sur leur chance de participer aux affaires.
C’est tout le problème, pour le moment.
Quant à savoir quelles sont les vues du gouvernement qui prépare le projet de loi et doit le soutenir à la Chambre, c’est encore un secret. Comment entend-il améliorer la représentation nationale et le fonctionnement du système, c’est un mystère bien entretenu. Dès lors, le débat en cours sur le découpage des circonscriptions paraît complètement irréel.

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De quoi s’agit-il?
D’une réforme des modalités de la représentation nationale dans le but de modifier le fonctionnement du régime démocratique? M. Salim Hoss s’est plu à répéter ces derniers temps qu’au Liban, “il y a beaucoup de liberté et peu de démocratie”.
Or, l’occasion lui est donnée maintenant de changer ce rapport. Non pas en limitant l’exercice des libertés, mais en l’encadrant de manière à renforcer le fonctionnement du système démocratique. La loi électorale est l’outil nécessaire pour ce genre d’opération. Mais jusqu’ici, le chef du gouvernement n’a pas développé sa pensée pour nous éclairer sur la méthode qu’il entend appliquer.
Le débat sur le découpage des circonscriptions électorales laisse une impression tout à fait décevante. Tout semble se ramener à une manipulation classique dans le seul but de modifier la composition de la future Assemblée nationale. On aura beau soutenir qu’il s’agirait de rééquilibrer la représentation des forces politiques en assurant l’égalité des chances entre les candidats, ainsi que l’intégration sociale à travers le scrutin, en fait, il faudra bien reconnaître que le but poursuivi ne représente pas une véritable réforme. Il ne s’agirait, finalement, que d’un simple réajustement de la soupape parlementaire pour tenter de corriger les effets des deux élections de 1992 et de 1996.
Cela ne va pas très loin. En tout cas, pas au-delà d’un partage plus équitable du fromage dans le souci de consolider les fondements de la paix civile.
Pour une véritable réforme, il faudra attendre longtemps encore d’autres initiatives.

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Soyons donc réalistes. Pour ceux qui auraient été affaiblis ou éliminés, ce nouveau partage du fromage ne sera jamais reconnu comme équitable. Et si le système électoral et les modalités du scrutin ne sont pas révisés, entièrement, sur la base d’une vision claire de l’avenir du régime parlementaire libanais, il n’y aurait jamais rien de fait. Et l’on se retrouverait, à la veille de chaque échéance électorale, devant une nouvelle revendication de “réforme” de la loi.
Entre le discours officiel, toujours prometteur et les moyens employés pour le traduire en pratiques innovatrices, il n’y a pas concordance. Ce qui manque, apparemment, pour franchir le pas vers un système parlementaire modernisé, c’est une vision consensuelle doublée de courage politique.
Pour cela, il faudra attendre sans doute, l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes d’Etat libérés des pesanteurs du passé et des préjugés historiques.
Est-ce que les générations montantes sont éduquées dans ce sens? Rien n’est moins sûr. Voyez donc les héritiers des leaders disparus qui reprennent le siège de leurs papas. Ils sont souvent plus gourmands et moins sages. 


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