LA CONQUÊTE DE GROZNY DANS LE JEU ÉLECTORAL RUSSE

En début de semaine, la Douma, Chambre basse du parlement, a volé la vedette au Kremlin qui, la veille, fêtait avec toute la classe politique russe les six ans de la Constitution, par le vote massif, en dernière lecture, d’un projet d’amnistie en faveur des “Boïvikis” ou combattants tchétchènes qui déposeraient les armes avant le 1er février 2000. Elle l’avait déjà fait en première lecture, mais en fixant la date-butoir du 30 décembre.
 

Poster électoral représentant Loujkov, 
Primakov, Vladimir Iakovlev, 
ex-gouverneur de Saint-Pétersbourg.

Soldats russes préparent 
le lancement d’un missile.

La guerre sera donc plus longue que prévu et l’hiver enneigé encore plus dur pour le 1,1 million de Tchétchènes et les 100.000 soldats russes engagés sur un espace de 19.300 km2.
La Douma sera projetée ce week-end sous les feux de l’actualité par les législatives du 19 décembre qui ne devraient pas changer le destin des 147 millions de Russes. Quand la guerre de Tchétchénie avait été lancée, le 5 septembre dernier et même auparavant lors des deux petites guerres du Daguestan, la classe politique russe avait craint que la mobilisation des forces fédérales soit le prétexte de l’instauration de l’état d’urgence dans le pays et l’annulation des élections, législatives en décembre 1999 et présidentielles en juin 2000. D’aucuns avaient même établi un lien entre cette guerre et les visées du Kremlin qui l’aurait provoquée pour assurer la survie de la “Famille”.
Or, le Kremlin avait, entre-temps, lancé un pion gagnant sur l’arène politique avec la nomination, le 9 août, de Vladimir Poutine comme Premier ministre et dauphin de Boris Eltsine (qui avait visité la Chine, la semaine dernière, en avait reçu le soutien à la guerre et agité la menace nucléaire). A son adoubement, le patron du FSB (ex-KG) faisait piètre figure avec 1% des intentions de vote. Mais il s’est imposé, faucon parmi les faucons, aux côtés des généraux qui se voulaient invincibles et déterminés à gommer l’humiliation que leur avait infligée la première guerre de Tchétchénie (décembre 1994 - août 1996). L’homme de l’ombre est, aujourd’hui, crédité de quelque 44% des intentions de vote, la guerre étant soutenue par 64% des Russes. Elle devrait donc se poursuivre pour achever l’ascension du dauphin et interférer, à court terme, dans le jeu des législatives.
Selon les sondages, le Parti communiste resterait la première formation politique à la Douma fort, actuellement, de 25% des intentions de vote (celles-ci tombent toutefois à 21% et 18% selon les instituts de sondage). Il serait suivi de la coalition du Kremlin “Unité”, conduite par Sergueï Choïgou; puis, de celle de Primakov-Loujkov “Patrie-Toute la Russie”, du groupe réformateur Iabloko et d’une pléiade de petits partis rêvant d’avoir pignon sur rue à la Douma.
La seconde guerre de Tchétchénie aurait réussi à banaliser la coalition du puissant maire de Moscou Iouri Loujkov, bête noire du Kremlin et du non puissant ex-Premier ministre Evgueni Primakov, lesquels avalisent la reconquête russe sans en approuver tous les procédés. Le résultat des urnes sera bien plus éloquent que les sondages et pourrait renverser les prévisions.
Dans leur désespoir et leur humiliation, contraints de quitter leurs foyers, bon nombre de Tchétchènes qui, par hasard, se retrouvent face aux caméras, font le lien entre leur calvaire et les batailles électorales qui se déroulent à Moscou, accusant même le Kremlin d’avoir commandité cette guerre. Pauvres citoyens incultes à qui le bon sens inspire ces réflexions, lesquelles sont répercutées et analysées par leurs dirigeants. Ceux-ci, quasi absents du psychodrame, ont prouvé leur incapacité de gérer un pays auquel ils rêvaient depuis des générations, se faisant doubler par les rebelles auxquels ils ne portent aucune sympathie. Au nom de la religion qu’ils exploitent et bafouent, ces derniers ont fait du racket, des enlèvements (ils détiendraient 2000 civils en otages), exécutions sommaires, leur principale source de revenus, renflouant aussi leurs caisses de guerre par la manne étrangère.
Les combats devront cesser quelques heures tous les jours, afin de permettre à la population civile toujours terrée à Grozny de fuir la capitale en empruntant deux corridors humanitaires supervisés en personne par le ministre des Situations d’urgence, Sergueï Choïgou, tandis que Poutine annonce plusieurs “options” ouvertes et que les généraux prédisent dans quelques jours la chute de Grozny.
Rien n’a changé sous le soleil du Bon Dieu. En 1944, Staline avait fait déporter au Kazakhstan tout le peuple tchétchène qui n’était retourné chez lui qu’en 1957 dans des espaces fortement réduits. La tragédie recommence dans le jeu diabolique des puissances.

PAR EVELYNE MASSOUD

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