APRÈS
LA RENCONTRE “HISTORIQUE” CHAREH - BARAK À WASHINGTON
PROCHAINE REPRISE DES NÉGOCIATIONS
LIBANO-ISRAÉLIENNES
La rencontre
est qualifiée d’historique. Elle marque la reprise, à très
haut niveau, des négociations entre Damas et Tel-Aviv interrompues
depuis près de quatre ans. Elle témoigne de la volonté
américaine de parvenir à la paix au Proche-Orient avec le
nouveau millénaire et à une réponse positive de la
part des protagonistes.
Le coup d’envoi de la relance des pourparlers entre Syriens et Israéliens
a été marqué par une séance inaugurale, le
mercredi 15 décembre à la Maison-Blanche, en présence
du président Bill Clinton. La délégation israélienne
est conduite par le Premier ministre Ehud Barak et, la délégation
syrienne, par Farouk Chareh, chef de la diplomatie, un très haut
niveau de part et d’autre jamais atteint auparavant depuis la conférence
de Madrid en 1991.
Les discussions se sont poursuivies jusqu’au jeudi 16, à
Blair House, résidence réservée aux hôtes de
marque et située face à la Maison-Blanche, en vue d’aboutir
à un ordre du jour et à un calendrier de travail pour les
rencontres à venir.
Tous les espoirs étaient permis et l’atmosphère était
à l’optimisme.
Un Israélien regarde aux jumelles
Kuneitra, village syrien du Golan occupé.
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Madeleine Albright en conversation avec
Farouk Chareh, ministre syrien des A.E.
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CLINTON: ASSAD ET BARAK ONT DONNÉ LE
FEU VERT
“J’ai le plaisir d’annoncer que le Premier ministre Barak et le président
Hafez Assad ont donné leur accord pour que les négociations
de paix israélo-syriennes reprennent au point où elles se
sont arrêtées.”
Pour marquer l’importance historique de cet événement,
le président américain Bill Clinton a tenu à l’annoncer
en personne, lors d’une conférence de presse qu’il a tenue au département
d’Etat, avant même que la secrétaire d’Etat, Madeleine Albright
n’ait achevé son périple proche-oriental.
Faisant un tour d’horizon de la situation, il affirme: “Nous sommes
à un moment crucial du processus de paix au Proche-Orient qui peut
redessiner la face de la région pour les générations
futures. Comme je l’ai dit en de nombreuses occasions, l’Histoire ne pardonnera
pas le fait qu’on n’ait pas saisi une telle occasion pour réaliser
une paix globale.”
La déclaration du chef de l’Exécutif américain
provoque un réel effet de surprise. Les pays impliqués ou
concernés par le processus de paix suivaient de près les
efforts déployés par Washington pour la reprise des négociations
sur le volet syro-israélien. On avait pu noter, aussi, le ton franchement
optimiste de la secrétaire d’État US à l’issue de
sa dernière rencontre avec le président Assad et le Premier
ministre Barak. Mme Albright peut être fière de sa mission.
Elle ne s’en cachait pas en déclarant: “Je crois que nous pouvons
saisir l’occasion et aider à faire de l’an 2000 l’année de
la paix au Proche-Orient”.
Elle s’est, aussi, déclarée convaincue que le président
syrien et le Premier ministre israélien “étaient déterminés
à aboutir, rapidement, à un accord”.
Selon des informations non encore confirmées,
M. Michel Murr, ministre de l’Intérieur, dirigerait
la
délégation libanaise aux négociations
de paix,
en sa qualité de ministre p.i. des Affaires
étrangères.
LE TIMING DE la RELANCE
L’annonce de la reprise des négociations syro-israéliennes,
comme sous l’effet d’une baguette magique, a soulevé une multitude
de questions sur son timing. Selon les analystes politiques, plusieurs
facteurs ont permis cette percée. Du côté du parrain
américain, on relève, en premier lieu, la détermination
du président Clinton à instaurer la paix dans cette région
du monde avant la fin de son mandat début 2001.
De même, la reprise des négociations sur le volet syro-israélien
après une interruption de quatre ans, offre un succès politique
au président américain après deux sérieux revers
sur la scène internationale: le récent échec du sommet
de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) à Seattle et, auparavant,
le rejet du traité d’interdiction des essais nucléaires par
le Sénat.
Côté israélien, Ehud Barak préférerait
conclure un accord avec le président Hafez Assad, dont l’état
de santé est fragile, plutôt qu’avec son successeur. Il y
a, aussi, le fait qu’Israël est déterminé à se
désengager du bourbier libanais et préfère, évidemment,
que cela se fasse dans le cadre d’un accord avec Damas et, par ricochet,
avec Beyrouth. Côté syrien, les arguments sont parallèles:
désireux de passer la main à son fils Bachar, le président
syrien veut lui céder un pays pacifié avec la réintégration
du Golan. Mais l’argument de poids est le fait que la Syrie n’avait aucun
intérêt à se retrouver isolée au cas où
Israël se retirait, unilatéralement, du Liban en juillet, tel
que Barak l’affirme depuis son arrivée au Pouvoir.
Autant d’arguments qui ont fini par amener les deux protagonistes à
Washington, sous la bienveillante bénédiction du président
Clinton qui considère que “Syriens et Israéliens ont, pour
des raisons différentes, un sentiment d’urgence”, à juste
titre dit-il, justifiant, notamment, ce sentiment par la mobilisation des
ennemis du processus de paix.
... et Ehud Barak,
Premier ministre israélien.
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Le président Bill Clinton prononçant
son discours, entouré de MM. Farouk
Chareh, ministre syrien des A.E.
et Ehud Barak, Premier ministre israélien.
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PRINCIPAUX DOSSIERS DU CONTENTIEUX SYRO-ISRAÉLIEN
“Les négociations de paix israélo-syriennes reprendront
au point où elles se sont arrêtées”. C’est tout ce
qui a été dit au sujet de cette première phase du
dialogue qui s’est tenue à Washington les mercredi 15 et jeudi 16
décembre, à huis clos. N’empêche que les principaux
points des négociations sont déjà connus et feront
l’objet des pourparlers dans les mois à venir.
Au cœur et en tête du débat, la question du plateau syrien
du Golan, occupé par Israël lors de la guerre de juin 1967;
puis, annexé par l’Etat hébreu le 14 décembre 1981.
La Syrie exige qu’Israël s’engage à se retirer du plateau
jusqu’aux lignes qui prévalaient le 4 juin 1967, affirmant avoir
reçu une promesse en ce sens du Premier ministre israélien
travailliste Yitzhak Rabin, cinq mois avant son assassinat en novembre
1995.
Par contre, toujours en 1995, Israël avait laissé entendre
qu’il serait prêt à se retirer du Golan jusqu’à la
frontière internationale, en échange d’un accord de paix
et d’arrangements de sécurité. La différence ne porte
que sur quelques km2, mais un retour aux lignes du 4 juin 1967 donnerait
à la Syrie l’accès au Lac de Tibériade, principal
réservoir d’eau d’Israël.
La question du Golan est donc étroitement liée à
un second dossier crucial, celui de l’eau. Sur ce haut plateau, plusieurs
fleuves prennent leurs sources, dont le Banias qui alimente le Jourdain
et le Hasbani qui prend sa source au Liban, traverse le Golan avant de
se déverser dans le Jourdain.
Troisième dossier à régler en cas de retrait:
la situation des 17.000 colons juifs qui se sont installés sur ce
plateau dans une trentaine de colonies de peuplement, à caractère,
essentiellement, agricole. La presse israélienne estime entre 13
et 18 milliards de dollars américains le coût du démantèlement
de ces colonies, de l’indemnisation de leurs habitants, ainsi que du redéploiement
de l’armée israélienne.
Des 150.000 habitants des colonies, seuls sont restés sur place
après son occupation, 17.000 druzes qui ont, toutefois, refusé
la nationalité israélienne qui leur a été proposée.
En ce 14 décembre, comme tous les ans à cette date de
l’annexion du plateau, ils étaient en grève pour marquer
leur refus de toute occupation et leur allégeance indéfectible
au président Hafez Assad.
Ce haut plateau basaltique de près de 1.200 km2 revêt
une importance stratégique, tant pour l’Etat hébreu que pour
la Syrie: il surplombe la Galilée et commande la route vers Damas.
D’où le dossier primordial relatif aux arrangements de sécurité:
Israël veut la mise en place de stations de préalerte et la
création de zones démilitarisées en profondeur. Il
souhaite le maintien de forces israéliennes sur le mont Hermon dominant
le Golan, système qui serait “les yeux et les oreilles” de l’Etat
hébreu.
Autre dossier important posé par Tel-Aviv: le terrorisme. Israël
veut que la Syrie empêche des attaques contre ses frontières
nord après le retrait du Liban-Sud et neutralise le “Hezbollah”,
fer de lance de la résistance à l’occupation israélienne.
L’Etat hébreu réclame, aussi, que Damas retire tout soutien
à des groupes palestiniens armés opposés à
Yasser Arafat, chef de l’Autorité palestinienne.
LE TON EST À L’OPTIMISME
On le voit bien, les dossiers ne sont pas minces. Ils sont multiples,
épineux et ont pour enjeu final la normalisation dans le cadre de
la paix. Mais, pour l’heure, l’optimisme est de rigueur. Les discussions
“seront difficiles mais non complexes que les négociations israélo-palestiniennes”,
affirme le président Clinton. Même son de cloche du côté
du chef de la diplomatie syrienne qui conduit la délégation
de son pays. “Je suis suffisamment optimiste pour pouvoir affirmer que
quelques mois pourraient suffire à parvenir à un accord de
paix” (...), affirme Farouk Chareh, avant d’ajouter: “Nous pensons pouvoir
parvenir à de véritables résultats dans peu de temps
si toutes les parties sont bien intentionnées et nous, les Syriens,
nous le sommes”.
Idem du côté israélien. Le Premier ministre Ehud
Barak qui a obtenu l’aval de la Knesset pour la reprise des négociations
avec Damas (par 47 voix pour, 31 contre et 24 abstentions), dirige la délégation
de son pays. “C’est, affirme-t-il, un moment crucial qui ne peut être
manqué. Si nous râtons cette occasion - Dieu nous en protège
- le sang pourrait couler. Nous nous trouvons à un moment décisif
et, peut-être, à un des tournants les plus importants du processus.”
QUID DU LIBAN?
Cela dit, qu’en est-il du Liban, d’autant que, depuis des années,
on nous rabâche les oreilles avec la concomitance des volets libanais
et syrien?
Dans sa fameuse déclaration du 8 décembre, au cours de
laquelle il annonce la reprise des pourparlers entre Syriens et Israéliens,
le président Clinton évoque le cas du Liban en ces termes:
“J’espère qu’avec la reprise des pourparlers israélo-syriens,
les négociations entre Israël et le Liban pourront, également,
commencer bientôt”.
M. Farouk Chareh a, lui aussi, évoqué cette question.
“Le processus de paix israélo-libanais serait relancé à
la suite d’un deuxième round des négociations israélo-syriennes”,
a-t-il précisé.
Mme Albright a de même adressé des messages aux responsables
libanais disant que “la reprise des pourparlers libano-israéliens
était pour très bientôt”.
N’empêche que tout cela n’est pas très rassurant. Les
Libanais vont-ils être les laissés-pour-compte ou, plus grave
encore, payer les frais de la relance du volet syro-israélien?
Allons-nous pouvoir défendre nos droits et nos intérêts
ou bien notre sort va-t-il être réglé entre la Syrie,
l’Amérique et Israël? Pourtant, le Liban a plus d’un dossier
épineux à défendre avec Israël:
1- Le retrait de “Tsahal” des zones occupées au Liban-Sud et
dans la Békaa-ouest.
2- Le refus de l’implantation des 500.000 réfugiés palestiniens
et leur droit au retour.
3- Un engagement de l’Etat hébreu à indemniser le Liban
pour les dégâts occasionnés lors des multiples invasions
et agressions.
4- La libération de tous les détenus libanais par Israël.
Nos responsables ont-ils déjà mis au point tous ces dossiers
pour les défendre dès qu’ils seront conviés par Washington
à la table des négociations? Quant à la délégation
libanaise, elle pourrait être dirigée par M. Michel Murr,
vice-président du Conseil, qui assume, aussi, les fonctions de ministre
p.i. des Affaires étrangères comme il l’a lui-même
affirmé.
Par ailleurs, plusieurs courants politiques libanais n’ont pas manqué
d’exprimer leur inquiétude face à une information publiée
par le quotidien israélien “Maariv”, faisant état d’un accord
secret entre la Syrie et Israël “reconnaissant de facto la mainmise
syrienne sur le Liban”. Le journal israélien ajoute qu’“Israël
ne fera rien pour gêner cette mainmise totale syrienne après
la signature d’un accord de paix avec la Syrie”.
DES RÉACTIONS NÉGATIVES ET HOSTILES
Il ne faut pas croire que la reprise des négociations entre
Israël et la Syrie sur la base où elles s’étaient arrêtées
en février 1996 a fait l’unanimité. Différentes réactions
hostiles ont été enregistrées, les premières
émanant de la droite israélienne. Le Likoud, parti d’opposition,
a accusé dans un communiqué le Premier ministre israélien
“d’avoir capitulé face aux exigences de la Syrie”. Un site Internet
israélien d’extrême-droite, va même jusqu’à appeler
au meurtre d’Ehud Barak qualifié de “traître qui brade la
patrie au profit des terroristes palestiniens. Aussi, est-il impératif
de s’en débarrasser au plus tôt”, lit-on sur ce site.
Les colons juifs du Golan, tout comme ceux de Gaza et de Cisjordanie,
dénoncent vivement la restitution du plateau à la Syrie et
manifestent devant la Knesset contre ce qu’ils appellent: “La folie obsessionnelle
de Barak”.
Ces différentes prises de position négatives inquiètent
le service de sécurité israélien. Le Shin Beth a prié
M. Barak de réduire ses apparitions en public pour éviter
de s’exposer à un attentat.
Une autre réaction négative est venue du mouvement intégriste
actif au Liban-Sud, le “Hezbollah”. Cheikh Naïm Kassem, numéro
deux du “parti de Dieu”, devait affirmer: “Nos opérations se poursuivront
jusqu’au retrait total de l’armée israélienne de la zone
occupée, même s’il y a reprise des négociations sur
le volet libano-israélien.”
La réponse de Tel-Aviv à cette attitude a été
très rapide. Le conseiller du Premier ministre au ministère
israélien de la Défense a, sur-le-champ, rappelé que
M. Barak “n’acceptera pas qu’on tire et qu’on négocie à la
fois”.
Il est certain que ce point crucial figurera aux pourparlers de Washington
dès le premier round.
Quant à la République islamique iranienne, elle fait
preuve d’une intransigeance catégorique face à l’Etat hébreu.
Dans une interview accordée au “Monday Morning”, un diplomate iranien
accrédité à Beyrouth qui a préféré
garder l’anonymat, affirme: “Même si le monde entier signe la paix
avec Israël, il n’en sera jamais de même pour la République
islamique d’Iran. Notre position face à Israël n’est pas basée
sur des considérations transitoires ou passagères, mais sur
les bases de notre religion. Notre rejet d’Israël est fondé
sur des principes immuables; pour cela, il n’est pas question de reconnaître
l’Etat hébreu.
“Quant à Jérusalem, ajoute-t-il, en réponse à
une question, c’est une cité islamique, un lieu de dévotion
pour les musulmans du monde entier.”
Dans la relance des négociations il faudra, certainement, tenir
compte de la position de Téhéran, bailleur de fonds des mouvements
intégristes, dont les “Hezbollah” (libanais) et “Hamas” (palestinien).
Mais le parrain américain veille à faire aboutir le processus
au plus vite. Une solution devra être trouvée concernant le
“Hezbollah” qui demeure une carte de pression sur Israël entre les
mains de Damas et un atout précieux pour Tel-Aviv, surtout en cas
d’échec des négociations.
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