SA MORT DOULOUREUSE RESTE INEXPLICABLE
SŒUR ANTOINETTE ZEIDAN EST MORTE
COMME ELLE A VÉCU, POUR LE DON DE SOI

Festoyer, célébrer et attendre le passage tant redouté à l’an 2000 était le lot de la plupart des Libanais en ce changement de siècle. Certains, pourtant, ont signé de leur sang la venue du nouveau millénaire. Ainsi, alors que des civils et des soldats tombaient martyrs au Nord, une religieuse sexagénaire était trouvée morte, dans les bois de Kfarchima, suite à des sévices corporels. Beaucoup trouveront un lien entre cette découverte macabre et les affrontements des intégristes avec l’Armée.
 
 

La prière l’accompagnait depuis son jeune âge.

D’autres se refusent à jouer le jeu confessionnel. Parmi eux, les plus proches parents de Sœur Antoinette Zeidan qui, justement par éthique pour elle et pour son exemple, ne veulent pas enflammer un feu qu’elle s’est toujours acharnée à éteindre.
“Pardonnez-leur Seigneur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font”. D’après les siens, c’est le message ultime que Sœur Antoinette Chucri Zeidan aurait pu crier avant de rendre l’âme. Mort douloureuse, inexplicable et surtout mystérieuse. Ce n’est que 48 heures après avoir perdu sa trace, que la gendarmerie fait appel à la famille pour identifier l’humble servante de Dieu qui s’apprêtait à aller passer le nouvel an auprès des siens.

LE DERNIER BUS
“Comme d’habitude, elle avait refusé qu’on passe la prendre, préférant emprunter le bus. Alertés par son retard; puis, par sa disparition, nous avions imaginé même qu’elle s’était rendue à Jérusalem, comme elle en avait exprimé le désir. Nous ne pensions pas que nos prochaines retrouvailles se dérouleraient ainsi. Elle gisait là, près de la régie de Kfarchima, dans ses habits de religieuse, sa veste étalée sur ses jambes, les cadeaux qu’elle destinait aux neveux et nièces éparpillés autour d’elle, son peu d’argent dans la poche, la tête fortement contusionnée, des marques de violence sur le visage, une main cachée et une autre cyannosée ouverte sur son crucifix et son chapelet.
“Nous ne montrons personne du doigt. C’est un meurtre que la justice devra éclaircir. Elle-même n’aurait pas toléré de le faire, car pour elle, tout homme avait le visage de Dieu. Dans son quotidien, elle témoignait de l’amour du Père, luttait contre la discorde et ne tolérait pas la ségrégation. Dévouée au service des autres, sa vie s’égrénait dans les sacrifices et la simplicité depuis son jeune âge”.

Lors du mariage récent d’une de ses nièces.

Toute la famille est debout, Sœur 
Antoinette est à l’extrême gauche.

L’APPEL DE LA VOCATION
Et c’est avec beaucoup d’émotion que le passé ressurgit. “Antoinette est née à Beyrouth, en 1940. C’était une enfant calme et paisible. Ses compagnons de jeux, ses deux frères et sa sœur, ses cousins se rappellent d’une enfant posée qui se sacrifiait toujours pour les autres. La famille tenait un petit négoce de libraire à la maison. Elle s’occupait de repriser des bas avec une petite machine, gratuitement, pour les plus démunis et distribuant ce qui lui restait aux pauvres autour d’elle. Depuis toujours, l’argent n’avait pas de valeur pour elle. Devenue jeune fille, sa vie secrète et quelque peu contemplative laissait croire à une relation amoureuse savamment cachée. Les garçons qui l’entouraient ne pouvaient obtenir d’elle un intérêt suffisant, son regard, qui suscitait tant d’interrogations, entrevoyait une vie qu’elle seule sentait venir.
Elève des Sœurs Lazaristes, elle était très intriguée par la vie des religieuses. Elle posait, régulièrement, des questions à propos de deux parentes: Sœurs Thérèse et Hélène Zeidan. En 1958, une célébration à l’occasion du retour de l’oncle paternel, Père Gebrayel Zeidan, curé à Buenos Aires, l’impressionna beaucoup. Elle se renseigna, longuement, sur la sœur de l’officiant, elle-même religieuse, Sœur Afdoukia. A ce point, Antoinette avait déjà fait son choix. Mais c’est en cachette qu’elle quitta la maison. Sa mère en fut très bouleversée. Son père signifia non pas sa peine de “perdre” une fille, mais le bonheur d’offrir une de ses enfants à Dieu”.
Pour cette enfant élue de Dieu, commence alors une longue et belle vie chez les Sœurs Antonines. Du couvent de Mar Doumit qui reçut ses premiers ordres, elle s’envola bientôt à Rome pour poursuivre ses études de théologie. Dès son retour, c’est la tournée au service de la congrégation dans toutes les régions du Liban et de Syrie. Son périple devait se terminer par trois derniers mois à Kfarchima dans un petit couvent avec trois autres religieuses, précédé auparavant d’un passage à Rmeich (au Liban-Sud) et à Nabatiyeh où elle vécut sept ans. “Les Sœurs Antonines et Sœur Antoinette, plus précisément, ont beaucoup contribué à l’amélioration de la condition féminine au Liban-Sud,” attestait aux condoléances, le député Abdel-Latif el Zein.

“SI LE GRAIN NE MEURT…”
Mais celui qui lui demanda de lui consacrer sa vie, lui demanda aussi de lui offrir sa mort. “C’est la volonté de Dieu et Antoinette l’a toujours respectée. Nous n’y pouvons rien. Mais ce qui nous fait mal, c’est de ne pas savoir quelles tortures elle a subies avant de mourir. Car le rapport du médecin légiste atteste que le décès ne remontait pas à plus de 12 heures. Quel enfer a-t-elle vécu, nous l’ignorons”.
Découvrir la vérité sur sa mort tragique ferait du bien à la grande communauté à laquelle elle appartient: communautés religieuse, ecclésiastique, familiale et sociale. Car à l’annonce de sa mort, un mouvement de protestation s’est élevé dans toutes les localités de Hadeth, Kfarchima, Baabda et Achrafieh. Des messes ont été célébrées partout dans le pays, des heures de prières, des dénonciations ont fusé d’un peu partout. “Pourquoi, ce crime odieux et gratuit?”
La question demeure, mais “C’est avec la spiritualité que nous devons dépasser les problèmes au Liban. La mort d’Antoinette est une mission et ne doit pas provoquer des dissensions politiques ou religieuses. Nous n’acceptons pas de commercialiser sa mort. Elle a trop vécu dans l’amour de Dieu pour que sa mort ne le serve pas”.
Le legs de Sœur Antoinette serait-il d’aimer au-delà de tout, comme nous l’a appris le Sauveur? “Oui, indiscu-tablement. Sur ce plan, nous sommes très sereins, quoique très déçus. Nous aurions aimé qu’il y eût une dénonciation officielle de ce crime atroce et qu’on n’eût pas tenté de l’occulter en faisant croire au début à un accident. Mais cela c’est de la politique et ce n’était pas la mission de Sœur Antoinette; ce ne sera pas non plus le but de sa mort”.

par GISÈLE EID

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