Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
ILS REVIENNENT À LA CHARGE
Tandis que les pourparlers syro-israéliens semblent marquer le pas dans un climat où le pessimisme gagne du terrain, tandis qu’une organisation armée entreprenait, par une série de massacres, de mettre en péril la paix civile intérieure - tragédie évitée de justesse par l’intervention énergique de l’armée - notre Premier ministre juge le moment propice pour relancer une question dont on aurait pu nous faire l’économie dans la phase critique que nous traversons.
Le confessionnalisme, voilà, pour certains de nos responsables, la priorité du moment. Voilà le grand responsable! Le Dr Hoss, suivi immédiatement par messieurs Berri et Karamé, a embouché les trompettes du jugement dernier pour nous prédire les pires catastrophes si, toutes affaires cessantes, nous ne nous attelions pas à la tâche urgentissime d’abolir ce système infernal, œuvre des puissances des ténèbres.
Qu’est-ce qui pousse de braves gens à devenir des fous sanguinaires? Le confessionnalisme. Qu’est-ce qui a accumulé sur nos têtes 20 milliards de dollars que nous ne savons pas comment payer et ce, malgré l’éloquence teintée d’un curieux accent et le talent remarquable du ministre Corm? Le confessionnalisme. Qu’est-ce qui oblige le gouvernement à fabriquer une loi électorale, dont le moins qu’on puisse dire est que c’est un ramassis de n’importe quoi qui va jusqu’à l’incohérence? Le confessionnalisme. Et la liste s’allonge, s’allonge et s’allonge avec des rallonges, à croire que l’abolition du confessionnalisme politique serait le baiser du prince charmant qui sortira la Belle au bois dormant de son interminable sommeil.
Il est évident que le confessionnalisme n’est pas ce que l’on pourrait inventer de mieux comme système politique. Mais cela, à l’époque, représentait un moindre mal dans un pays composé de dix-neuf communautés religieuses différentes reconnues, officiellement, par l’Etat et garantissant dans une certaine mesure les droits des minorités, presque toujours vouées à l’oppression dans cette partie du monde.
J’ai dit “à l’époque”, mais qu’avons-nous fait depuis à part le chemin du progrès en sens inverse? Qu’ont fait nos stratèges sinon confondre - peut-être à dessein - déconfession-nalisation et abolition du confessionnalisme politique? Déconfessionnaliser, c’est effacer le confessionnalisme des cœurs, des esprits, des mœurs, de l’éducation. Abolir le confessionnalisme politique, c’est donner le feu vert à une danse du scalp, autour d’un fauteuil.
Quant au brassage dont on nous rabat les oreilles, est-ce en intervertissant les charges constitutionnelles et les postes officiels qu’on le réalise? Et si à la place d’un président de la République maronite, nous avions un chef d’Etat chiite, un Premier ministre druze à la place du sunnite et un président de la Chambre sunnite à la place du chiite, aurions-nous réussi à rapprocher les maronites du Kesrouan, des sunnites de Saïda, les grecs-orthodoxes du Koura, des chiites de Nabatieh? Cela aurait-il été le meilleur moyen de faire fusionner Achrafieh et Basta, Dennieh et Bécharré, Baalbeck et Jezzine, Baakline et Jounieh? N’est-ce pas là une sorte de ruse ridicule, dont plus personne n’est dupe?
Nous ne sommes pas pour le confessionna-lisme. Nous sommes pour sa suppression totale, mais en “déconfessionnalisant”. En commençant par les enfants dès la maternelle, par l’éducation civique, par le livre de classe, par le même manuel d’Histoire non manipulé ou faussé au gré des uns et des autres et, surtout, de ceux qui croient détenir sur le reste du pays un pouvoir discrétionnaire.
Pour opérer un brassage, il faut des lois laïques dans une république laïque. Il faut le mariage civil, il faut que le fils d’une mère chrétienne et d’un père musulman puisse hériter de sa mère et vice-versa. Je n’ai ici ni la place, ni la compétence nécessaires pour énumérer tout ce qui devrait être fait dans ce domaine, mais certainement pas la valse des fauteuils entre deux ou trois communautés qui déboucherait fatalement sur une hégémonie totale de l’une d’elles sur les autres.
Les “abolitionnistes” prétendent qu’ils veulent transformer une société tribale en nation. Une nation, c’est-à-dire une maison où nous vivrions tous comme une même famille. C’est merveilleux. Mais j’ai toujours entendu dire que pour construire une maison, il faut commencer par les fondations. Evidemment, c’est un procédé plutôt rétrograde, quand on le compare à la conception révolutionnaire de la suppression du confessionnalisme politique - et seulement politique - qui consiste à commencer par poser le toit.
Sur quoi? Ils l’ignorent, nous aussi. Sur qui? Ils le savent, nous aussi. Comment? Dieu seul le sait. Dieu et ceux qui ont contracté la fâcheuse manie d’amender la Constitution à tour de bras et, au besoin, de la violer.
Tout cela est fait, nous dit-on, pour sauver le Liban. Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à espérer qu’un miracle intervienne pour sauver le Liban de ceux qui veulent le sauver. 

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