Saturnale


Par MARY  YAZBECK AZOURY

“TOUT EST POUR LE MIEUX DANS LE MEILLEUR DES MONDES”
Tous s’y mettent.
Tous, c’est-à-dire les édiles, les responsables laïques et religieux.
Tous veulent les Libanais optimistes.
Optimistes envers la patrie, envers eux.
Les Libanais veulent bien croire au Liban et à la pérennité de la patrie.
Mais cela veut-il dire qu’ils doivent croire au génie de ses dirigeants?
Jamais désillusion, désenchantement et désappointement n’ont été aussi grands.
Les responsables libanais avaient promis, il y a plus d’un an, “l’avenir radieux” cher à Lénine.
En attendant cet avenir radieux, le présent est des plus sinistres.
Sans jouer aux Cassandres, nous ne sommes pas les seuls à dresser un bilan négatif de 1999... Il faut ajouter que 2000 est aussi très mal parti; surtout du point de vue sécuritaire.
- On avait promis le droit de vote pour les jeunes à partir de 18 ans.
- On avait promis le livre d’Histoire unifié pour la rentrée scolaire.
- On avait promis de châtier les coupables de toutes sortes!
- On avait promis d’épurer l’Administration.
- On avait promis la transparence.
- On avait promis la réorganisation de la Fonction publique.
- On avait promis des emplois pour jeunes.
On avait tant promis... Mais rien n’a été réalisé.
Et les responsables demandent de croire en eux.
Croire sans voir, comme en religion.
On exige des Libanais de devenir des émules de Leibniz et de répéter selon la méthode Coué: “Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes”.

***

DONNEZ, RICHES
Depuis quelques semaines, le ministère des Finances lance des appels urbi et orbi sur plusieurs chaînes de TV, demandant aux Libanais, aux émigrés, aux étrangers, à tous ceux qui le veulent bien d’offrir des donations au Trésor libanais.
Qui est le “génie” derrière cette entreprise?
Nul ne le sait.
Un appel au secours du Trésor.
N’aurait-il pas mieux valu traiter cette question dans le cadre de la coopération bilatérale et internationale?
N’aurait-il pas mieux valu s’adresser aux pays avec lesquels il existe des accords de coopération?
Ne valait-il pas mieux s’adresser à des organismes chargés d’aider les pays sous-développés?
N’aurait-il pas mieux valu collecter ou récupérer les milliards volés?
Où sont toutes les belles intentions et les belles déclarations du “début du règne”?
Où est la Transparence?
Où est la Justice?
On l’a compris: le pays est dans la dèche.
Mais il existe des moyens plus élégants que ces appels!
“Donnez riches, l’aumône est sœur de la prière”.

***

LES MALHEURS PARTICULIERS FONT-ILS LE BIEN GÉNÉRAL?
L’économiste Marwan Skandar, auteur du livre “Al-Dawr al-Dayeh” (le Rôle perdu, celui du Liban) est très critique à l’égard de la politique économique actuelle du Liban. Il estime que le bilan 1999 est plus que négatif.
Il déclare, en outre, dans cet ouvrage que le Liban n’offre plus l’environnement culturel indispensable à l’épanouissement de deux facteurs indispensables de la croissance économique: l’imagination et la compétence.
Les jeunes Libanais le constatent et s’expatrient.
Que font les responsables?
De l’économie théorique ou philosophique.
Ils ne peuvent faire mieux que leurs prédécesseurs et n’arrivent pas à redresser la barre.
D’accord, mais, au moins, qu’ils essaient de ne pas faire pire!
Qu’ils cessent de prendre des mesures inopportunes, “d’écorcher le Libanais plutôt que de le tondre”, sous prétexte de redresser l’économie nationale.
Les responsables des Finances s’imaginent que “les malheurs particuliers font le bien général, de sorte que plus il y a de malheurs particuliers, plus tout est bien”.

***

FRANÇOISE GIROUD:
LE BLA-BLA DE CES MESSIEURS
On connaît Françoise Giroud.
En 1975, cette grande journaliste était secrétaire d’Etat à la Condition féminine en France. Elle a fait un coup d’éclat en déclarant au cours d’un discours devenu célèbre: “La femme sera vraiment l’égale de l’homme, le jour où à un poste important on désignera une femme incompétente”.
Dimanche dernier, 16 janvier 2000, Françoise Giroud était l’invitée de Michel Drucker sur TV5.
A la question de savoir si quelque chose avait changé depuis un quart de siècle et ce qui l’avait le plus dérangé dans l’exercice de ses fonctions politiques, elle a répondu très clairement: “Pas grand-chose n’a changé dans le fond. Les politiques toujours aussi machistes, considèrent la femme de haut, bien que le nombre des femmes dans les ministères et l’Assemblée nationale ait augmenté”.
(Si on parle aujourd’hui de la France, c’est parce que ce pays sert de référence à une majorité de Libanais).
Françoise Giroud a poursuivi: “Ce qui m’a le plus ennuyé? Le bla-bla incessant de ces messieurs qui s’imaginent encore aujourd’hui qu’ils sont en train de révéler des choses sublimes à l’humanité et parlent des heures pour ne rien dire... Plus bavards que les politiques, il n’y a pas...”
Quand on pense aux députés libanais actuels et à tous ceux qui vont se porter candidats, même s’ils ne le proclament pas encore, “Les Confessions d’un Révolutionnaire” nous reviennent en mémoire: “Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle l’Assemblée nationale pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays, sont presque toujours ceux qui le représentent”.


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