“LA RÉSIDENCE DES PINS”,
PAR DENISE AMMOUN ET PIERRE FOURNIÉ

Les Editions ACR viennent de publier un splendide ouvrage sur “La Résidence des Pins”, de Beyrouth.
“Ce livre est le fruit d’une rédaction à quatre mains”, lit-on au sommaire. “Denise Ammoun et Pierre Fournié se sont partagé le travail de la façon suivante. Pour Denise Ammoun, les relations politiques franco-libanaises des années trente à l’indépendance, la réouverture officielle, le recueil des témoignages et des souvenirs auprès de plusieurs personnalités libanaises. Pour Pierre Fournié, la collecte des documents iconographiques, les textes sur l’origine du bâtiment, l’installation du général Gouraud et les travaux réalisés par ses successeurs, les négociations relatives à la propriété des Pins et sa reconstruction”.


Denise Ammoun, co-auteur de l’ouvrage.

Qui sont Denise Ammoun et Pierre Fournié? Denise Ammoun, grand reporter, collabore à plusieurs périodiques français et libanais; elle est correspondante au Caire des journaux “La Croix” et “Le Point”.
Elle est l’auteur de “L’Histoire du Liban” paru chez Fayard en 1997, ouvrage couronné par l’Académie française.
Pierre Fournié est le Conservateur en chef du Patrimoine à la direction des Archives du ministère français des Affaires étrangères. Il a publié avec le colonel Jean-Louis Riccioli, “La France et le Proche-Orient, 1916-1946”, paru à la Renaissance du Livre en 1996.

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Le 1er septembre 1920, la proclamation
solennelle de l’Etat du Grand Liban 
par le général Gouraud.

Jacques Chirac rouvre la Résidence des Pins le 30 mai 1998
“Kasr Es-Sanawbar” ou le Palais des Pins compte parmi les plus belles demeures des ambassadeurs de France.
Le privilège d’habiter dans de véritables palais n’échoit qu’à un petit nombre de diplomates.
Le Palais Farnèse à Rome, fleuron des ambassades de France. Construit au XVIème siècle par Sangallo le Jeune, Michel-Ange et Giacomo Della Porta l’emporte haut la main; il est inégalable et incomparable.
D’autres palais historiques sont aussi les demeures des ambassadeurs de France: le Palais de France, à Istanbul; le Palais d’Abrantes, à Lisbonne; le Palais Buquoy, à Prague; le Palais Todt, à Copenhague; le Palais Igoumenov, à Moscou et trois ou quatre autres disséminés dans le monde.
A toutes ces demeures, la “Résidence des Pins” vient ajouter son charme énigmatique: Est-il turc? Est-il arabe?
La Résidence des Pins est surtout un symbole, un site emblématique au cœur des débats sur l’identité, l’histoire et l’urbanisme de Beyrouth.
Sa rénovation manifeste l’engagement profond et la fidélité de la France aux côtés d’un Liban uni, reconstruit, vivant et libre de sa destinée.
Telle est la raison pour laquelle le président Jacques Chirac et son épouse sont venus à Beyrouth pour sa réouverture officielle le 30 mai 1998.

M. A. Y.
PRÉFACE
La France éprouve pour le Liban un attachement puissant et singulier où se mêlent, dans une alchimie toujours renouvelée, l’amitié, la confiance et la fidélité.

 La “Résidence des Pins” est tout cela. Elle en est la mémoire et le symbole. Elle en exprime la permanence et la vitalité. Le Liban moderne y est né au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’Etat libanais et ses institutions y furent fondés. Les hauts commissaires s’y sont succédé durant toute la période du Mandat. Le général de Gaulle, alors chef de la France libre, y a vécu lorsqu’il séjournait à Beyrouth.
Au moment de l’indépendance, souhaitée et préparée par la France, la Résidence des Pins est devenue celle de nos ambassadeurs. Elle est restée le lieu central des relations franco-libanaises, aux heures heureuses comme aux heures sombres. Après six années très difficiles (1976-1982) pendant lesquelles nos chefs de mission diplomatique ont continué courageusement à l’habiter - et Louis Delamare jusqu’au sacrifice de sa vie - la violence des bombardements de 1982 nous obligea à nous replier.
La paix revenue, la reconstruction de la Résidence des Pins s’imposait. J’en confirmai la décision dès mon accession à la présidence de la République. Sa restauration a été magnifiquement menée, avec la volonté de restituer à l’architecture d’origine son charme et sa beauté mais, aussi, d’y montrer le savoir-faire des artistes français contemporains.
Je me suis rendu à Beyrouth pour marquer solennellement sa réouverture, le 30 mai 1998, en présence des plus hautes autorités de la République libanaise. Ce jour-là, dans un grand moment de joie et d’émotion, la Résidence des Pins est redevenue la Résidence de France. Elle a recouvré sa place au centre de Beyrouth et au cœur du Liban.
Mme Denise Ammoun, M. Pierre Fournié et l’éditeur Ahmed-Chaouki Rafif, ont su faire revivre avec talent l’histoire, tour à tour radieuse et tragique, mais toujours vivante et exemplaire, de cette parcelle de France en terre libanaise. Une histoire qui se confond avec celle du Liban lui-même et qui symbolise, aujourd’hui plus que jamais, l’engagement indéfectible de la France à ses côtés. 

JACQUES CHIRAC
Président de la République française

CE QU’ILS PENSENT DE LA RÉSIDENCE DES PINS
Lors du voyage officiel du président Charles Hélou en France en 1965, le général de Gaulle avait émis le désir de faire l’acquisition de la Résidence des Pins qui avait été le siège du haut-commissariat pendant le mandat; puis, de l’ambassadeur de France après l’indépendance. Pourquoi précisément la Résidence des Pins, alors que la France possédait en pleine propriété d’autres biens fonciers, tels que le magnifique ensemble de la rue Clemenceau, où se trouvent, actuellement, les bâtiments de l’Ecole supérieure des Affaires? Ce n’est pas seulement, le fait que ce haut lieu était chargé d’histoire et qu’il avait été le témoin de la proclamation du Liban par le général Gouraud en 1920 qui avait incité le général de Gaulle à émettre ce souhait, mais plus précisément parce que la Résidence des Pins se trouve au point où les deux parties de Beyrouth se rencontrent et se fondent et où la convivialité résidentielle se manifeste encore plus qu’à la place des Martyrs où le caractère commercial reste prédominant. Je pense que le général avait ainsi voulu marquer l’intérêt que la France porte aux Libanais de toutes confessions ou convictions politiques et son souci d’apporter sa contribution au renforcement de cette convivialité islamo-chrétienne spécifique au Liban. De ce fait, le général de Gaulle a été, en un sens, le précurseur de Sa Sainteté le pape Jean-Paul II qui considère le Liban, non pas comme un Etat comme les autres, mais comme un “message” pour toutes les nations, à l’heure où les conflits religieux ou ethniques s’enveniment sur tous les continents et où le recours à des épurations ensanglante la planète et met en péril la paix.
Le soin particulier apporté à la reconstruction à l’identique des bâtiments détruits par les bombardements montre bien l’importance qu’accorde la France à ce lieu mythique et son souci de manifester l’intérêt qu’elle ne cesse de porter au Liban et au “message” qu’il représente pour toutes les nations. 
MICHEL EDDÉ 
Ce que la Résidence des Pins évoque pour moi? Je ne parlerai ni de son historique, ni de son architecture, aussi belle soit-elle. Je ne parlerai que de ce que j’ai ressenti, de ce que je ressens toujours quand je m’y rends ou que je l’admire en passant. La Résidence des Pins symbolise la tradition d’amitié indéfectible entre la France et le Liban. Ce coin de France à Beyrouth illustre au mieux la devise: “Liberté, Egalité, Fraternité”. Nulle part ailleurs qu’à la Résidence des Pins, une fête nationale n’est célébrée aussi affectueusement, aussi sincèrement, aussi fastueusement et, paradoxalement, aussi populairement. A n’importe quel 14 juillet, le tout Liban se retrouve. Non par pure courtoisie ou par devoir. Tous ceux qui viennent sont là pour exprimer leur amitié, leur affection envers la France, pour qui sa devise représente la charte qui régit les relations entre les hommes et les nations.
Au cours de la grande réception donnée à l’occasion de la réouverture de la Résidence des Pins en mai 1998, en présence du président de la République et de madame Jacques Chirac, je tremblais d’émotion en voyant cette foule qui s’y pressait. Ce n’était pas le nombre des personnes présentes qui m’impressionnait, mais leur variété! Toutes les professions, toutes les classes sociales y étaient représentées, sans distinction de parti politique ou de religion. Tous y baignaient dans un climat unique, incomparable de solidarité. C’est cela pour moi la Résidence des Pins. 
FOUAD TURK
Ancien ambassadeur du Liban en France, 
ancien secrétaire général du ministère
des Affaires étrangères 
Il est des demeures remplies de symboles et dont les pierres sont les témoins de la mémoire de la nation. La Résidence des Pins a longtemps incarné la domination coloniale française. A ce titre, elle a cristallisé certains ressentiments. Mais avec l’avènement du Liban indépendant et l’instauration de relations privilégiées avec la France - notamment après 1967 et les prises de position du général de Gaulle et de ses successeurs dans le conflit du Proche-Orient - la politique d’ouverture de la France sur le monde arabe a transformé le ressentiment en reconnaissance. Cette évolution positive a conduit en 1972 le gouvernement libanais à confirmer la possession du bâtiment par la France et c’est mon père, Saëb Salam, en sa qualité de Premier ministre à l’époque, qui a fait part en 1972 de cette décision à son homologue français, Jacques Chaban-Delmas. Depuis lors, la Résidence des Pins a été plongée au cœur de la tourmente pendant les années noires de la guerre. Située sur la ligne de démarcation, elle est néanmoins restée un lieu de rencontre où les représentants de la France tentaient de renouer les fils rompus du dialogue entre les parties belligérantes. Louis Delamare y a laissé sa vie. L’invasion israélienne de 1982 devait donner le coup de grâce à la présence de la diplomatie française au cœur de Beyrouth et la crise des otages et les soubresauts violents de la guerre n’ont pu que prolonger cet éloignement physique. Mais dès que les circonstances l’ont permis, ils ont tenté de redonner vie à la Résidence, notamment lors de la célébration rituelle du 14 juillet qui, pendant un après-midi, rendait à l’auguste bâtiment - même en ruine - son rôle rassembleur. Sa récente restauration et le retour de l’ambassadeur de France à Beyrouth même sont la confirmation solennelle de l’engagement de la France aux côtés du Liban. 
TAMMAM SAËB SALAM 
Je garde un autre souvenir plus récent et plus douloureux [le premier souvenir concerne la fin des années trente et figure p.51]. La guerre civile battait son plein; la Résidence des Pins en partie endommagée était déjà évacuée par ses habitants, mais elle servait encore, en temps d’accalmie, à des fonctions ponctuelles. M. Couve de Murville, délégué par le gouvernement français, se trouvait à Beyrouth pour tenter d’aider cet infortuné pays à résoudre ses inextricables problèmes. C’est à la Résidence des Pins qu’il souhaita recevoir, tour à tour, des personnalités libanaises de toutes tendances et confessions, afin de les écouter et, peut-être, de contribuer à atténuer leurs antagonismes. J’eus l’honneur d’être parmi les personnes consultées. Mais le hasard a voulu que mon rendez-vous fût fixé dans la matinée d’un 22 novembre. C’est une date qui, apparemment, ne voulait rien dire pour M. Couve de Murville. De plus, elle avait disparu pendant la guerre du calendrier des fêtes libanaises. Pour moi, c’était l’inoubliable date à laquelle mon père fut libéré avec ses camarades et à partir de laquelle une phase nouvelle de nos relations avec la France devait commencer. Je rappelai ces événements à l’homme qui me recevait avec une courtoisie dont j’avais l’habitude, ayant accompli auprès de lui plusieurs missions. Cette coïncidence nous donna à l’un et à l’autre l’opportunité de faire un tour d’horizon quelque peu désabusé quant aux capacités des hommes à contourner les ironies de l’Histoire ou à modifier le cours du destin. J’enjambai quelques débris. On entendait au loin le crépitement des mitrailleuses... Ce fut ma dernière visite avant de revoir, en 1998, une Résidence merveilleusement restaurée, altière au milieu de son parc aux frontières desquelles les chevaux ont repris leurs superbes foulées. 
MICHEL EL-KHOURY

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