ASSASSINAT DE AKL HACHEM ET MENACES ISRAÉLIENNES: UN DÉRAPAGE CONTRÔLÉ

En tuant Akl Hachem, numéro deux de l’Armée du Liban-Sud (ALS) et successeur éventuel d’Antoine Lahd à la tête de cette formation, le “Hezbollah” a porté un coup dur à l’ALS et aux Israéliens qui appuient et financent l’ALS. Le coup était d’autant plus dur que, moins de 24 heures après cet attentat qualifié de “glorieux”, la milice chiite intégriste a bombardé une position militaire israélienne dans la zone sudiste occupée, provoquant la mort de trois soldats et faisant quatre blessés parmi les effectifs de “Tsahal”.
Les implications de cet attentat et de la mort de trois soldats israéliens dépassent le cadre du Liban-Sud et se trouvent liées à un contexte bien plus vaste englobant les négociations de paix syro-israéliennes. Selon les observateurs politiques: “l’élimination de Akl Hachem peut faire le jeu des différents acteurs sur la scène proche-orientale”.
Quelle sera la riposte israélienne? Le Premier ministre Ehud Barak a adopté jusqu’à l’heure un ton modéré, alors que les militaires et les “faucons” réclament des frappes contre les infrastructures civiles libanaises en signe de représailles.
Quant aux interférences internationales, elles ont tracé une ligne rouge, mettant en garde contre toute opération militaire dramatique qui risquerait de balayer le processus de paix.
Le retour aux négociations demeure-t-il le choix privilégié?

Tout d’abord, cette opération spectaculaire peut contribuer à un démantèlement rapide de l’armée sudiste déjà affaiblie. Certains indices révèlent que, depuis un certain temps, des mesures étaient prises pour assurer le départ d’un groupe de ses officiers vers l’Europe, le Canada ou l’Australie, en prévision de la dissolution de cette formation après le retrait de “Tsahal” du Liban. L’Etat hébreu désire régler le problème de cette “armée”, qui compte un peu plus de 2.000 hommes, avant son évacuation définitive des 850 kilomètres carrés qu’il occupe au Liban-Sud et dans la Békaa-ouest.
Les implications de l’attentat concernant les mesures de représailles que pourrait adopter Israël, sont en rapport direct avec le processus de paix et l’attitude plutôt modérée du Premier ministre israélien, face à cette situation, est très significative. Il en est de même des appels à la retenue lancés, aussi bien par Washington que par la Communauté européenne, en vue d’empêcher toute escalade militaire qui serait dramatique pour la région.

ATTENTAT À L’EXPLOSIF
Akl Hachem, commandant adjoint à l’ALS, a trouvé la mort le dimanche 30 janvier autour de 12h45 par l’explosion d’une forte charge placée à l’entrée de la propriété qu’il possède au village de Débel (caza de Bint-Jbeil).
La télévision du “Hezbollah” (“Al-Manar”) a diffusé, le soir même, un document de trois minutes affirmant qu’il s’agit des images filmées par les membres du commando intégriste ayant fait exploser la charge. On y voit Akl Hachem se promenant dans sa propriété en compagnie de deux autres hommes et un chien, un Doberman apparemment. L’explosion s’est produite au moment où il s’apprêtait à monter à bord de sa jeep, une 4x4 blindée de type Hammer, “offerte par les Israéliens”, précise le commentateur de la télévision.
Le numéro deux de l’ALS a été tué sur le coup et sa mort fut aussitôt annoncée par la milice intégriste en ces termes: “Le traître Akl Hachem, commandant la quatrième brigade de l’ALS, a été tué dans une attaque à l’explosif...”
L’Armée du Liban-Sud n’a pas tardé à confirmer cette mort disant: “Les milices de l’ennemi irano-syrien ont fait exploser un engin dans le village de Débel, au moment du passage du colonel Akl Hachem, commandant du secteur occidental de la zone...”
Mais alors que l’ALS pleurait la mort de son commandant en chef-adjoint, ce fut l’explosion de joie du côté du “parti de Dieu” qui venait de réaliser son second exploit spectaculaire après l’opération, toujours en zone occupée, qui avait provoqué la mort, le 28 février 1999, du général Erez Gerstein, considéré, alors, comme le numéro un israélien au Liban-Sud.
La milice intégriste fait exploser sa joie et sa fierté. Des convois de voitures klaxonnant à tout rompre et brandissant les drapeaux jaunes ou rouges frappés du sigle du “Hezbollah”, sillonnent les rues de Beyrouth, Saïda, Baalbeck, etc. Les miliciens offrent des confiseries aux passants.
Au même moment et dans les jours qui suivent, la région frontalière est soumise à un dur matraquage israélien. Les raids aériens et le pilonnage intensif provoquent de graves dégâts matériels à Iklim At-Touffah, fief du “Hezbollah” et dans différents autres villages.
 
Akl Hachem à son domicile.
Les funérailles du NÞ2 de l’ALS.
 
TON MODÉRÉ DE BARAK
Une question prioritaire s’impose: Quelle va être la réaction d’Israël? Au moment de l’attentat, le Premier ministre israélien se trouvait au Caire pour une rencontre au sommet avec le président égyptien. Dans une conférence de presse conjointe avec le président Hosni Moubarak, Barak affirme: “C’est un incident très grave et très pénible. Nous allons faire en sorte que la situation ne se détériore pas sur la frontière israélo-libanaise et que les responsables soient châtiés”.
Force est de constater que le ton de M. Barak est plutôt modéré; il le restera dans les jours qui suivent, face à la tendance dure exprimée soit par les militaires, soit par la droite israélienne qui réclament des frappes contre les infrastructures civiles au Liban.
Un vaste débat est institué en Israël sur la question et la polémique est vive. Lundi 31 janvier, rentré en Israël, Barak a réuni le Cabinet de sécurité israélien, afin d’examiner la situation dans la bande frontalière, suite à la mort de Akl Hachem et de trois soldats israéliens.
Barak parle de riposte, mais toujours sur un ton pondéré: “Nous avons su dans le passé et nous saurons frapper à l’endroit et au moment que nous choisirons. Qui ose s’attaquer à nos soldats ou à ceux de l’ALS, ou bien encore à nos localités du Nord, le paiera au prix fort”.
Le Premier ministre israélien lance, aussi, un message à la Syrie: “Le gouvernement israélien ne pourra pas mener des négociations de paix, si les Syriens n’empêchent pas le “Hezbollah” d’agir contre nos troupes et contre l’ALS dans la zone de sécurité”.
 
Explosion... de joie à Beyrouth, 
après l’annonce du décès de Hachem.
L’inquiétude se sur lit le visage 
de Lahd et Barak.
 
CONTENIR LES MILITAIRES
Il est évident, pour l’heure du moins, que Barak veut éviter tout dérapage ou toute escalade militaire qui mettrait en danger le processus de paix et risquerait même de le balayer pour un temps indéterminé.
Mais qu’adviendra-t-il si les négociations sur le volet syro-israélien demeurent paralysées? Barak pourra-t-il contenir longtemps les militaires et les durs qui réclament des frappes contre les infrastructures civiles libanaises, tel que le dit un responsable militaire: “Je ne sais pas combien de temps les ponts reliant Beyrouth à Saïda resteront en place”.
Pour les militaires israéliens, la tension très vive et l’escalade militaire qui prévaut au Liban-Sud depuis quelque temps, indiquent que “le Hezbollah a le feu vert pour faire ce qu’il veut”. Il aurait reçu, disent des sources israéliennes, de nouvelles armes sophistiquées d’Iran et la Syrie laisse faire.
Face à la tension permanente dans la zone frontalière, des voix en Israël se font de plus en plus nombreuses pour réclamer le retrait total de “Tsahal” du “bourbier” libanais. A son arrivée au Pouvoir, Barak avait annoncé son intention de retirer son armée du Liban avant fin juillet 2000. Il revient, sans cesse, sur cette question tout en souhaitant que ce retrait se fasse dans le cadre d’un accord avec le Liban, sous parrainage syrien, bien entendu. D’où la nécessité pour y parvenir, de poursuivre les négociations avec Damas et Beyrouth, par ricochet.
Rencontrant Lahd, dans une visite à Mtellé dans la zone occupée, Barak a réitéré sa promesse de retrait du Sud.

LA RÉPONSE LIBANAISE
Face aux menaces de représailles israéliennes, la réponse officielle libanaise est venue de la plus haute instance du pays. Dans une déclaration au quotidien “As-Safir”, le président Emile Lahoud affirme: “Les menaces israéliennes auxquelles nous sommes habitués, ne nous font pas peur et c’est le prix à payer pour la libération”.
Comme à son habitude, le chef de l’Etat rend un vibrant hommage à la Résistance: “Ses éléments ont redonné au Liban son prestige, renforcé sa capacité à résister et relevé la tête des Arabes. Par leur audace et leurs sacrifices, ils offrent ce qu’ils ont de plus cher pour confirmer notre détermination à libérer notre terre”.
Mais le Libanais est inquiet. Qu’adviendra-t-il si Tel-Aviv mettait à exécution ses menaces de bombarder nos infrastructures? Qu’en sera-t-il de notre situation socio-économique déjà peu brillante?
Il faut donc espérer que la ligne rouge tracée par les instances internationales, l’Amérique en tête, demeure active et efficace, le retour aux négociations de paix restant le choix privilégié de toutes les parties.
 
ENTRE LE SPIRITUEL ET LE TEMPOREL
Le fait pour le patriarche Sfeir de s’être fait représenter aux obsèques de Akl Hachem par l’archevêque maronite de Tyr, a provoqué un tollé dans les milieux proches de la Résistance et des hommes politiques ont exprimé leur surprise et certains, leur réprobation.
Bkerké réplique, pour justifier sa participation aux funérailles du “numéro 2” de l’ALS, “qu’on donne à cette affaire une portée politique qu’elle n’a pas. Il s’agit d’une question d’ordre spirituel et on ne peut juger une personne après sa mort”.
Autre précision: contrairement à ce qu’aucuns ont rapporté, le cardinal Sfeir n’a pas adressé de message tenant lieu d’oraison funèbre du défunt.
Enfin, le siège patriarcal a rappelé la position de Bkerké en faveur de la Résistance: il reconnaît la légitimité de son action, tant que des portions du territoire national sont occupées. 
QUI EST AKL HACHEM?
Originaire de Débel (caza de Bint-Jbeil), né en 1952, il est marié à Léa Kassab et ont cinq enfants dont l’aîné, Elias, poursuit ses études universitaires en Israël.
Sergent-chef dans l’Armée libanaise, il retourne à son village natal en 1976 et rejoint l’armée du “Liban Libre” qu’avait fondée au Sud, le commandant Saad Haddad. Elle deviendra l’ALS avec le général Antoine Lahd qui succède à Haddad en 1985.
Akl Hachem est promu par Lahd au grade de colonel et nommé commandant de la plus importante brigade de l’ALS déployée dans le secteur occidental de la zone occupée. Il était supposé succéder au général Lahd et avait la confiance des responsables israéliens.
Le “numéro deux” de l’ALS avait, par le passé, échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Une conjonction de circonstances a, sans doute, permis que la dernière en date réussisse.
Ses funérailles ont eu lieu à Aïn Ebel, son cercueil ayant été recouvert du drapeau libanais. 

PAR NELLY HÉLOU

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