LE MYSTÈRE ENTOURE LA MORT DE MARCEL KIKANO
“NOUS VOULONS CONNAÎTRE LA VÉRITÉ ET QUE JUSTICE SOIT FAITE”, DEMANDE SA FAMILLE

Mardi 25 janvier, vers 18h30, Marcel Kikano, (66 ans), transitaire au port de Beyrouth, est trouvé mort à Téhoum (caza de Batroun) au bord de la mer, revolver dans la main, atteint de deux balles, dans la bouche et près du cœur.
Sa brusque disparition a laissé dans le désarroi total une épouse et deux enfants, provoqué la consternation de ses proches et amis et soulevé une multitude de questions. Pourquoi ce meurtre odieux venant s’ajouter à tant d’autres crimes inexpliqués, créant un climat d’inquiétude et d’incertitude dans le pays?
L’enquête est en cours.

UN “PRINCE DÉTRÔNÉ”
Retenant difficilement son émotion, Gisèle, son épouse, nous confie: “Marcel était un être exceptionnel et n’a jamais fait de mal à personne. Tous ceux qui l’approchaient, se prenaient vite d’affection et d’amitié pour lui”.
Ses nombreux amis, révoltés par ce meurtre, sont unanimes à témoigner: “Marcel était une personne honnête, intègre, d’excellente famille, de grande culture”. L’un d’eux ajoute lors des funérailles: “C’est un prince détrôné”.
Fils d’une famille maronite originaire de Beyrouth, ayant contribué à l’édification de l’église Saint-Maron d’après l’archevêque Khalil Abi-Nader, Marcel Kikano a suivi la voie tracée par son grand-père et son père: transitaire au port de Beyrouth, il avait son bureau à Saïfi.
 

Déjeuner sur la plage avec sa 
femme: un couple heureux.

Gisèle entourée de ses 
enfants: Tania et Marc.

UN FOYER HEUREUX
Elève des pères Jésuites, il avait une vaste culture et était un passionné de lecture, en tout domaine, possédant une vaste bibliothèque à son bureau. En 1973, il épouse Gisèle Traboulsi, originaire de Batroun et ont deux enfants: Marc (25 ans) et Tania (19 ans).
“Nous formions un foyer heureux et paisible”, nous dit sa femme. Pour ses enfants, il était un être idéal, un ami autant qu’un père. Sa fille l’appelle, d’ailleurs, par son nom”.
Grand sportif, il faisait de l’équitation et de la voile. Il adorait la mer et conservait un esprit très jeune. Ses amis avaient la trentaine.
Durant les années de guerre, les Kikano achètent une maison à Batroun pour s’éloigner quelque peu de l’engrenage infernal des combats dans la capitale.
“Marcel a très vite aimé et adopté cette ville côtière, affirme son épouse. “La vie y est saine et paisible, disait-il, les valeurs familiales préservées”. Batroun est devenue son oasis, un havre de tranquillité. On s’y rendait chaque week-end. Il pouvait, d’une part, y pratiquer ses activités sportives favorites et, étant de caractère indépendant, il aimait s’isoler. D’ailleurs, même à Beyrouth, de retour du travail, il s’installait dans son fauteuil et se plongeait dans la lecture. Ses camarades de classe disaient de lui qu’il était renfermé de nature”.


Ayant subi une opération à cœur ouvert,
Marcel Kikano était resté plein de dynamisme.

LES CIRCONSTANCES DU DRAME
Lors du week-end du 22-23 janvier, Marcel se rend seul à Batroun, sa famille étant retenue à Beyrouth. Ayant du travail à Tripoli en début de semaine, il décide d’y rester jusqu’à mardi soir; ses enfants devaient le rejoindre pour rentrer ensemble, car il était parti sans sa voiture.
Dans l’après-midi du mardi 25 janvier, sa femme, ses employés, ses clients qui essayaient vainement de le joindre à son portable, manifestent leur inquiétude. Gisèle appelle son beau-frère qui a les clés de leur maison à Batroun et lui demande de passer voir Marcel. Il n’est pas à son domicile, son portable s’y trouve et rien de particulier n’est à signaler. Vers onze heures du matin, la victime avait été aperçue en train de lire son journal au bord de la mer. Le soir, son corps y est retrouvé inerte.

QUESTIONS SANS RÉPONSE
Y a-t-il des indices? Avait-il des problèmes dans son travail, des difficultés financières, était-il endetté et avait-il des ennemis?
A toutes ces questions, sa femme répond en disant “qu’il était très discret concernant son travail et n’en parlait pas à domicile. Puis, de nos jours tout le monde passe par une phase difficile. Mais, on vivait bien, il était le pilier de la famille et tel que je le dis à mes enfants, on doit toujours penser qu’il est parmi nous. C’est lui qui doit nous donner la force de continuer à vivre”.

 

Grand sportif, il s’adonnait
à l’équitation à Sourâte.

CHAOUL: JUSTICE SERA FAITE
D’après les premiers éléments de l’enquête et de l’autopsie, la mort a dû avoir lieu entre 13 et 14 heures. Le revolver, un Magnum, ne portait que les propres empreintes digitales de la victime, le tueur s’étant bien chargé d’effacer les siennes; on a trouvé 200 dollars dans ses poches.
Une rumeur insidieuse faisant état d’un suicide, a profondément affecté les siens: “Une personne qui se suicide ne se tire pas deux balles de gros calibres et ne peut pas garder le revolver entre ses mains.
“On a dit, aussi, qu’il avait des dettes. Il en a comme tout le monde, mais ceci ne justifie pas un suicide.
“Tel que je connais Marcel, ajoute sa veuve, s’il avait voulu se donner la mort, il m’aurait laissé  un message ou à ses enfants qu’il adorait”.
L’affaire est entre les mains de la Justice. M. Raymond Oueydate, procureur général près la Cour d’appel du Liban-Nord, a ordonné l’ouverture d’une enquête pour connaître les circonstances du décès de Kikano.
M. Joseph Chaoul, ministre de la Justice, ami de classe du défunt, ému par ce drame, est venu à deux reprises présenter ses condoléances et a promis que la Justice fera toute la lumière sur cette affaire.
Gisèle Kikano et ses enfants veulent absolument connaître la vérité. “Certes, ceci ne ramènera pas Marcel, mais on veut en avoir le cœur net. Mais, disent-ils sceptiques, cette vérité sera-t-elle connue?”.
Plusieurs personnes rencontrées lors des condoléances, soutiennent ce même point de vue: “Il y a, disent-elles, tant de drames similaires qui se produisent dans le pays et demeurent sans réponse”.
Gisèle Kikano insiste: “Je demande qu’on retrouve le ou les auteurs et le mobile du crime et que justice soit faite. Sinon, je préfère quitter le pays avec mes enfants et m’installer à l’étranger où je me sentirais en sécurité. D’ailleurs, toute la famille de Marcel vit entre Paris et Rome”.

CONNAÎTRE LA VÉRITÉ
Pour les enfants, la douleur est immense. Marc fait son architecture d’intérieur à l’ALBA, son père ne l’ayant pas encouragé à suivre sa profession. Idem pour Tania qui voulait assurer cette continuité, lui disant que ce n’était pas une profession pour une femme. Elle fait sa première année de droit à l’USJ et cache mal sa révolte contre ce crime qui lui a arraché un père qu’elle adorait. Elle se demande si le fait d’en parler dans les médias permettra de connaître la vérité.
C’est aussi l’avis de Gisèle Kikano. Il y a deux ans son père, le Dr Georges Traboulsi était mort des effets de la fumée nauséabonde d’un immense incendie qui avait eu lieu à Batroun. “Tous les médias en avaient parlé, mais rien n’a été fait”, dit-elle.
Gisèle sait, aujourd’hui, qu’elle doit être courageuse et forte pour ses enfants. C’est ce que son fils lui dit: “Si tu es forte, je le serai aussi”.
Elle évoque comment Marcel a fait il y a sept ans une opération réussie à cœur ouvert et surmonté d’autres problèmes de santé dont une hernie discale. Il était resté jeune de cœur, d’esprit et plein de dynamisme.
Elle va vendre leur maison à Batroun “car je ne peux imaginer ce “havre de quiétude” sans lui”.

N. H.
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