Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
À QUI FONT-ILS PEUR?
Entre la visite du président Hosni Moubarak qui nous a remonté le moral et la mort tragique de la jeune étudiante, victime de l’imprévoyance des autorités, qui nous l’a remis à zéro, un grand événement, ou plutôt un phénomène de société a eu lieu. Un événement auquel nos dirigeants ne semblent pas avoir prêté la moindre attention, si tant est qu’ils aient jamais su ce qu’était un phénomène de société.
Un événement d’une telle envergure qu’il est appelé - à plus ou moins brève échéance - à bouleverser toutes les données dans cette partie du monde. Il s’agit des élections iraniennes, sur lesquelles nous aurions tous intérêt, dirigeants et dirigés, à nous pencher.
Voilà une république qu’on a qualifiée de théocratique et dont les dirigeants sont les dépositaires de l’héritage de Khomeini, le père, devenu légende, d’un nouvel Iran pur et dur. Une république dont on a dit qu’elle avait replongé l’Iran dans la nuit des temps, en assimilant tout genre d’évolution à un péché mortel. Un Etat où le conservatisme le plus étroit réglait la vie de chacun jusqu’à dans ses vêtements et ses pensées les plus intimes.
Et voici que, dans cet Etat rigoriste où seule la tradition avait droit de cité, un groupe d’hommes et de femmes se lève et parle réforme et réformisme. Tout le monde pensait que ces trouble-fête seraient proprement balayés. Et, brusquement, l’on découvre, à la lumière des élections législatives, que cette supposée dictature est une vraie démocratie. Ce genre de démocratie vivante qui permet, dans le cadre strict de la légalité, d’opérer de véritables révolutions.
Ce ne sont ni l’accession de généraux au Pouvoir, ni des putsches, ni du terrorisme ou des combats fratricides, ni une loi votée par un parlement docile qui a retourné la situation et fait voler en éclat le cadre rigide du conservatisme. Ce sont les bulletins de vote des femmes et des jeunes qui ont ouvert la voie à cette révolution.
Les femmes et les jeunes, deux puissances formidables que nous ignorons au Liban pour nous laisser submerger par l’indigence et le formalisme de nos caciques machistes, indévissables de leurs fauteuils.
Nous nous croyons libres et évolués, parce que personne ne nous dit ce que nous devons porter. Nous nous habillons chez Saint Laurent, Armani et Versace. Nous arborons des décolletés plongeants et des microjupes. Nous arpentons les plages en strings et nous avons des moues de pitié envers ces infortunées iraniennes emmitouflées dans leurs sinistres tchadors.
Eh! bien, ce sont ces “sinistres tchadors” qui viennent de tout faire sauter en Iran. Mieux encore, sur vingt-six députés - tous réformistes  - déjà élus à Téhéran (26 sur 30), six sont des femmes. Et c’est une femme Jamileh Kadivar qui arrive en seconde position après le chef de liste. Nos stringeuses peuvent-elles en dire autant, alors que nous avons aligné, à grand-peine, trois femmes sur les bancs du parlement dont deux ne sont même pas assurées de revenir? Comme me disait récemment une amie, nous, c’est au moral (ou au mental?) que nous portons nos tchadors. Et cette situation ne semble pas devoir changer de sitôt, ni pour les femmes, ni pour les jeunes.
Pendant qu’en Iran, on vote dès l’âge de 16 ans, nous venons de sortir une loi électorale - baptisée de “moderne” - qui refuse d’abaisser l’âge des électeurs à 18 ans, alors que ce sont ces 18 ans-là qui représentent la seule force vive d’un pays sclérosé par une classe politique qui semble avoir perdu les cinq sens pour ne plus garder que celui de ses propres intérêts.
Et pourtant, malgré le fait qu’on les tient en quantité négligeable, que rien n’est fait pour eux ou leur avenir, que tout les pousse à s’expatrier pour pouvoir vivre décemment, ce sont eux qui nous ont rendu notre fierté en faisant de leurs corps - devant les canons israéliens - un mur vivant, à Arnoun. Ce sont eux qui sont descendus dans la rue pour dénoncer le soutien inconditionnel de l’Amérique à Israël. Et tandis que ceux de la classe politique se bousculaient devant les micros pour proférer des dits et redits usés jusqu’à la corde, quand ils ne se livraient pas à des rodomontades pour le moins surprenantes, les jeunes, eux, multipliaient les sit-in pour dire non à Barak, non à Albright, non au terrorisme d’Etat.
Peut-on savoir, en outre, pourquoi, en les appelant sous les drapeaux pour faire leur service militaire, l’Etat les trouve aptes à se battre et à mourir face à l’ennemi, alors qu’il les juge incapables de choisir ceux qui sont appelés à légiférer en leur nom et à hypothéquer leur avenir? Pour tout dire, si on leur met un uniforme sur le dos dès 18 ans, ils doivent avoir aussi le droit de disposer d’un bulletin de vote.
Ou bien font-ils peur? Et à qui? 

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