LE “JOUR DU DESTIN” EN IRAN
UNE CONTRE-RÉVOLUTION?
Les jeunes Iraniens ont remporté le 18 février 2000 leur troisième victoire. Le 23 mai 1997, soutenus par les femmes, ils avaient porté contre toute attente Mohamed Khatami à la présidence. Deux ans plus tard, ils permettaient à son camp de remporter les municipales. Et cette année, en dépit de tous les obstacles dressés par le Conseil de surveillance de la Constitution, en dépit de la révolution manquée des étudiants en juillet, ils ont transformé, “le 29 Bahman (18 février) en un nouveau 2 Khorchad (23 mai)”. Ils ont même dépassé les espérances de leur président. Le 29 Bahman se transformait en “Jour du destin”.


Etudiantes iraniennes agitant drapeaux et calicots.

C’est à travers ces jeunes (60% des 63 millions d’habitants ont moins de 25 ans) que le vent du changement va souffler sur le pays. Insensibles au passé chargé du Shah qu’ils n’ont guère connu, fils de la révolution dont ils rejettent les excès et le contentieux, ils entendent vivre leur jeunesse et aspirent à la liberté. Initiateurs peut-être d’une contre-révolution et annonciateurs de la fin d’un cycle qui a donné le départ à la révolution islamique interne et externe et dont ils pourraient sonner le glas.
Ils sont 1,5 millions dont 51% de jeunes filles dans les universités. Tout comme les bacheliers dont le flot ne cesse d’augmenter, ils se trouvent confrontés aux dures contraintes du chômage qui touche 20% de la population active. Bon nombre d’entre eux se tournent alors vers l’étranger où ils tentent de se forger un avenir. Le taux de croissance devrait passer de 2% (en 1999) à 7% pour absorber leur arrivée sur le marché du travail. L’Iran, en dépit de la hausse des prix du pétrole qui a renfloué son Trésor de quelque 15 milliards de dollars, souffre d’une inflation de 30% et ploie sous une dette extérieure de 22 milliards de dollars. En votant pour les alliés de Khatami, les jeunes ont surtout voté pour des réformes économiques et sociales, sans mettre encore en danger l’Etat théocratique.
 

Le grand perdant, l’ex-président Ali 
Akbar Hashemi Rafsandjani, en 
ballotage pour le second tour.

Khatami: la victoire!

Lors d’une campagne électorale brève et terne commencée le 10 février, le président Khatami avait exhorté ses concitoyens à se rendre massivement aux urnes, afin de lui permettre d’accomplir les réformes promises et jusque-là bloquées par un Majlis dominé depuis huit ans par les Conservateurs. Le Conseil de surveillance de la Constitution avait multiplié les actes d’intimidation, filtrant et éliminant les candidats, heureux d’avoir déjà mis sous les verrous le porte-drapeau des réformateurs, l’ancien ministre de l’Intérieur Abdollah Nouri accusé de propagande anti-islamique et déjà auteur d’un best-seller: “La Ciguë de la réforme” (onze éditions, 100.000 exemplaires), mais désormais remis en liberté provisoire au lendemain des élections qui se sont déroulées au suffrage universel direct.
Le “Jour du destin” tel qu’annoncé par Mohamed Khatami avait drainé vers les 36.046 urnes dans 207 circonscriptions, plus de 80% des 38.726.386 électeurs (âgés à partir de 16 ans), lesquels ont dû fixer leur choix sur 290 élus parmi 6.083 candidats dont 424 femmes. Pour le 6ème scrutin depuis la révolution de 1979, l’affluence a été telle que la fermeture des bureaux de vote a été différée de deux heures, que des bulletins de vote supplémentaires ont été réclamés du ministère de l’Intérieur et que les électeurs ont dû patienter dans les files d’attente d’une à deux heures.
 

Le président iranien accomplit son 
devoir de citoyen. L’Occident a salué le 
“signal encourageant pour la démocratie”.

Mohamed Reza Khatami, tête de 
liste du FP: Le triomphe pour 
“remettre le pouvoir au peuple”.

Dans les trente-cinq formations lancées dans la bataille, dix fois plus qu’en 1996, deux mouvements majeurs se dessinaient. D’abord, celui du Front de la participation (FP) ou “Mocharekat” groupant une mosaïque de formations allant des libéraux-islamiques jusqu’à la gauche radicale, créé il y a moins d’un an et qui s’est récemment imposé, sous la conduite du frère du président Mohamed-Reza Khatami, 40 ans, médecin urologue et vice-ministre de la Santé, comme la première force du pays. Ensuite, la Coalition de la ligne de l’imam et du Guide de la République islamique (CLIG) issue de l’Association du clergé combattant (ACC), réunissant une quinzaine de formations, sous la conduite de Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani, ex-président du Majlis et de la République et qui a tenté de ratisser du côté des Conservateurs et des Réformateurs avec le soutien de l’ancien maire de Téhéran, Gholamhossein Karbastchi.
Le raz-de-marée annoncé par Reza Khatami a enfin submergé les villes et même les régions rurales où la mobilisation a été telle qu’elle a déjà donné dès le premier tour aux Réformateurs la majorité absolue au Majlis. Ceux-ci ont pratiquement raflé la presque totalité des trente sièges de Téhéran (où Reza Khatami est arrivé en tête), ceux d’Ispahan, Machahad, Tabriz et Qom. Le dépouillement des résultats étant manuel, les premiers résultats ont déjà donné 178 sièges sur 290 aux Réformateurs et renvoyé au second tour, prévu pour avril Rafsandjani le grand perdant du scrutin. Il n’avait pas réuni les 25% de voix nécessaires pour être élu au premier tour. Par ailleurs, le scrutin a été endeuillé par huit morts dont un enfant, lors d’incidents de contestation qui ont opposé des électeurs à la police au sud-ouest de l’Iran.
“Peuple iranien, a exulté le président Khatami, tu as montré que tu restes partisan d’une consolidation du système dont demeurent l’islam et la spiritualité, l’indépendance, la liberté et le progrès”. Tout en se réclamant de l’héritage de Khomeini et de la République des mollahs, Khatami a déjà fait aux côtés de ses concitoyens un choix de société. Il avait un besoin impératif de cette majorité que le peuple iranien lui a donnée au Majlis pour mener ses réformes bloquées depuis son accès à la présidence. Il vise, d’ores et déjà, un second mandat en mai 2001 pour mener ces réformes à terme.

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Son pouvoir est pratiquement limité par les vastes prérogatives du Guide de la révolution Ali Khamenei à qui la Constitution attribue les pleins pouvoirs au niveau de la Justice, de la diplomatie et de l’armée. Il devra naviguer dans des eaux troubles afin de ne pas menacer l’Etat théocratique dont il est un pur produit et éviter l’avènement d’un régime républicain qui le balayerait ainsi que tous ceux qu’il voudrait combattre.
Mais les vagues de fond qui remontent à la surface, les libertés qui attendent d’exploser s’expriment de façon contrastée à travers les réformateurs dont le chef de file actuel Mohamed –Reza Khatami annonce la couleur. Le nouveau parlement devra faire toute la lumière sur la vague d’assassinat d’opposants et d’intellectuels qui n’ont jamais été élucidés. Ceux-ci ne sont pas morts pour rien. L’Iran prend goût à la liberté. Il est déjà le seul pays à faire revivre la tradition d’élections démocratiques dans une région où celles-ci sont interdites, truquées ou manipulées.

Par EVELYNE MASSOUD

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