Etudiantes iraniennes agitant drapeaux et calicots.
C’est à travers ces jeunes (60% des 63 millions d’habitants ont
moins de 25 ans) que le vent du changement va souffler sur le pays. Insensibles
au passé chargé du Shah qu’ils n’ont guère connu,
fils de la révolution dont ils rejettent les excès et le
contentieux, ils entendent vivre leur jeunesse et aspirent à la
liberté. Initiateurs peut-être d’une contre-révolution
et annonciateurs de la fin d’un cycle qui a donné le départ
à la révolution islamique interne et externe et dont ils
pourraient sonner le glas.
Ils sont 1,5 millions dont 51% de jeunes filles dans les universités.
Tout comme les bacheliers dont le flot ne cesse d’augmenter, ils se trouvent
confrontés aux dures contraintes du chômage qui touche 20%
de la population active. Bon nombre d’entre eux se tournent alors vers
l’étranger où ils tentent de se forger un avenir. Le taux
de croissance devrait passer de 2% (en 1999) à 7% pour absorber
leur arrivée sur le marché du travail. L’Iran, en dépit
de la hausse des prix du pétrole qui a renfloué son Trésor
de quelque 15 milliards de dollars, souffre d’une inflation de 30% et ploie
sous une dette extérieure de 22 milliards de dollars. En votant
pour les alliés de Khatami, les jeunes ont surtout voté pour
des réformes économiques et sociales, sans mettre encore
en danger l’Etat théocratique.
![]() Le grand perdant, l’ex-président Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, en ballotage pour le second tour. |
![]() Khatami: la victoire! |
Lors d’une campagne électorale brève et terne commencée
le 10 février, le président Khatami avait exhorté
ses concitoyens à se rendre massivement aux urnes, afin de lui permettre
d’accomplir les réformes promises et jusque-là bloquées
par un Majlis dominé depuis huit ans par les Conservateurs. Le Conseil
de surveillance de la Constitution avait multiplié les actes d’intimidation,
filtrant et éliminant les candidats, heureux d’avoir déjà
mis sous les verrous le porte-drapeau des réformateurs, l’ancien
ministre de l’Intérieur Abdollah Nouri accusé de propagande
anti-islamique et déjà auteur d’un best-seller: “La Ciguë
de la réforme” (onze éditions, 100.000 exemplaires), mais
désormais remis en liberté provisoire au lendemain des élections
qui se sont déroulées au suffrage universel direct.
Le “Jour du destin” tel qu’annoncé par Mohamed Khatami avait
drainé vers les 36.046 urnes dans 207 circonscriptions, plus de
80% des 38.726.386 électeurs (âgés à partir
de 16 ans), lesquels ont dû fixer leur choix sur 290 élus
parmi 6.083 candidats dont 424 femmes. Pour le 6ème scrutin depuis
la révolution de 1979, l’affluence a été telle que
la fermeture des bureaux de vote a été différée
de deux heures, que des bulletins de vote supplémentaires ont été
réclamés du ministère de l’Intérieur et que
les électeurs ont dû patienter dans les files d’attente d’une
à deux heures.
![]() Le président iranien accomplit son devoir de citoyen. L’Occident a salué le “signal encourageant pour la démocratie”. |
![]() Mohamed Reza Khatami, tête de liste du FP: Le triomphe pour “remettre le pouvoir au peuple”. |
Dans les trente-cinq formations lancées dans la bataille, dix
fois plus qu’en 1996, deux mouvements majeurs se dessinaient. D’abord,
celui du Front de la participation (FP) ou “Mocharekat” groupant une mosaïque
de formations allant des libéraux-islamiques jusqu’à la gauche
radicale, créé il y a moins d’un an et qui s’est récemment
imposé, sous la conduite du frère du président Mohamed-Reza
Khatami, 40 ans, médecin urologue et vice-ministre de la Santé,
comme la première force du pays. Ensuite, la Coalition de la ligne
de l’imam et du Guide de la République islamique (CLIG) issue de
l’Association du clergé combattant (ACC), réunissant une
quinzaine de formations, sous la conduite de Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani,
ex-président du Majlis et de la République et qui a tenté
de ratisser du côté des Conservateurs et des Réformateurs
avec le soutien de l’ancien maire de Téhéran, Gholamhossein
Karbastchi.
Le raz-de-marée annoncé par Reza Khatami a enfin submergé
les villes et même les régions rurales où la mobilisation
a été telle qu’elle a déjà donné dès
le premier tour aux Réformateurs la majorité absolue au Majlis.
Ceux-ci ont pratiquement raflé la presque totalité des trente
sièges de Téhéran (où Reza Khatami est arrivé
en tête), ceux d’Ispahan, Machahad, Tabriz et Qom. Le dépouillement
des résultats étant manuel, les premiers résultats
ont déjà donné 178 sièges sur 290 aux Réformateurs
et renvoyé au second tour, prévu pour avril Rafsandjani le
grand perdant du scrutin. Il n’avait pas réuni les 25% de voix nécessaires
pour
être élu au premier tour. Par ailleurs, le scrutin a été
endeuillé par huit morts dont un enfant, lors d’incidents de contestation
qui ont opposé des électeurs à la police au sud-ouest
de l’Iran.
“Peuple iranien, a exulté le président Khatami, tu as
montré que tu restes partisan d’une consolidation du système
dont demeurent l’islam et la spiritualité, l’indépendance,
la liberté et le progrès”. Tout en se réclamant de
l’héritage de Khomeini et de la République des mollahs, Khatami
a déjà fait aux côtés de ses concitoyens un
choix de société. Il avait un besoin impératif de
cette majorité que le peuple iranien lui a donnée au Majlis
pour mener ses réformes bloquées depuis son accès
à la présidence. Il vise, d’ores et déjà, un
second mandat en mai 2001 pour mener ces réformes à terme.
Son pouvoir est pratiquement limité par les vastes prérogatives
du Guide de la révolution Ali Khamenei à qui la Constitution
attribue les pleins pouvoirs au niveau de la Justice, de la diplomatie
et de l’armée. Il devra naviguer dans des eaux troubles afin de
ne pas menacer l’Etat théocratique dont il est un pur produit et
éviter l’avènement d’un régime républicain
qui le balayerait ainsi que tous ceux qu’il voudrait combattre.
Mais les vagues de fond qui remontent à la surface, les libertés
qui attendent d’exploser s’expriment de façon contrastée
à travers les réformateurs dont le chef de file actuel Mohamed
–Reza Khatami annonce la couleur. Le nouveau parlement devra faire toute
la lumière sur la vague d’assassinat d’opposants et d’intellectuels
qui n’ont jamais été élucidés. Ceux-ci ne sont
pas morts pour rien. L’Iran prend goût à la liberté.
Il est déjà le seul pays à faire revivre la tradition
d’élections démocratiques dans une région où
celles-ci sont interdites, truquées ou manipulées.