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LE CRI DU CŒUR DE M. JOSPIN
En quelques instants et peu de mots, M. Lionel Jospin a sapé les efforts de nombreuses années de patiente diplomatie pour bâtir, entre la France et le monde arabe, un climat de compréhension et de confiance.
Le chef du gouvernement libanais, M. Salim Hoss, avait à peine fini de se féliciter des résultats de son action diplomatique, couronnés par la visite du président Hosni Moubarak à Beyrouth et la décision de réunir au Liban la prochaine session de la Ligue arabe, que le pays ami considéré le plus proche du Liban et dont le soutien n’a jamais fait défaut, est venu jeter le trouble dans les esprits. Les déclarations de M. Jospin en Israël sont étonnantes, en tout cas inattendues et incompréhensibles. Elles sont ressenties, par les Libanais et par toute l’opinion arabe, comme une véritable trahison d’amitiés difficilement nouées et du rôle de la France en Proche-Orient.
Qualifier de terrorisme l’action de la résistance libanaise, ne pas reconnaître à ses combattants la qualité de patriotes résistant à une occupation étrangère, justifier les réactions israéliennes dans toute leur horreur, apporter à M. Barak la caution de la France alors qu’il bloque le processus de paix dans tous ses volets par ses finasseries et ses tergiversations, par comparaison, la diplomatie américaine qu’on accuse de parti pris n’a jamais été jusque-là. Et à Washington, on doit maintenant se frotter les mains devant ce pas de clerc du Premier ministre d’un pays qui avait l’ambition de faire contrepoids à l’influence américaine et essayait d’entraîner l’Europe à sa suite.
La France nous avait habitués à un langage plus nuancé. Le discours de la diplomatie française, à l’ONU comme dans toutes les instances internationales, s’est toujours distingué par un souci de logique et une argumentation rigoureuse. On avait souvent plaisir rien qu’à l’écouter même si l’on avait des réserves sur son contenu.
On dirait que les traditions se perdent. Jadis, le français était la langue de la diplomatie internationale. M. Jospin apparemment a d’autres soucis.

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Faut-il rappeler que les fameux “arrangements d’avril” et la commission qui en est issue sont l’œuvre de la diplomatie française? C’est bien sur l’initiative du ministre français des Affaires étrangères de l’époque, M. Hervé de Charette et grâce à son obstination que ces “arrangements” avaient pu être conclus. Les Etats-Unis et Israël n’y avaient souscrit qu’à leur corps défendant.
Or, ces “arrangements” reconnaissent, en fait, le droit de la population libanaise à mener des actions militaires contre l’armée israélienne d’occupation, à condition que les civils soient épargnés des deux côtés de la frontière internationale. Autrement, quel serait le rôle de la commission issue de ces “arrangements” et chargée de veiller à leur respect?
Que vient dire maintenant M. Jospin? Qu’il n’y a pas de résistants, il n’y a que des terroristes, que les ripostes d’Israël sont parfaitement ciblées pour épargner les civils, que M. Barak est un artisan résolu de la paix et que les discours vindicatifs de M. David Levy sont parfaitement justifiés.
On se perd en conjectures sur cette sortie du Premier ministre français. Si la commission issue des “arrangements d’avril” devait maintenant se réunir, le représentant de la France ne serait plus libre de son jugement; il est désormais lié par la position de M. Jospin.
Jusqu’ici, la direction de la diplomatie française était le “domaine réservé du président de la République”. M. Chirac s’est constamment préoccupé de maintenir cette tradition de la Vème République. Dans le cadre de la cohabitation qui caractérise actuellement le fonctionnement des pouvoirs en France, on avait rarement vu M. Jospin se manifester sur les questions de politique étrangère malgré quelques tentatives sans lendemain, en tout cas pas sur les questions du Proche-Orient . On a eu souvent l’impression qu’il n’avait pas d’opinion sur ces sujets. Brusquement, il s’exprime là-dessus et prend le contrepied de la politique gaulliste suivie jusqu’ici et détruit, du même coup, les efforts du président Chirac pour le maintien de rapports confiants avec le monde arabe.
Les étudiants de l’Université de Bir Zeit en Cisjordanie lui ont fait bien sentir combien il avait gaffé.

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Mais est-ce bien maladresse? Ou intrusion délibérée de sordides querelles de politique intérieure dans les affaires internationales? En réalité, c’est plus profond que cela et plus grave. M. Jospin n’a pas caché à quel point il est de cœur avec Israël dont il oppose, sans la moindre nuance, le régime démocratique à celui de ses voisins. Il partage les analyses israéliennes qui qualifient de “mythique” la politique arabe de la France depuis De Gaulle. La communauté israélite en France ne s’y est pas trompée. Ses représentants font un triomphe à M. Jospin.
Il s’est mis ainsi dans une situation où il ne pourrait qu’être complètement récusé comme interlocuteur par l’une des parties au conflit. Alors même qu’il revendique un rôle pour la France, il s’est mis dans l’impossibilité de le faire accepter.
Beau résultat!
Il faudra, désormais, beaucoup d’habileté et de patience pour recoudre. En attendant, c’est sur la situation politique en France même qu’il faudra évaluer l’impact de cette crise. 


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