Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
AUTOUR D’UNE POTENCE
Depuis Caïn et Abel, les choses sont allées bon train dans le domaine du meurtre, pour atteindre, de nos jours, des proportions gigantesques, passant de l’assassinat “convenable” à la Agatha Christie, aux serials killers et autres massacreurs sur le tas. Et nous ne parlons pas des guerres, révolutions, “nettoyages ethniques”, confessionnels ou politiques.
Mais il ne s’agit pas ici de cela. Nous parlons d’un simple crime de droit commun, relevant des dispositions du code pénal, plus précisément de “l’affaire du décret” qui a fini par atteindre des proportions inattendues frôlant de peu la crise ouverte.
En résumé: deux assassins ont été condamnés à mort, leur pourvoi en grâce rejeté et leur exécution fixée au 20 mars courant, en vertu d’un décret signé par le président de la République, le ministre de la Justice et le vice-président du Conseil en tant qu’intérimaire du Premier ministre qui se trouvait, alors, en visite officielle au Vatican.
Tels sont les faits qui ont déchaîné la tempête. Qu’y a-t-il d’étrange à cela? A première vue, rien. Tout paraît parfaitement naturel, routinier même. A part deux “hic”, l’un constitutionnel, l’autre moral.
Sur le plan constitutionnel, le Dr Hoss, appuyé en cela par des constitutionnalistes chevronnés, a contesté la légalité du décret pour plusieurs raisons, dont l’une majeure relative à la loi fondamentale qui ne prévoit pas d’intérimaire au chef du gouvernement. Pourquoi avons-nous, dans ce cas, un vice-président du Conseil qui est nommé comme tel par un décret présidentiel, contre lequel personne n’a jamais protesté? Parce que, répond-on, ce poste était jusqu’à présent un titre honorifique qui donnait à son détenteur un simple rang de préséance protocolaire. Cet “à-peu-préisme” typiquement libanais dans l’exercice du pouvoir, ne vaudrait-il pas mieux y mettre un point final? Partant de ce principe et afin d’éviter à l’avenir ce genre d’imbroglio, pourquoi ne pas déterminer, une fois pour toutes, par des moyens constitutionnels, les prérogatives dont jouit, pourrait ou devrait jouir un vice-président du Conseil?
A cet aspect légal et constitutionnel vient s’ajouter un problème moral bien plus grave, puisqu’il touche aux convictions et aux principes de l’homme qui détient le poste de chef du gouvernement. Le Dr Hoss est contre la peine capitale - il l’a déclaré lui-même - et ne signera pas un décret envoyant deux êtres humains, quels qu’ils soient, à la mort. D’ailleurs, il n’est pas le seul à penser ainsi, beaucoup de Libanais partagent son opinion dans ce domaine.
Notre propos n’est pas de nous lancer dans un plaidoyer pour ou contre la peine de mort. Mais nous devons avouer, pour demeurer objectifs, que les “pro” ne sont pas des vampires. Ce sont des gens de bonne foi qui considèrent que seule la peine de mort est dissuasive; qu’un meurtrier, même condamné à perpétuité, bénéficie toujours, au cours de sa détention d’une ou de plusieurs remises de peine; que certains s’en sortent après moins de dix ans, libres de récidiver à la première occasion et que cela n’est ni juste ni moral. Ceux-là citent volontiers, à l’appui de leur thèse, la fameuse phrase d’Alphonse Karr: “- Si l’on veut supprimer la peine de mort, que messieurs les assassins commencent”. Et répètent avec La Bruyère: “- Un coupable puni est un exemple pour la canaille”...
Les “contre” y voient un problème de conscience et de stricte justice et citent, à leur tour, Voltaire qui écrivait dans Zadig: “Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent”. C’est que la mort est un châtiment tellement définitif, qu’il n’y a plus moyen de réviser un jugement, de corriger une faute ou de revenir sur une erreur judiciaire. Plus moyen de faire marche arrière et c’est là l’horreur sans nom de la peine. De plus, la loi n’est pas faite pour exercer des représailles ou pour tirer vengeance. Un homme qui a crevé l’œil d’un autre, n’est pas condamné à se faire crever un œil et la loi ne permet pas qu’on brûle la maison et les biens d’un incendiaire. Elle ne permet pas, non plus, que l’on viole celui qui a commis un viol. Alors, pourquoi tue-t-on celui qui a tué? Si le meurtre est un crime monstrueux - et il l’est - comment un Etat peut-il le commettre en appelant cet assassinat légal “rendre justice”?
C’est à cette catégorie de gens qu’appartient le Dr Hoss et ses convictions inspirent le respect. Le seul ennui, c’est que le Dr Hoss n’est pas un simple citoyen qui peut, sans problème, se conduire comme tel. C’est le chef de gouvernement d’un pays dont la loi prévoit et applique la peine de mort. En tant que Premier ministre, le président Hoss se trouve donc placé devant l’alternative suivante: soit démissionner et laisser à celui qui lui succèdera le douteux privilège de signer le décret; soit surseoir à l’exécution et soumettre au parlement un projet de loi abolissant la peine de mort.
Si le parlement venait à repousser ce projet de loi, le Premier ministre devra en tirer les conséquences. Car si en tant qu’homme, il a parfaitement le droit de rester fidèle à ses convictions, en tant que Premier ministre, il a le devoir de demeurer conséquent avec les obligations que lui impose sa haute charge. 

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