ENTRETIEN AVEC LE CHEF DU  GOUVERNEMENT SALIM HOSS:
“LA CONFÉRENCE DES MINISTRES ARABES DES A.E.
A ÉTÉ HISTORIQUE AUTANT QUE SON COMMUNIQUÉ FINAL”

Le président Salim Hoss s’exprime en tant que haut responsable assumant entièrement, les charges du Pouvoir et du commandement. Le chef du gouvernement estime que l’Autorité impose un tribut à quiconque l’exerce le forçant, parfois, à nager à contre-courant et à susciter gratuitement, la colère du peuple, comme a agi Charles de Gaulle le jour où il a refusé le slogan: “Algérie française”, disant: “Elle est plutôt à ses fils musulmans algériens”. Le président Hoss ne croit pas en la méthode qui consiste à quémander le soutien des gens en dehors de la logique et de la rationalité. Notre long entretien a eu lieu l’après-midi de samedi dernier, au bureau du Premier ministre, en sa résidence à Aïché Bakkar.

La proposition que pourrait faire le président Clinton lors de sa rencontre avec le président Assad à Genève, serait la toute dernière avant l’expiration de son mandat. En cas d’échec des pourparlers, la paix subirait un revers...
Tout d’abord, cette rencontre pourrait n’avoir pas lieu. Quant à dire que serait l’ultime tentative de la part du chef de l’Exécutif américain, j’ai toujours soutenu qu’il reste au processus de paix deux ou trois mois. Si après ce délai, les négociations n’étaient pas reprises et achevées d’une manière satisfaisante, elles seraient reportées jusqu’après les élections présidentielles... Le président des Etats-Unis ne pourrait pas intervenir pour aplanir les obstacles qui empêchent leur aboutissement.

JE SUIS PRÊT À EFFECTUER UNE TOURNÉE ARABE; CELA DÉPEND DES CONSULTATIONS AVEC LE SECRÉTARIAT DE LA LIGUE

D’autant que la position du président Clinton aurait faibli, de même que celle de Ehud Barak au point qu’il ne lui serait pas possible de prendre des décisions historiques...
En ce qui concerne le président Clinton, il devra quitter la Maison-Blanche dans les mois à venir et Israël ne serait pas enclin à aller dans le sens voulu par un président en instance de départ.
Depuis qu’il a repris le dialogue sur le volet syrien, l’Etat hébreu paraît vouloir l’exploiter pour perturber l’atmosphère, non pour aider à la recherche d’une solution décisive, car il ne juge pas de son intérêt d’assurer une telle réalisation au profit d’un président dont le mandat approche de son expiration; il préfère le faire pour un nouveau chef de l’Etat dont il pourrait tirer profit au cours des quatre prochaines années et peut-être au cours de deux mandats successifs.

Le retrait israélien vient en tête des préoccupations de Tel-Aviv: devons-nous nous attendre à une nouvelle guerre destructrice ou faire face à un état de perplexité dans lequel se débattrait Israël?
Il ne fait pas de doute qu’Israël est perplexe, mais notre position à ce sujet est claire et franche. Nous préférons que ce retrait intervienne dans le cadre d’un accord total avec l’Etat hébreu, car nous n’avons pas confiance dans les intentions d’Israël s’il venait à évacuer notre territoire sans un accord.
Puis, le retrait sans accord préalable, ne règle pas le problème des réfugiés palestiniens établis dans notre pays et le laisse en suspens. De ce fait, ce problème constituerait une bombe à retardement qui menacerait, non seulement la stabilité du Liban, mais celle de la région tout entière.
Si Israël veut se retirer en vertu d’une décision unilatérale, nous accueillerons sa décision avec satisfaction, s’il évacue ses forces au-delà de la frontière internationalement reconnue, en vertu de la résolution 425, ce que nous réclamons depuis vingt-deux ans.
Nous considérerons son retrait, d’autre part, comme une victoire de la Résistance libanaise.

L’ABSENCE DU LIBAN SUR LA SCÈNE MÉDIATIQUE ÉTRANGÈRE, EST DUE À L’EMPRISE SIONISTE SUR LES MOYENS D’INFORMATION

RETRAIT ISRAÉLIEN ET RÔLE DE L’ONU
Quelles sont les modalités du retrait israélien du Liban?
En cas d’un retrait sur la base d’un traité de paix, il devrait intervenir après la signature d’un accord avec le Liban et la Syrie, étant donné la concomitance des volets syrien et libanais.
Si le retrait s’opérait sans un accord, les forces israéliennes devraient être évacuées jusqu’au delà des frontières sans aucune condition et, dans ce cas, nous le considérerions comme une application de la résolution 425...
Qui prendrait en charge, en ce moment, la sécurité? Cela a trait à la souveraineté du Liban. Lorsque le retrait aura lieu, le Liban prendra la décision voulue et il n’est nullement prêt à adopter des positions gratuites dont profiterait l’Etat hébreu.

Où iraient trois mille familles vivant, actuellement, dans le cordon frontalier et comment assurer leur protection?
Nous apprécions leur résistance. Quant à celles qui ont collaboré avec l’occupant, elles devront se soumettre à la loi; les autres seront les bienvenues. Quoi qu’il en soit, la loi sera appliquée envers et contre tous.

Le président Assad ne peut accepter moins que l’évacuation d’Israël du Golan jusqu’à la ligne du 4 juin 1967. De son côté, Barak expose sa coalition gouvernementale s’il souscrit à la demande de Damas. Comment sortir de cette situation inextricable?
Il ne fait pas de doute que Barak est, aujourd’hui, plus faible que lors de son entrée en fonctions. Il ne semble plus en mesure d’accorder des concessions, ni de tenir les promesses qu’il a faites durant sa campagne électorale. La vague de protestation contre le retrait du Golan s’amplifie; ainsi a-t-on l’impression. Ou bien s’agit-il d’un plan préétabli!
D’autre part, la situation en Israël repose sur la force de la coalition gouvernementale qui a été mise à l’épreuve maintes fois à la Knesset, la majorité parlementaire ayant lié le retrait du Golan à un référendum, dont le résultat devrait assurer le vote de 63% des électeurs.
Par la suite, le gouvernement a failli être mis en minorité lors du vote sur l’adoption d’un poème de Mahmoud Darwiche dans le programme d’enseignement. La coalition gouvernementale paraît donc très fragile.

SI JE DEVAIS POSER MA CANDIDATURE, CE SERAIT DANS LA TROISIÈME CIRCONSCRIPTION DE BEYROUTH

POSITION SYRIENNE CLAIRE ET SANS ÉQUIVOQUE
Barak semble incapable de faire passer la décision relative au retrait au parlement et lors du référendum; d’où les efforts déployés loin des feux de la rampe, en vue de procéder à un nouveau tracé des frontières du 4 juin, pour en éloigner le lac de Tibériade et un grand nombre de sources qui l’alimentent du côté israélien. Qu’en pensez-vous?
La prise de position syrienne en ce qui concerne la limite du 4 juin 67 est franche, claire et sans équivoque. La Syrie n’accepte de reprendre les négociations que sur base du retrait jusqu’à la ligne du 4 juin 67.
La Syrie a donc arrêté les pourparlers après leur relance, parce que la partie israélienne n’est pas disposée à se retirer jusqu’à cette ligne, ni à se prêter à un nouveau tracé des frontières. Il n’a même pas voulu réunir le comité technique chargé d’une telle mission. La Syrie n’est disposée à accepter aucun compromis à ce sujet.

TROIS CAUSES SONT À L’ORIGINE DU MARASME ÉCONOMIQUE, LA SOLUTION ÉTANT LA RÉACTIVATION DES INVESTISSEMENTS

QUID DE L’AIDE ARABE?
Les ministres arabes des Affaires étrangères ont décidé de verser au Liban le solde des montants qui lui sont dus, soit 1,660 milliard de dollars. Quelles en sont les modalités?
Le dernier paragraphe de la résolution finale stipule que le secrétaire général de la Ligue est chargé de cette question et de son exécution, en coordination avec la présidence de la session -  le sultanat d’Oman - et le gouvernement libanais.
La conférence des ministres arabes des A.E. ne peut adopter une résolution plus contraignante, pour la raison que le sujet de l’aide ne concerne pas tous les Etats arabes, mais certains d’entre eux capables de fournir l’assistance requise.
A ce propos, nous nous trouvions devant l’alternative suivante: que la conférence décide d’octroyer une nouvelle aide au Liban, en passant outre aux résolutions des précédents sommets ou de revenir à ces résolutions adoptées à Tunis en 1979: j’étais, à l’époque, président du Conseil et le sommet a résolu de fournir au Liban une aide de 400 millions de dollars par an sur cinq annuités, soit au total deux milliards de dollars, dont 400 millions seulement ont été versés.
Puis, le sommet de Bagdad tenu en 1990 a décidé, sur proposition de S.M. le roi Fahd de constituer un Fonds arabe et international d’aide au Liban, ayant un capital de deux milliards de dollars. Cette décision est restée sans suite, la guerre du Golfe ayant éclaté quelques mois plus tard. La résolution de la conférence des ministres arabes des A.E. fait allusion à ces deux décisions des sommets de Tunis et de Bagdad. Nous avons opté pour la seconde.

LES LÉGISLATIVES AURONT LIEU DANS LE DÉLAI LÉGAL

PAS DE DISSENSIONS MINISTÉRIELLES
Envisagez-vous d’effectuer une tournée arabe en vue d’obtenir l’application des résolutions prises par le sommet?
Cela dépend des consultations avec le secrétariat général de la Ligue.
Etes-vous satisfait des résultats de la conférence ministérielle de Beyrouth et considérez-vous qu’elle a atteint son objectif?
Je crois que la conférence a revêtu un caractère historique et a pris des résolutions de même nature.

On dit que vous en avez écourté les réunions pour éviter d’éventuelles dissensions internes; est-ce exact?
Le climat était, au contraire, consensuel et positif dans l’ensemble. Il n’est pas vrai que des dissensions auraient opposé certains ministres arabes.
Un ministre a proposé de modifier le paragraphe du communiqué final invitant les Etats membres de la Ligue à reconsidérer leurs relations avec Israël, après l’agression dont le Liban a été victime et d’un autre où ces Etats étaient invités à boycotter les négociations multilatérales. En définitive, le texte a été maintenu dans la forme présentée dans le document de travail libanais.
Nous remercions les frères arabes d’avoir accepté de transposer à Beyrouth la session du Conseil politique de la Ligue, ce qui a constitué en lui-même un événement historique.
Il n’est pas possible qu’une agression pareille à celle perpétrée contre le Liban, puisse diviser nos rangs. Puis, nous avons demandé aux frères arabes que leurs résolutions soient au niveau des défis auxquels la nation arabe est confrontée et des sacrifices que consent notre pays. En définitive, les ministres arabes des A.E. ont fait montre de solidarité parfaite avec le Liban et décidé, unanimement, de défendre sa cause et de le soutenir.

Les investissements au Liban restent limités, peut-on s’attendre à leur réactivation?
Le Liban continue à pâtir depuis plusieurs années d’un marasme économique; plus exactement depuis 1995. Il y a à cela une triple cause: Primo, le Liban a connu la prospérité avant la guerre libanaise, soit avant 1975 et, à cette époque, il a joué un rôle prééminent au plan des services dans la région proche-orientale. Puis, il s’est absenté de la scène durant plus de quinze ans en raison des douloureux événements. Pendant ce temps, d’autres pays du voisinage ont pris sa place et notre économie en a souffert.
Secundo, le Liban a subi un déficit budgétaire en raison de l’incapacité pour l’Etat de percevoir les recettes. Ce déficit persiste jusqu’à ce jour.
Tertio, le lien existant entre l’économie nationale et les économies arabes, en particulier celles du Golfe. Nous savons qu’à cause des crises successives dans cette région arabe depuis 1990, ces économies ont régressé; puis, les prix du pétrole ont baissé sur les marchés mondiaux à un niveau inhabituel. Ceci a rejailli sur notre économie.

LE DANGER DE L’IMPLANTATION DES RÉFUGIÉS PALESTINIENS EST PERMANENT ET CONSTITUE UNE BOMBE À RETARDEMEN

COMMENT REMÉDIER AU MARASME ÉCONOMIQUE?
Quelle est la solution au marasme économique?
La crise économique ne sera réglée qu’en réactivant le mouvement des investissements dans le pays, surtout ceux provenant de l’étranger: investissements des émigrés libanais, des hommes d’affaires arabes et des compagnies étrangères. Nous suivons une politique d’encouragement dans ce domaine.
Malheureusement, l’image que donne du Liban la presse dans le monde, n’est pas à son avantage, ce qui décourage les investisseurs étrangers. Les journaux ne rapportent que les nouvelles relatives à l’agression israélienne contre notre pays. L’absence du Liban des médias est due à l’emprise sioniste sur les moyens d’information. Cette situation ne change qu’à travers un règlement juste et global en faveur du droit libanais et arabe.

AGRESSIONS ISRAÉLIENNES ET PLAN ARABE
L’agression israélienne du 8 février a entraîné la réunion des ministres arabes des A.E. à Beyrouth. Un plan arabe a-t-il été établi pour affronter les agressions israéliennes à l’avenir?
La réponse à cette question réside dans la décision des ministres arabes. Un passage du communiqué final indique que cette session est ouverte et, en cas d’agression israélienne, le président doit convoquer à une réunion exceptionnelle. Après la tenue de la réunion des ministres arabes au Liban, le Liban n’est plus seul. Et toute nouvelle agression israélienne contre lui est considérée comme étant dirigée contre la nation arabe.
Lorsqu’Israël a réitéré ses agressions contre le Liban après la conférence des ministres arabes et durant 48 heures, nous avons contacté le secrétaire général de la Ligue qui a diffusé un communiqué la condamnant. De même, j’ai pris contact avec le président de la session, le ministre omanais des Affaires étrangères.

On parle de la tenue d’un sommet arabe en octobre prochain. Le Liban peut-il demander sa tenue à Beyrouth?
Les nouvelles concernant l’éventuelle tenue d’un sommet sont quelque peu exagérées. Le précédent sommet a eu lieu en 1996 au Caire. Aussi, le prochain sommet devrait-il être tenu à l’initiative du président Hosni Moubarak. Cela dépend de la conjoncture arabe et de la possibilité d’en obtenir des résultats positifs. Evidemment, nous accueillerons favorablement la tenue d’un tel sommet arabe au Liban.

Selon le général Moustapha Tlass, ministre syrien de la Défense, la reprise des pourparlers syro-israéliens serait imminente, probablement
dans trois semaines. Quels sont vos renseignements à ce sujet?
Nous n’en avons pas de données précises.

D’aucuns proposent la participation du Liban à une délégation commune avec la Syrie aux négociations, en cas de leur reprise. Qu’en pensez-vous?
Dans les négociations, il y a concomitance des volets libanais et syrien. Le Liban ne signera un règlement avec Israël qu’en accord avec la Syrie et vice-versa. La coordination est étroite entre les volets libanais et syrien en ce qui concerne les mesures de sécurité, la normalisation des relations et les eaux.

SI LES RÉSOLUTIONS DES MINISTRES ARABES DES A.E. AVAIENT ÉTÉ FRAGILES, ISRAËL AURAIT PERPÉTRÉ UNE NOUVELLE AGRESSION

L’IMPLANTATION, UN DANGER RÉEL
L’implantation est-elle encore un danger?
Oui. Israël souhaite l’implantation des Palestiniens dans les pays d’accueil. Ceci n’est ni dans l’intérêt des réfugiés palestiniens, qui veulent retourner à leur terre, ni dans celui du Liban qui refuse l’implantation.

Les élections législatives seraient-elles ajournées?
Elles auront lieu à la date prévue.

Dans quelle circonscription poserez-vous votre candidature? Auriez-vous des candidats dans les trois circonscriptions de Beyrouth?
Si je décidais de poser ma candidature, ce serait dans la troisième circonscription de Beyrouth, mais je n’y pense pas encore.

Pourquoi?
Parce que nous sommes préoccupés par des questions plus importantes.

Dans certains milieux politiques, on parle d’élections d’office, après une entente que vous réaliseriez avec le président Rafic Hariri et M. Tamman Salam au sujet de la répartition des sièges parlementaires dans la capitale. Cela supposerait la formation d’une liste unifiée à Beyrouth...
Il n’y a aucun contact à propos d’un tel projet. Beyrouth a été divisée en trois circonscriptions électorales où auront lieu des élections libres et démocratiques.

L’Etat aura-t-il ses propres candidats et listes?
L’Etat est neutre, mais certains responsables sont candidats et la loi ne les empêche pas de briguer un siège à l’Assemblée.

D’aucuns ont rapporté que le président Hariri s’est mis à la disposition du chef de l’Etat. Celui-ci lui ayant demandé de se réconcilier avec vous, il a refusé. Qu’en pensez-vous?
Pas de commentaire.

Comment qualifiez-vous votre relation avec le président Berri qui aurait traversé une période de tiédeur?
Ma relation est bonne avec le président Berri et aucun nuage n’est venu la ternir.

Quel serait l’impact d’une éventuelle amélioration des relations irano-américaines sur le Liban et la région?
Cela dépend de l’Iran et des Etats-Unis.

Propos recueillis par
NADIM EL-HACHEM ET ZALFA BASSILA



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