PREMIÈRE INTERVIEW DE L’AMBASSADEUR DE FRANCE
PHILIPPE LECOURTIER
SUR LA VOIE ROYALE FRANCE-LIBAN


Habituellement, depuis plusieurs années, l’ambassadeur de France
désigné à Beyrouth, accorde sa première interview à “La Revue du Liban”
L’urgence a précipité la venue de Philippe Lecourtier au Liban. Il y était présent le 9 février au lendemain des bombardements israéliens des centrales électriques du pays. Il portait au chef de l’Etat Emile Lahoud, “un message de soutien, d’appui, de sympathie” à lui confié la veille par le président Jacques Chirac; également un “engagement de fournir toute l’aide technique” à la réhabilitation des infrastructures endommagées, par le truchement d’une mission de l’EDF qui l’a suivi aussitôt après.
Une tempête médiatique et populaire l’a surpris par la suite. Puis, ce fut le retour, dans les canaux de l’amitié séculaire France-Liban, des eaux calmes et transparentes, l’activité fébrile pour ressusciter le comité de surveillance chargé de superviser les arrangements d’avril 1996, le travail incessant sur les grands dossiers de coopération entre les deux pays comme sur les grands chantiers en cours qui connaîtront des temps forts avec l’inauguration, rue de Damas, de la nouvelle ambassade de France en présence de Jacques Chirac et les préparatifs du Sommet de la Francophonie, lequel se tiendra les 27-28-29 octobre 2001 à Beyrouth, en présence de cinquante-cinq chefs d’Etat et de gouvernement et de milliers de délégués.
 
L’ambassadeur de France ne chôme guère. Il lui faudrait peut-être des journées de 48 heures pour boucler les dossiers, rencontrer les gens, découvrir le pays et étudier l’arabe.

UN JURISTE PASSIONNÉ D’ÉCONOMIE
Il compte bien, si le temps lui en est laissé, se mettre à l’étude de l’arabe. Tout en se défendant d’être “un linguiste distingué”, il a quand même appris l’italien à Rome, un peu de japonais à Tokyo, le portugais au Brésil, déchiffrant les langues dans tous les pays où ses différentes missions l’appelaient, tout en maîtrisant bien entendu sa langue maternelle et l’anglais.
Parisien, né à Neuilly-sur-Seine (un faubourg de Paris) au cours de la Seconde Guerre mondiale, il a grandi à Paris “tout simplement dans une famille de juristes catholiques latins”, effectué des études classiques en apprenant le latin et le grec au Lycée Carnot à Paris et mis le cap pour trois ans sur l’Institut d’études politiques à Paris. Parallèlement, il a achevé une licence en droit à l’Université de Paris, effectuant ensuite son service militaire, pour entrer fin 1964, à l’Ecole nationale d’administration et entamer une carrière diplomatique.
Un premier poste à la direction des Nations Unies, au ministère des Affaires étrangères le branche deux ans durant sur les questions économiques. De là, il part pour Rome en qualité de deuxième secrétaire d’ambassade. Il s’y familiarise avec la diplomatie de terrain et le merveilleux palais Farniese où il reste quatre ans. A son retour à Paris en 1974, il intègre pour deux ans le Cabinet du ministre du Commerce extérieur, puis la Direction des Carburants “en pleine crise pétrolière où j’ai passé trois ans passionnants au milieu des ingénieurs”.
Philippe Lecourtier constate que sa “carrière a été assez marquée par les questions économiques qui m’ont toujours passionnées. Je crois que c’est une dimension très importante de la diplomatie actuelle”. Retour au passé. 1976-1979 était “une époque très difficile pour la France, un carrefour très important. Notre politique étrangère avait besoin de la technicité, de la connaissance de ces questions pétrolières et inversement, l’approvisionnement pétrolier avait besoin de la diplomatie”.
Appelé ensuite par le ministre de l’Industrie André Giraud, “ingénieur des mines très brillant, la grande référence en matière d’énergie”, à faire partie de son Cabinet, “nous avons ensemble, se souvient-il, parcouru le monde à la recherche du baril de pétrole marginal nécessaire”. Le ministère est dissous. Philippe Lecourtier est désigné comme ministre-conseiller à l’ambassade de Tokyo (1981-1985). Séjour “tout à fait passionnant” dont il garde “un souvenir très fort” à “une époque où le Japon se trouvait dans une phase d’expansion totale, technologique, scientifique et même politique”.
Retour à Rome où il passera finalement en tout “neuf ans de ma vie” et retrouvailles du palais Farniese “notre plus belle ambassade au monde qui n’a d’égale évidemment que la Résidence des Pins laquelle est davantage chargée de notre histoire commune, les deux étant des résidences prestigieuses et historiques que la France a la chance d’occuper”.
En 1990, c’est la fin de la seconde mission à Rome. Désigné ambassadeur en Irak, Philippe Lecourtier n’est pas en mesure de rejoindre son poste en raison de l’invasion du Koweit par l’Irak. Il reste à Paris et se trouve affecté à d’autres fonctions.


Catherine Lecourtier: “Elle m’a accompagné
dans toute ma carrière et je m’en félicite”.

LE PACTE DE STABILITÉ EN EUROPE
Directeur-adjoint des Affaires politiques au Quai d’Orsay, puis directeur des Affaires stratégiques (désarmement, défense, sécurité européenne et atlantique, OSCE), il est chargé de suivre le dossier du Pacte de stabilité en Europe “qui visait à favoriser le rapprochement entre les pays européens candidats à l’adhésion à l’Union européenne, un travail qui “était passionnant et qui m’a permis de voyager beaucoup, d’effectuer de nombreuses missions en Europe centrale et de l’Est, d’essayer de convaincre divers pays de négocier, de signer des traités de bon voisinage et d’amitié, afin d’éviter que des problèmes de minorités n’enveniment leurs relations et de faire en sorte que ces Etats se préparent ainsi à coexister dans la perspective de leur adhésion. Ils ne pouvaient pas apporter à l’UE leurs conflits. Ils devaient s’employer auparavant à les résoudre”.
Ces pays candidats doivent aujourd’hui incorporer dans leur législation “l’acquis communautaire, quelque chose de très complexe. Car ce que nous demandons à nos futurs partenaires de l’UE, explique l’ambassadeur, c’est de pouvoir reprendre toute la construction déjà bâtie entre les membres anciens”. Ils avaient subi pendant de longues années un système communiste économique et social “fondamentalement différent du nôtre” et devront “adapter leur dispositif social, économique, législatif aux conditions d’insertion dans l’ensemble de l’UE (...). Depuis quarante ans que l’UE est en marche, nous avons fait beaucoup de chemin. Tout ce que nous avons bâti, créé ensemble, nous n’allons pas y renoncer ou faire des exceptions pour ceux qui viennent nous rejoindre. Ils doivent se mettre au niveau. Naturellement, nous leur accordons des délais et nous les y aidons beaucoup y compris financièrement pour pouvoir techniquement se mettre à niveau, en conformité avec le système de l’Union”. Avant de passer à 27, à l’horizon 2010, l’UE devra, en outre, s’employer à réformer ses institutions.


L’ambassadeur de France au cours de
l’interview accordée à Evelyne Perucic-Massoud.

COMBINER LE CULTUREL, LE POLITIQUE ET L’ÉCONOMIQUE
A la fin de la conférence sur le Pacte de stabilité, Philippe Lecourtier est nommé ambassadeur au Brésil. Il y reste cinq ans, “une durée anormalement longue due au goût que j’avais pour ce pays”. “Pour des raisons différentes, reconnaît-il, chaque poste présente des caractéristiques extrêmement variées. D’autant que chaque étape de la vie est un état où l’on est plus ou moins heureux, plus ou moins équilibré en soi-même. Donc, si vous combinez les particularités d’un pays et d’une civilisation et l’état d’esprit dans lequel vous êtes à un moment donné, vous pouvez en tirer beaucoup de satisfaction et de bonheur. J’ai eu de la chance de me trouver dans des pays qui m’ont toujours beaucoup intéressé et que j’ai beaucoup aimés. Ce sera le cas du Liban. C’est certain”, affirme l’ambassadeur.
A propos des relations entre l’économique et le culturel, il ajoute: “Je crois, qu’il serait extrêmement dangereux de vouloir dissocier tel ou tel aspect d’une mission qui est forcément globale. Je prends un exemple. Les entreprises françaises ont besoin pour s’installer, de développer leurs activités dans un pays, d’une grande stabilité, d’une grande confiance politique. Mais ces entreprises ont besoin aussi d’un contexte culturel favorable qui leur permette de recruter un personnel sachant le français, autant que possible et d’avoir avec leurs interlocuteurs des relations de confiance. J’ai constaté dans ma carrière que l’économique et le culturel vont très bien ensemble. Là où nous avons une très forte implantation culturelle, nos entreprises ont la voie facilitée et inversement, la culture française se porte mieux quand elle s’appuie sur des intérêts bien établis (...). Il faut donc combiner le culturel, l’économique qui sert de colonne vertébrale à notre action et le politique parce que par définition, pour un diplomate, c’est la quintessence de son action”.

LES JARDINS SECRETS
Retour au jardin secret, à la famille. L’épouse de Philippe Lecourtier, Catherine l’a rejoint depuis quelque temps. “Elle m’a accompagné dans toute ma carrière. D’ailleurs, je m’en félicite parce que j’estime que nous faisons un métier difficile, que nous avons besoin d’équilibre, nous avons besoin d’être appuyés par une présence amie et quelquefois de bénéficier de ses conseils. Une épouse n’est pas un élément de décor, loin de là. Ce n’est pas seulement une maîtresse de maison. C’est aussi quelqu’un qui vous aide, vous conduit, vous observe, vous critique quelquefois positivement et apporte, en tout cas, sa contribution à la mission de chef de poste et puis qui a naturellement sa propre vie, son propre rayonnement, sa propre influence dans la société que nous fréquentons. C’est plus qu’un auxiliaire. C’est notre moitié ou notre alter ego”. A-t-elle des activités professionnelles? “C’est difficile pour une femme de diplomate. Mon épouse m’a suivi dans toute ma carrière. Elle a commencé avec moi. Elle a eu plusieurs activités professionnelles”. (Elle s’est notamment beaucoup occupée de mode). Et plusieurs fois interrompues par nos déplacements.
Quant aux enfants? “Ils ont grandi un peu à travers le monde. Je les ai emmenés avec moi jusqu’à l’âge de 18 ans. C’était toujours un déchirement au moment où il fallait les laisser derrière nous pour qu’ils puissent continuer leurs études supérieures. Les trois ont dû nous quitter. Deux garçons qui sont dans la vie professionnelle depuis longtemps et une fille qui est encore étudiante”.
Les lectures de M. Lecourtier? “Comme tous les diplomates, nous sommes d’abord obligés de lire beaucoup de rapports administratifs”. Et ensuite “quand j’ai le loisir de pouvoir me cultiver et d’échapper à l’emprise administrative, j’aime beaucoup l’Histoire . Je crois que pour nous diplomates, c’est un soutien permanent pour notre réflexion. Tout est dans l’histoire. Et si on la fréquente, elle aide à mieux comprendre les événements dont nous sommes plus ou moins les acteurs”. L’ambassadeur Lecourtier lit également des romans français et étrangers et surtout la littérature des pays dans lesquels il se trouve. Actuellement, il lit tous les livres d’Amin Maalouf qu’il a rencontré à Paris, qu’il “apprécie énormément “ et qu’il considère comme “un conteur exceptionnel”. “Il le mérite souligne-t-il, d’écrire simplement une langue claire et toujours attachante, de ne jamais lasser son lecteur et de faire découvrir aux Européens et aux Français en particulier le monde du Levant et la connexion qui existe toujours entre l’Orient et l’Occident”. Il lit aussi les ouvrages d’un jeune auteur libanais qu’il apprécie, Alexandre Najjar.

LAISSER À MES SUCCESSEURS UN BEAU JARDIN
Parmi les sujets de préoccupation du nouvel ambassadeur, la fin du chantier de l’ambassade de France, bien entendu avant le sommet de la Francophonie ou peut-être bien avant. “C’est une question qui me concerne très particulièrement. Mes collaborateurs et moi-même à la chancellerie diplomatique, nous faisons des prières tous les jours pour que les choses aillent vite, parce que nous sommes installés à Mar Takla qui est un endroit fort beau d’ailleurs, mais qui a l’inconvénient d’être éloigné de Beyrouth. Maintenant que Beyrouth a repris normalement et heureusement le cours de sa vie, la circulation intense, les allées et venues deviennent extrêmement lourdes et pénibles. Par conséquent, nous n’aspirons qu’à une chose, pouvoir nous regrouper”. Les autres services de l’ambassade: le consulat général, le service économique, le service culturel se trouvent déjà sur l’Espace des lettres “dans d’excellents locaux”. Alors, il faut faire vite et pouvoir “roder les locaux avant que le président Chirac inaugure la chancellerie. Car j’espère bien pouvoir lui montrer mon téléphone en train de fonctionner, mon coffre plein de papiers et mes collaborateurs satisfaits de vivre dans une atmosphère agréable, détendue, confortable et surtout en liaison et proximité avec les autres membres de l’ambassade”. Un autre chantier, les jardins de La Résidence des Pins. “J’aime beaucoup la nature, reconnaît Philippe Lecourtier et j’aime beaucoup les arbres. Nous sommes en train de terminer les aménagements de La Résidence des Pins. J’espère que, progressivement, nous pourrons redonner à ce parc un aspect conforme à la tradition. Il ne sera plus le même. On ne pourra pas ressusciter les grands pins, du jour au lendemain. Il faudra attendre, être patient avec la nature. Je m’emploie à faire replanter beaucoup d’arbres, essayer de trouver une solution pour rendre compatibles la verdure et la sécheresse. Et je suis convaincu que dans quelques années, mes successeurs auront un beau jardin. Si je peux laisser au moins cela au Liban et à la France, j’en serai ravi”.


LA FRANCOPHONIE RÉELLE

L’ambassadeur Lecourtier était très impressionné de constater en venant au Liban que “près de 70 à 80% des enfants libanais apprennent le français, ce qui est unique au monde”. Commençant par ce qu’il appelle “la francophonie réelle” M. Lecourtier estime que la langue française est “une langue moderne, utile pour trouver un emploi, améliorer sa position au sein des entreprises ou des organismes dans lesquels on travaille et pour obtenir des promotions et des avantages”.

“C’est une langue extrêmement vigoureuse et utile et qui n’est pas seulement une langue de poésie et de culture. Le français contient certes en lui-même une épaisseur de culture spécifique. Mais j’insiste sur le fait que le français est une langue très vivante qui permet de traiter toutes les disciplines y compris les plus pointues, les plus complexes, les plus scientifiques.
“Il est évident que le français ne chasse pas l’anglais ou réciproquement. Il faut au minimum connaître les deux langues. Je crois qu’un enfant qui est élevé dans le système français jusqu’à la fin de son enseignement secondaire, acquiert des bases extrêmement fortes qui lui permettent ensuite d’avoir un avantage considérable pour poursuivre des études supérieures à l’université qu’elle soit libanaise, française ou anglophone. Avec le français et l’anglais, les Libanais ont l’avantage de connaître l’arabe, une grande langue, riche de cultures et instrument de communication dans une vaste partie du monde. Ce qui leur permet d’être les traits d’union entre l’Orient et l’Occident.
“Je constate que les Libanais en sont très conscients puisque nous avons ici les lycées français parmi les plus recherchés qui soient: six établissements qui sont directement administrés dans le système français, dix-neuf qui sont homologués en harmonie avec le système français. Et puis, il existe un intérêt formidable pour la langue et la culture françaises que l’on voit se manifester dans les centres culturels. Nous en avons neuf et des milliers d’adultes y apprennent le français.
“Il faut signaler aussi l’existence de l’Ecole supérieure des Affaires, une école de très haute formation, unique au monde, que nous avons implantée à Beyrouth et qui est un modèle si réussi que le gouvernement français et la Chambre de Commerce de Paris pensent à l’exporter dans d’autres pays, notamment en Amérique latine. Je l’ai visitée dès mon arrivée et j’ai été impressionné par la qualité de ses locaux, de son enseignement sélectif qui porte sur le management, la gestion des affaires, la banque, la bourse, les disciplines financières, le tout dispensé par des professeurs d’exceptionnelle qualité venus de plusieurs horizons, surtout de France, mais aussi du Liban.”


“NOUS N’ACCEPTERIONS PAS DE DONNER NOTRE CAUTION
À UNE PAIX QUI SE FERAIT AU DÉTRIMENT DU LIBAN”

Au sujet du Liban-Sud, point chaud qui donne des sueurs froides à toutes les parties et où se joue l’avenir de la paix au Liban, l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier répond directement à nos questions.

Le dérapage verbal du Premier ministre français M. Lionel Jospin a-t-il laissé des traces sur la cohabitation et sur les relations de la France avec le Liban?
Je récuse le terme de dérapage. Le Premier ministre s’est exprimé comme il devait le faire selon lui. Je ne suis pas ici pour qualifier son propos. Ce que je peux vous dire et il l’a dit lui-même, il n’y a aucun changement dans la politique de la France vis-à-vis du Liban. Toutes les autorités françaises l’ont dit et redit, ce dernier mois, qu’il s’agisse du Premier ministre lui-même, du ministre des Affaires étrangères, du président de la République. Naturellement, le Liban et la France restent amis. C’est une constante que nous réaffirmons. Notre souci est de rester toujours présents aux côtés du Liban, pour l’aider dans son développement dans toutes les circonstances. Je crois que cet épisode que certains ont voulu envenimer, compliquer, est totalement dépassé. Le problème n’existe pas. D’ailleurs, j’en ai pour preuve le fait que le Premier ministre libanais, le président Salim Hoss lui-même m’a dit que tout devait continuer comme toujours et qu’il n’y avait aucune amertume, pas de préoccupation à se faire dans les rapports franco-libanais qui étaient marqués par des constantes. C’était le vœu du gouvernement dans son ensemble, tout le gouvernement libanais, de continuer notre coopération comme il se doit, comme elle a toujours été.
La France travaille actuellement à la réactivation du comité de surveillance chargé de superviser les arrangements d’avril 1996 dont elle a été
l’un des principaux artisans et qui consiste à épargner les populations civiles. Où en est-elle dans ses efforts? Ces arrangements ne sont-ils pas dépassés en raison de la succession d’événements qui ont lieu actuellement?
C’est une double question que je prendrai à l’envers. Le comité de surveillance dépassé? Certainement pas. Je dirai même que dans la situation actuelle qui est plus que tendue, plus que jamais le comité de surveillance, résultant des accords d’avril 96, nous paraît nécessaire, parce qu’il assure cette retenue, cette limitation des conflits absolument indispensable pour préparer les conditions de la paix. Donc, nous sommes attachés à l’existence et à la pérennité de ce mécanisme et ceci jusqu’à ce qu’une paix complète, durable, juste, etc... considérée comme telle par toutes les parties, soit vraiment instaurée. On verra alors si la formule est dépassée ou pas. Pour le moment, elle ne l’est pas du tout. Elle est de plus en plus indispensable. A la question de savoir si les réunions vont reprendre, nous faisons tous nos efforts, non seulement nous Français en tant que tels, mais en liaison étroite et tout à fait solidaire et amicale avec les Américains, afin que ces réunions reprennent selon les règles qui ont été établies et qui ont fonctionné jusqu’à présent pour porter un jugement sur les plaintes soumises au groupe de surveillance, de part et d’autre d’ailleurs. A cet égard, nous entendons garder une totale neutralité. C’est un peu comme une sorte de tribunal. Si les juges paraissaient partiaux, ce serait très mal considéré. Je crois que le mécanisme se bloquerait totalement. Dans ce que j’appelle le mécanisme de Nakoura, nous faisons donc preuve de la plus grande objectivité et impartialité pour essayer de comprendre le déroulement de chaque incident, la façon dont les choses se sont passées, puis nous référant aux règles qui ont été agréées par les différentes parties, nous devons nous prononcer sur le caractère de violation ou pas des actes qui sont examinés.

Mais les travaux sont toujours suspendus.
Ce que nous savons, c’est qu’il n’y a pas de rejet de l’ensemble du dispositif. Certes, les parties et les pays concernés ne sont pas encore d’accord pour fixer une date. Mais nous attendons que les produits de nos efforts aboutissent le plus vite possible.
Prévoyez-vous un été chaud au Liban?
Je ne suis pas prophète dans mon pays, ni a fortiori au Liban. Je suis bien incapable de vous donner la moindre indication, d’autant plus que je suis là depuis trop peu de temps pour pouvoir juger. Ce que je peux vous dire en tout cas, c’est que notre souhait le plus cher à nous Français, c’est naturellement que le processus de paix reparte le plus vite possible. Que Libanais, Syriens, Israéliens s’entendent sur tous les aspects qui nous préoccupent les uns et les autres et que cette paix se fasse de telle manière qu’elle ne soit pas au détriment du Liban. Ça, c’est un point fondamental. Nous n’accepterions pas de donner notre caution à une paix qui se ferait au détriment du Liban, en sorte que le Liban s’en trouve diminué et meurtri.

La France a fait savoir et tout récemment encore par la voix du président Chirac, qu’elle serait prête à participer à une force internationale de paix. A travers quelle hiérarchie s’organiserait cette force?
Naturellement, il faut imaginer des hypothèses, ce que tout le monde fait actuellement et que personne n’ose développer publiquement. Nous avons dit et redit que dans la perspective d’un règlement négocié, satisfaisant, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Liban, la France est disposée, si les parties le lui demandent, à participer aux arrangements tels qu’ils auront été établis entre les parties. Cela signifie que nous sommes prêts à assumer une présence physique au sol, c’est-à-dire à avoir du personnel de nationalité française qui agirait dans une instance internationale, sous le couvert des Nations Unies. Nous ne sommes pas maîtres actuellement du contexte dans lequel notre garantie pourrait jouer et ça dépendra encore une fois de la nature du règlement qui interviendra, de la manière dont la communauté internationale se mobilisera, y compris l’Union européenne. D’ailleurs, j’insiste beaucoup sur le rôle que l’UE pourrait avoir dans ces circonstances. Et il est indispensable que la France ne soit pas seule. Ce qui est vrai en tout cas, c’est que nous serons parmi les premiers à répondre le jour où les conditions seront réunies.

Est-ce que votre action est coordonnée avec les Etats-Unis? Vous pourriez vous trouver en conflit dans cette région.
Il n’y a jamais eu conflit, je voudrais le souligner. Souvent, on cherche à nous opposer à la politique américaine au Proche et au Moyen-Orient. Je crois que c’est une grave erreur de vision, une façon provocatrice de poser des problèmes. Au contraire, la France est raisonnable. Elle constate que les Etats-Unis exercent une influence exceptionnelle dans le monde, en particulier au Moyen-Orient. Il serait absurde de le nier et a fortiori de vouloir contrecarrer cette influence. Il est bien clair que les solutions dont je vous parlais tout à l’heure interviendront avec le concours des Américains. Ce que je peux vous dire sans trop de secret, c’est qu’avec mon collègue américain au Liban, nous avons des conversations confiantes et approfondies et nous échangeons vues et informations. Je peux vous assurer que les Américains ont une vision très proche de la nôtre et très sympathique à l’égard de la cause libanaise.

Le Liban est très suspicieux quant aux intentions israéliennes. Pensez-vous qu’ils soient prêts à se retirer de la totalité de la bande frontalière?
Je ne suis pas en mesure de vous faire des commentaires à ce sujet. Je lis comme vous les déclarations des autorités israéliennes. C’est à elles de dire exactement ce qu’elles veulent faire. Nous verrons ce qui en résultera.


SOMMET DE LA FRANCOPHONIE
“UNE AMBITION À LA FOIS CULTURELLE ET POLITIQUE”

Les préparatifs s’accélèrent en vue du sommet de la Francophonie qui se tiendra les 27-28-29 octobre 2001 à Beyrouth après l’Ile Maurice, les pays d’Afrique, le Vietnam, le Canada. Il réunira 55 chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres appartenant à l’ensemble francophone.

“C’est un événement exceptionnel pour le Liban, une ambition qui est à la fois culturelle, mais surtout politique, explique Philippe Lecourtier. La réunion de cinquante-cinq chefs d’Etat et de gouvernement qui représentent plus du quart des Nations Unies, va regrouper des milliers de participants et des milliers de journalistes. Ce qui est très important, c’est que le Liban va avoir l’occasion d’être parfaitement mis en valeur dans la communauté internationale, à sa place de nation fondatrice des Nations Unies. Il va montrer qu’il est capable, j’en suis convaincu, d’être un merveilleux pays hôte, grâce à sa capacité d’organisation, ses hôtels, ses traditions touristiques qui permettent d’accueillir un grand rassemblement de personnalités et de délégations. Je m’efforce de mobiliser mes nouveaux amis libanais autour de cette idée. Politiquement d’abord, elle est très significative pour le Liban sur lequel les projecteurs internationaux vont être braqués pendant toute cette année 2001, toute la phase préparatoire et surtout la réunion elle-même avec tous les chefs d’Etat. Cette conférence dure en fait presque une semaine, parce qu’elle comprend plusieurs étapes jusqu’au sommet lui-même, précédé de réunions de ministres, d’experts, etc... J’insiste beaucoup sur cet aspect politique, spécialement pour le Liban à l’heure actuelle, je crois qu’il est très important qu’il serve de cadre pour une grande manifestation internationale, afin de montrer qu’il est dans tous ses droits politiques, qu’il est en pleine souveraineté, qu’il peut rassembler l’ensemble des pays de la francophonie et bien les accueillir.
“Nous sommes en train de travailler déjà avec le gouvernement libanais pour les préparatifs, l’organisation et naturellement aussi sur le fond des dossiers. Le Liban y apportera certainement une contribution importante.

DIALOGUE DES CULTURES
“Le thème de ce sommet, c’est “le dialogue des cultures”. Même si la langue française est le lien entre les différents pays de la francophonie, il y a quand même à l’intérieur de cet ensemble très complexe des différences culturelles importantes et puis il y a la volonté de cet ensemble de dialoguer avec les autres cultures tout en conservant cette diversité culturelle qui fait sa richesse. Je crois qu’il est très important que nous puissions réfléchir ensemble avec toute notre diversité, car il y a évidemment des différences entre un Vietnamien, un Africain francophone, un Bulgare, un Français, un Suisse et un Libanais, des différences, oui, mais aussi une vision d’ensemble alimentée d’une conception commune des droits de l’homme que la francophonie diffuse d’elle-même.
“Le Liban qui appartient à plusieurs mondes peut très justement servir de lien à ce faisceau qu’est la francophonie. Et je m’attends à ce que nous travaillions beaucoup ensemble. Je vous signale que nous recevons dans les jours qui viennent M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie. Je vous ai tout à l’heure parlé de la coopération dans les différents domaines, en particulier en matière culturelle et linguistique. C’est, effectivement, une des parts des responsabilités de M. Josselin. Il aura ici des discussions très approfondies et très utiles. Il vient poser les premiers jalons de cette grande aventure que nous allons vivre ensemble pendant un an et demi jusqu’au sommet. Et puis, ça continuera, puisque le sommet n’est qu’une étape. Entre deux sommets, c’est le pays ayant accueilli la dernière conférence qui assume la présidence de l’ensemble francophone. Un des objectifs de la francophonie, c’est bien entendu de diffuser la culture francophone, mais surtout de représenter un groupe d’Etats ayant des valeurs communes dans le concert international. Je vous assure qu’aux Nations Unies, lorsque le groupe francophone se mobilise avec ses 55 voix, c’est un énorme bloc, personne ne peut lui résister.
“Maintenant, l’organisation a mûri, elle est majeure. Elle a un secrétaire général qui est une personnalité éminente Boutros Boutros-Ghali que tout le monde connaît puisqu’il a été secrétaire général des Nations Unies. Il est parfaitement francophone. Il est de surcroît originaire de la région. C’est un Egyptien, un homme qui a évidemment une sensibilité particulière pour le Liban.”


RELATIONS BILATÉRALES
“LE LIBAN EST L’UN DES PAYS QUI PAR TÊTE D’HABITANT
EST LE PLUS CHOYÉ PAR LA FRANCE”

LeLa coopération bilatérale entre la France et le Liban ne s’arrête pas, selon l’ambassadeur Lecourtier, à la question de Nakoura car les relations entre nos deux pays “remontent dans les profondeurs de notre Histoire jusqu’à Saint Louis et même prétend-on quelquefois avant”. C’est donc ainsi qu’il nous présente cette coopération.

“Aujourd’hui, le Liban est un pays qui reçoit un appui considérable de la France. C’est l’un des pays qui par tête d’habitant est le plus choyé par la France. D’abord, c’est un pays que nous considérons comme un pays avancé, à un niveau élevé de développement. Nous savons qu’il a les moyens de recevoir les conseils et les ressources que nous lui offrons. Depuis que je suis ici, je suis surpris par l’ampleur de cette coopération qui touche absolument tous les domaines, de l’énergie à l’agriculture, en passant par l’administration publique, etc... “C’est quand même assez étonnant parce que nous avons en face de nous un pays qui, à bien des égards, nous ressemble. Beaucoup d’institutions libanaises sont semblables ou similaires à celles de la France, ce qui permet une interaction très forte. Nous avons, de façon tout à fait exceptionnelle, accepté que le Liban entre dans ce que nous appelons la Zone de solidarité prioritaire qui comprend la plupart des pays avec lesquels nous avons une politique très spéciale de coopération. Normalement, le niveau économique du Liban aurait dû l’exclure de ce traitement préférentiel. Mais étant donné les raisons politiques que j’exprimais, nous avons estimé qu’il fallait faire une exception à son profit. Nous avons ainsi ouvert une représentation de l’“Agence française de développement” qui va fournir non seulement du crédit au Liban et à ses entreprises, mais également mettre à sa disposition toute sa technicité, son savoir-faire, un peu comme la Banque mondiale.”

Par EVELYNE MASSOUD

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