UNE NATION SANS MÉMOIRE N’EN EST PAS UNE
13 AVRIL 1975
UNE DATE REPÈRE DANS LA VIE DU LIBAN CONTEMPORAIN

"Qu’est-ce que le 13 avril?”
Cette question posée spontanément par une jeune de vingt ans, m’a permis de prendre conscience que, pour nos compatriotes nés après le 13 avril 1975, cette date, pourtant mémorable, n’avait pas de signification précise. Alors que pour les générations qui l’ont vécue, elle porte tant de symboles. Il suffit de dire “13 avril” pour que cela déclenche une multitude d’images, de réflexions et de souvenirs. A la question: Qu’est-ce que le 13 avril, j’ai réalisé aussi, à quel point, depuis Taëf on cherche à occulter le passé, à limiter notre Histoire nationale à certaines tranches, en reléguant le reste dans les oubliettes. Est-ce ainsi qu’on édifie une nation? Le passé nous appartient autant que l’avenir; il faut qu’il demeure vivant dans la conscience collective, pour le comprendre et en tirer les leçons pour l’avenir. Une nation sans mémoire et sans passé n’en est pas une. Le 13 avril 1975 est un point de repère essentiel dans l’Histoire du Liban contemporain.

En ce dimanche du 13 avril 1975, qui aurait pu se douter que le Liban allait être plongé dans l’engrenage de la guerre et de la violence à nul autre pareil? L’incident de Aïn el-Remmaneh aurait pu et dû être circonscrit en 24 heures. Mais on dirait que le mauvais sort venait de s’abattre sur le pays des Cèdres; que les forces du mal et de la destruction y avaient jeté leur dévolu, s’acharnant contre cette terre millénaire, afin d’annihiler les caractéristiques et les spécificités qui la démarquaient de son environnement.
Que s’est-il passé ce jour-là? Dans la matinée du dimanche 13 avril, a lieu au quartier de Aïn el-Remmaneh, la consécration de la nouvelle église Notre-Dame de la Délivrance, en présence de Pierre Gemayel, leader des Kataëb, de responsables du parti et d’une foule de fidèles. A l’heure où les gens sortaient de l’église, quatre hommes armés se déplaçant à bord d’une Fiat, franchissent de force le barrage que la gendarmerie a installé à l’entrée de la rue pour protéger la cérémonie: “Nous sommes des combattants palestiniens”, crient-ils et tirent sur la foule faisant quatre tués, dont un responsable Kataëb et sept blessés.
En début d’après-midi, un autobus transportant des fedayine armés revenant d’une parade militaire à Sabra choisit, délibérément, de passer par Aïn el-Remmaneh pour regagner Tal-Zaatar. Il est, aussitôt, pris sous le feu des miliciens que l’attentat de la matinée avait mis en état d’alerte. Vingt-sept Palestiniens succombent. Le véhicule avait-il emprunté cet itinéraire par défi? Peu après, les premiers obus s’abattent sur Aïn el-Remmaneh.
La guerre du Liban venait de commencer.
 
Le bus d’Aïn el-Remmaneh: Le déclic.
L’assassinat de Maarouf Saad: 
La tension à ses débuts.

LE JEU DES NATIONS
L’incident sanglant du 13 avril 1975 a constitué l’étincelle qui a plongé le pays dans une guerre meurtrière ayant fait plus de 200.000 morts, des dégâts matériels considérables, provoqué l’exode interne et l’expatriation de milliers de citoyens et ébranlé les structures politiques, sociales et économiques du pays.
Pas une région ne fut épargnée; pas une fraction ne fut à l’abri de ce drame, dont les racines plongent au cœur même du conflit proche-oriental, depuis la création de l’Etat d’Israël, l’émergence du problème palestinien, les guerres israélo-arabes et, surtout, la présence armée palestinienne au Liban, celle-ci ayant formé un Etat dans l’Etat.
Terre de liberté et de démocratie, pays multi-confessionnel et pluri-culturel avec tout ce que cette diversité engendre comme richesse intrinsèque mais, aussi, comme faiblesse structurelle, le Liban fut, pour la communauté internationale, le lieu idéal pour y faire exploser tous les antagonismes de la région et de les résoudre à ses dépens. Qualifié de “terre de lait et de miel”, le Liban devint terre de feu et de sang. Et c’est à juste titre qu’on peut parler de “guerre des autres sur le sol libanais” et que le président Charles Hélou a intitulé un de ses livres: “Liban, remords du monde”.


Le gouvernement présidé par Rachid Solh se réunit le 14 avril 1975
en présence de M. Mahmoud Riad, secrétaire général de la
Ligue arabe, arrivé à Beyrouth en mission de médiation.

D’UNE GUERRE À L’AUTRE
Les premiers temps, on parlait de “rounds” croyant, très innocemment, que tout allait rentrer dans l’ordre, au bout d’une, de deux ou trois semaines, ou d’un mois ou de deux... On a fini par déchanter, sans comprendre que nous étions les dindons de la farce... Une farce cruelle et les victimes consentantes “du jeu des nations”.
Les années se sont écoulées, les guerres se sont succédé; ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait différentes: “guerre des deux ans” (1975-1976) ou “guerre libano-palestinienne”, “guerre libano-syrienne”, “guerre des 100 jours” (de l’été 78) avec le blocus qui fut imposé par les Syriens à Achrafieh, bastion de la “Résistance libanaise”; “guerre israélo-palestinienne” avec “l’opération Litani” le 14 mars 1978 et l’opération “paix pour la Galilée du 6 juin 1982; puis, “guerre de la Montagne”, “guerre syro-palestinienne”, “guerres inter-libanaises”...
Cela a duré dix-sept ans. Les obus meurtriers et destructeurs ont été durant ces longues années le lot quotidien des Libanais: “Lignes de démarcation”, “franc-tireurs”, “enlèvements”, “exode”, “attentats piégés”, ont fait partie du langage courant de tous les jours.
Face à l’épreuve, le Liban et ses fils ont opposé une résistance farouche, chacun étant enfermé dans sa région et ayant ses propres motivations, en se confrontant les uns aux autres, faisant souvent le jeu des “décideurs” régionaux. Le Liban a résisté, payant, hélas! pour survivre, un prix beaucoup trop élevé.
 
Les premiers combats de rues... 
et les “rounds”se succèdent.
Les francs-tireurs ont tué plus de civils 
que de combattants adverses.

OÙ EN SOMMES-NOUS AUJOURD’HUI?
En ce 25ème anniversaire du 13 avril 1975, une première question s’impose: où en sommes-nous, aujourd’hui, après toutes ces années d’épreuve? Plus cruelle à formuler est cette autre question: pourquoi y a-t-il eu cette longue guerre, ces destructions et ces morts? Etait-ce pour aller à Taëf et faire quelques amendements constitutionnels qui, de surcroît, s’avèrent, avec la pratique, de plus en plus inadéquats?
La réponse n’est ni simple, ni facile et les chroniqueurs chercheront à en donner les multiples explications. Mais un fait est certain: la communauté internationale a choisi ce petit pays fragile, mais grand par son passé, sa culture et ses valeurs ancestrales, qui n’aspirait qu’à vivre en paix, pour y régler les problèmes de la région, en jouant sur ses contradictions internes.
Taëf a permis tout simplement d’arrêter la machine infernale, sans parvenir pour autant à régler les problèmes internes et les conséquences de la guerre.


Les premiers combats de rues...
et les “rounds”se succèdent.

L’accord de Taëf approuvé par les députés libanais réunis dans cette ville séoudienne, du 29 septembre au 22 octobre 89; puis, ratifié par la Chambre un an plus tard, a permis à faire taire le canon.
Le calme règne dans l’ensemble du pays, à l’exception de la région frontalière sous occupation israélienne, mais les problèmes politiques et socio-économiques demeurent irrésolus. La situation économique est en régression continue, le citoyen se débat face à de multiples problèmes sociaux, les clivages confessionnels se sont renforcés et les jeunes sont inquiets quant à leur avenir.
Au-delà de tous ces problèmes solubles, si l’on veut se donner la peine de les étudier de façon rationnelle, se pose dans toute son acuité la question de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale toujours spoliées. Le sud frontalier est occupé par les Israéliens, la question de la présence d’un demi-million de réfugiés palestiniens et des armes tous calibres, dont ils disposent dans leurs camps, est loin d’être réglée. Elle fut, pourtant, l’une des raisons essentielles de la guerre au Liban.
Plus de 45.000 soldats syriens sont toujours déployés sur le territoire libanais et le pouvoir central ne dispose pas dans tout ce contexte de sa libre décision.


Les abris de fortune: Une adaptation rapide mais épuisante.

Pour parler de paix réelle, il faudra que le Liban retrouve sa pleine souveraineté, son intégrité territoriale jusqu’aux frontières internationales et son entière liberté. Car tel que l’affirmait, une fois de plus, tout récemment S.B. Mgr Nasrallah Sfeir, patriarche maronite: “Liban et liberté sont deux mots synonymes”.
 
DANS UN MÉMORANDUM-RÉPONSE À KOFI ANNAN
LAHOUD: “LA FINUL SERAIT-ELLE PRÊTE À DÉSARMER LES CAMPS PALESTINIENS?”

Dans un mémorandum adressé à M. Kofi Annan, en réponse à une question que le secrétaire général des Nations-Unies lui a adressée sur le point de connaître “la position officielle du Liban sur le retrait israélien du Liban-Sud”, le président de la République lui demande si la FINUL était prête, en cas de retrait israélien, à désarmer les camps palestiniens du Liban, avant de se déployer à la frontière internationale.

Le chef de l’Etat a remis le mémorandum à M. Terje Roed-Larsen, secrétaire général adjoint de l’ONU, qui lui a transmis la question de M. Annan et l’a informé de la teneur de l’entretien que celui-ci a eu, au début de la semaine, avec David Lévy, ministre israélien des A.E., au siège des Nations-Unies à Genève. 
Le président Lahoud pose au secrétaire général plusieurs questions dont les suivantes: Pourquoi le Conseil de Sécurité n’a-t-il pas mis en application sa résolution 425 votée en 1978? Quels sont les motifs ayant incité Israël à appliquer, maintenant, cette résolution? Le Liban doit-il payer le prix de la protection du retrait israélien et des frontières de l’Etat hébreu?
La FINUL est-elle en mesure de faire face à de petites guerres que fomenteraient les Palestiniens dans le cadre du droit au retour? Ne pensez-vous pas, M. le secrétaire général, qu’avant de se déployer à la frontière, les Casques Bleus devraient désarmer les camps palestiniens disséminés au Liban? 

Par NELLY HÉLOU

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