Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
ET VOGUE LA GALÈRE!
A lire dans la presse les déclarations multiples et variées de nos dirigeants, on se croirait à la page de garde d’un roman de pure fiction où l’auteur avertit le lecteur que “Toute ressemblance entre les personnages et les événements de ce livre et ceux existant ou ayant jamais existé ne serait que pure coïncidence”. A la différence que, chez nous, même les coïncidences n’existent pas et que, quoi qu’il arrive, nous n’en sommes jamais avertis.
Dans un passé - pas si lointain, d’ailleurs - nous avions au moins un point de repère, une sorte d’étoile polaire qui guidait nos paroles, sinon nos pas: la résolution 425 du Conseil de Sécurité qui enjoint à Israël de se retirer, immédiatement et inconditionnellement, du Liban jusqu’aux frontières interna-tionalement reconnues.
Que de salive nous a coûté cette résolution! Pendant vingt-deux ans et, plus particulièrement, au cours des dix dernières années, pas un discours n’a été prononcé, pas une déclaration n’a été faite, pas une parole n’a été proférée, sans que la 425 y figure en bonne place. Pas un visiteur étranger, du simple journaliste, aux ambassadeurs et aux ministres, n’a pointé le nez dans nos murs, sans se voir catapulté devant un micro pour proclamer comme une formule incantatoire sa dévotion envers la 425. C’était, pour ainsi dire, à la fois notre ceinture de sécurité et notre sainte patronne.
Brusquement, l’autel sur lequel nous avions juché cette sainte patronne s’est mis à vaciller, comme sous l’effet d’un séisme d’une magnitude inégalée sur l’échelle de Richter et, peu à peu, surgit à sa place la “concomitance des volets syrien et libanais”. Autrement dit, ou bien Israël évacue le Golan et le Liban-Sud au même moment, ou bien... ou bien quoi? Personne ne le sait, du moins chez nous.
Ce qu’il y a de surprenant dans l’affaire, c’est la fusion ou plutôt la confusion qui a été établie au pied levé - du moins de notre côté - entre le volet syrien et le volet libanais. Il s’agit, en fait, de deux événements dissemblables. L’occupation du Golan est l’une des conséquences d’une guerre syro-israélienne, en juin 1967 et elle relève de la résolution 242 qui exige le retrait d’Israël des territoires arabes occupés au cours de cette guerre. Guerre à laquelle le Liban n’a pas pris part. Alors que la 425 a été votée à la suite de l’invasion injustifiable du Liban-Sud, en 1978. De plus, Israël a promulgué une loi annexant le Golan, alors qu’il reconnaît la souveraineté du Liban sur l’ensemble de son territoire jusqu’aux frontières internationales.
A partir de là, on commence à naviguer dans le brouillard. Un brouillard d’autant plus épais qu’Israël vient de décider (sous les coups mortels de la Résistance et la pression de sa propre opinion publique) le retrait de ses troupes du Liban-Sud, la bande frontalière ne valant pas - à ses yeux - le coût exorbitant que l’Etat hébreu a dû payer en matériel et en soldats. Sans compter le désaveu quasi unanime de la société internationale.
Il ne sert à rien d’ergoter là-dessus. C’est là sans le moindre doute possible une victoire. Cependant, comme “concomitance” il y a, nous nous sommes mis à crier comme des écorchés vifs que nous n’étions pas les gendarmes d’Israël, ni ses garde-frontières et que nous ne saurions empêcher personne - même après le retrait total - de l’attaquer. Ce faisant, nos dirigeants oublient que la 425 et la 426 comportent des arrangements sécuritaires. Ils oublient, aussi, qu’à l’issue du débat au Conseil de Sécurité et à la demande du Liban, en date du 19 mars 1978, a été consigné au procès-verbal la précision suivante: “Après le retrait des forces israéliennes, il ne doit plus rester sur le sol libanais qu’une seule partie concernée: l’autorité libanaise légale”.
Dans ce cas, pourquoi crions-nous? Qui pensons-nous effrayer ainsi? Dans le “Livre de la Jungle”, de Rudyard Kipling, l’ours Baloo dit à Mowgli, l’enfant de la jungle: “Quand on est aussi petit, on ne crie pas aussi fort”. Peut-être que n’ayant plus aucune prise sur les événements, nous le faisons comme un enfant perdu dans la nuit qui crie pour se donner du courage.
Que voulons-nous, que faisons-nous, que pouvons-nous?
Personne ne semble le savoir. Nous ressemblons à ce “Bateau Ivre”, de Rimbaud qui prend de l’eau de toutes parts, dont les passagers, parqués dans les cales, ignorent ce qui se passe sur le pont et dont l’équipage, ramant à contre-courant, ne sait plus qui tient la barre et se laisse entraîner par toutes les houles vers tous les inconnus. 

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