SOMMET EUROPE-AFRIQUE AU CAIRE
LES PAYS LES PLUS PAUVRES CHERCHENT LEUR PLACE
DANS LE “PARTENARIAT STRATÉGIQUE POUR LE XXIÈME SIÈCLE”

Ce qui était une idée du Portugal en 1996 est devenu réalité après de laborieuses tractations qui ont débouché, quatre ans plus tard, sur l’organisation au Caire par l’OUA d’un sommet Europe-Afrique, le premier du genre et le plus grand rassemblement de dirigeants étrangers hors de l’enceinte des Nations Unies.


Le président Hosni Moubarak inaugurant le sommet.

Les 3 et 4 avril, une soixantaine de rois, chefs d’Etat, Premiers ministres des 15 pays de l’UE et de 52 pays africains (la Somalie en proie à la guerre civile était absente) ont envisagé en commun leur “partenariat stratégique pour le XXIème siècle”.
Dans ce forum réunissant les deux continents, Jacques Chirac était le seul président européen, ses pairs s’étant fait représenter par leur chef de gouvernement ou leur ministre des Affaires étrangères. Ceux-ci s’étaient déjà réunis avec leurs experts à la veille du sommet pour achever la mouture des plans d’action et de la déclaration finale. C’est dire que les surprises n’étaient pas au rendez-vous. Tout étant déjà fixé à l’avance.
Bien entendu, la rencontre, avant l’ouverture du sommet, du président de la Commission européenne Romano Prodi avec Mouammar Kadhafi, était un événement en soi puisqu’elle constituait une sorte de réhabilitation de la Libye, objet de sanctions internationales depuis 1992 (suspendues en avril 1999) pour son soutien présumé au terrorisme. Cet événement a été terni par une diatribe du bouillant colonel, lors d’une réunion de travail à huis clos, contre la France et le Portugal qui, dans son optique, n’ont ni à donner de leçons à l’Afrique ni à lui proposer leur assistance. Néanmoins, Kadhafi qui s’est imposé comme la vedette du sommet, a fini par rencontrer plusieurs dirigeants européens.
Une autre rencontre, précédée d’une accolade lors de la cérémonie inaugurale, a permis de détendre quelque peu les relations difficiles du roi du Maroc Mohamed VI et du chef d’Etat algérien, Abdel-Aziz Bouteflika, président en exercice de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) en conflit au sujet du Front Polisario revendiquant depuis 1975 la souveraineté sur le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole.
D’autres rencontres bilatérales ont ponctué ce sommet qui a consacré la “position géostratégique” de l’Egypte au niveau du continent africain où elle a parrainé plusieurs initiatives de paix, ainsi que son rôle proéminent dans le processus en cours au Proche-Orient. Dans son discours inaugural, le président Hosni Moubarak a souligné l’interaction des deux continents, car “un développement durable en Afrique aura des répercussions positives sur les autres régions du monde en général et l’Europe, en particulier”. Thème repris par le président Bouteflika qui a souligné l’intérêt majeur des “immenses ressources que recèle le continent africain dont l’exploitation peut être bénéfique à tous. C’est à un “saut qualitatif” permettant l’adaptation du continent africain aux nouvelles données de l’économie mondiale et à la poursuite du processus de démocratisation qu’a invité Romano Prodi, président de la Commission européenne.
Par-delà l’euphorie des grands discours, la réalité est ailleurs. Si l’Europe et l’Afrique, l’une parvenue au plein développement, l’autre en quête éperdue de ce même développement, constituent deux univers à part, ils convergent vers des préoccupations et des intérêts communs. Tous se veulent pourfendeurs de la corruption, respectueux de la démocratie, des droits de l’homme. Seulement, leur rhétorique se heurte à une interprétation divergente de valeurs supposées être partagées.
 
Dirigeants européens et africains:
Gerhard Schröder, Javier Solana,
Robin Cook, le président du 
Burkina Faso, Blaise Compaoré,
le chef de l’OUA, Salim Ahmed 
Salim et au centre, le président
très contesté du Zimbabwe,
Robert Mugabe.
Réunion quadripartite: le président
tunisien Zein el-Abidine Ben Ali, 
Mouammar Kadhafi, le roi Mohamed
VI et le président Bouteflika.
Le ministre portugais des Affaires
étrangères serrant la main du
président nigérian, 
Olusegun Obasanjo.

Si l’Etat de droit se trouve défaillant dans le continent noir, c’est en raison de la “pauvreté et de la faim”, s’obstinent à expliquer les Africains qui réclament avec insistance l’annulation de leur dette évaluée à 350 milliards de dollars. A ce prix ils sortiront de ce cercle vicieux qui entrave leur développement. C’est donc en demandeurs qu’ils sont venus rencontrer les Européens. Ceux-ci leur ont infligé quelques remontrances en les invitant à gérer correctement les affaires publiques par la prévention et le combat de la corruption et du népotisme.
En plaçant très haut la barre, les Africains pouvaient espérer, tout au plus, un allégement de leur dette. Le chef de la diplomatie autrichienne, Mme Benitta Ferrero-Wagner a bien exprimé l’impuissance occidentale: une annulation totale de la dette est “bien au-delà de nos propres moyens”. D’ailleurs, l’absence au forum des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, ainsi que celle des ministres des Finances ne permettait pas d’envisager une telle possibilité. L’an dernier, l’UE avait décidé l’octroi d’un milliard d’euros aux pays pauvres très endettés (PPTE). Dans son optique, le forum du Caire n’est pas l’enceinte habilitée à traiter d’un tel sujet. Toutefois, un suivi du sommet mené par de hauts fonctionnaires pourrait aider les Africains “ à sortir du cycle de dépendance” dans lequel ils se trouvent.
Sur ce plan, la France a déjà pris quelques longueurs d’avance en décidant, comme l’a indiqué le président Chirac, d’annuler “la totalité des créances publiques bilatérales dues au titre du développement ou au titre des créances commerciales des pays les plus pauvres et les plus endettés”. Ce qui représente un effort additionnel de 7 milliards de dollars. “Au total, ajoute le président français, la France aura annulé, au cours des quinze dernières années, plus de 23 milliards de dollars en faveur des pays lourdement endettés”. L’exemple de la France a été quelque peu suivi par l’Allemagne qui a annoncé sa volonté de supprimer 350 millions de dollars des dettes des pays les plus pauvres. De même que par l’Espagne qui a annulé une dette d’un montant de 200 millions de dollars.
L’économique et le politique étant liés, les pays africains ont proposé, à l’initiative de l’Egypte, “une référence expresse” du document final “à une zone sans armes nucléaires au Proche-Orient”. Or, s’agissant d’un sommet qui n’incluait pas les problèmes du Proche-Orient, a rectifié le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui pensait à l’instar de ses homologues néerlandais et allemand que cette référence visait Israël (en possession de 200 têtes nucléaires), la demande était irrecevable. Contrairement à celle relative à “la restitution et (au) retour dans le pays d’origine de monuments historiques, d’objets d’art et de biens culturels” africains transférés par les anciens colonisateurs dans les musées européens. A ce sujet, un compromis qui n’engage personne a pu être trouvé, réaffirmant “la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel de l’Afrique”.
Mais les Africains désiraient aller plus loin, en accompagnant la restitution des biens culturels des fonds détournés vers des banques étrangères par des ex-dirigeants corrompus. Leurs partenaires européens se sont montrés prudents évitant de s’engager sur ces sables mouvants.
A l’horizon de 2003, un nouveau sommet réunira en Grèce les deux continents. Un nouvel élan a été donné à leur partenariat aux mouvements contradictoires. Les Africains attendent de l’Europe ce qu’elle n’est peut-être plus en mesure de leur donner.

Par EVELYNE MASSOUD

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