Editorial



Par MELHEM KARAM 

LE LIBAN, NÞ1 AU SOMMET DES 77

Comme si le temps est devenu celui du Tiers Monde; le temps d’un autre regard sur le monde en voie de développement, par complaisance à ceux qui ont voulu ne plus affubler du qualificatif du sous-développement ceux qui se sont soulevés à Seattle, peuple et rue et sont devenus, aujourd’hui, des révolutionnaires à La Havane, gouvernants et gouvernements.
Le temps du Tiers Monde existe de longue date. Parce que le premier monde était un franc-tireur cherchant une cible à atteindre au nom du colonialisme, dans l’ancienne acception du terme. Le Tiers Monde est devenu, maintenant, l’obsession du premier monde, agissant en vue de le sortir du tiers-mondisme, économiquement et culturellement. Car le pauvre est devenu un fardeau pour le riche, après en avoir été une proie.
Dans les propos des Grecs entre deux grands de la pensée, au sujet de la misère et des misérables, le premier a dit: La misère est un destin et de la paresse, l’ouvrier ne devant pas sauver une personne apathique. Le second a dit: Et si la révolte de la famine s’emparait des affamés? A ce moment, a répondu le premier, qu’arrivera-t-il? Le second a rétorqué: La faim et les affamés avaleront les gens aisés et repus, avant que l’aisance et la bombance ne se mangent eux-mêmes.
Comme si le premier monde, le second monde n’existant plus aujourd’hui, tient cette attitude craintive du tiers monde, parce qu’il sait parfaitement que les révolutions ont commencé par là. Et le changement de la marche de l’Histoire sociale et politique aussi.
Comme si la foi en ce que la stabilité sociale et politique est devenue quelque chose parmi les piliers de la pensée politique dans le premier monde.
Marie-Antoinette, femme de Louis XVI, a enflammé la colère en France et Alexandra Fédérovna, épouse du tsar Nicolas II Romanov, a soulevé la rue face aux citadelles de Saint-Petersbourg.
Pourquoi disons-nous tout cela?
Parce que le Liban, en dépit des apparences de prospérité et, parfois, de fatuité, ressemble souvent au tiers monde, après que tous aient contribué à sa perte, aidés par ses fils, sur tous les podiums, terre, homme, économie et monnaie. Nous aurions dit, également, “culture”, n’était notre foi que l’âme de Dieu couve le verbe dans la petite patrie... non dans le “petit” troupeau, comme il plaît à certains à le dire, en vue de le rapetisser pour lui attirer pitié et commisération.
A La Havane, Fidel Castro a dit du capitalisme ce qu’il a pris l’habitude de dire depuis trente ans. Comme si le “Lider Maximo”, à travers le rappel des histoires d’hier, regarde en face le lendemain, pour dire qu’il s’agit d’une question d’homme toujours la même... La bataille du Sud avec le Nord... La bataille de l’aisance avec l’indigence. La bataille de Seattle et de La Havane avec la mondialisation et les sommets des pays industrialisés.
Comme si la conviction chez l’homme reste figée à une limite qu’elle ne dépasse pas. C’est que le souci de se pencher sur les relations de l’homme avec l’homme est inexistante. Ajoutant dans ce domaine: “Qu’a fait la technologie à l’homme?”
Elle lui a montré, d’une distance de milliers de miles, l’image de son interlocuteur sur l’autre ligne du téléphone? Et si son interlocuteur était une forme laide, pourquoi lui imposerait-on cette corvée?
Naturellement, cela en caricature, parce que la technologie a offert quelque chose d’important dans le processus de l’évolution. Mais cette technologie a trébuché en faisant face aux questions les plus importantes posées sur la table des préoccupations: le cancer, le sida, l’environnement. Un prétexte négatif plaide en sa faveur, car la technologie est liée à un intérêt matériel... L’intérêt de l’apport financier avant toute chose... voire avant l’homme lui-même.
Mais n’est-ce pas avec cela que le monde tout entier est devenu un tiers monde? Là où est l’homme, existe une épreuve. Et l’impuissance à freiner l’épreuve, entraîne un sous-développement pour l’homme qui tombe de plus en plus dans le monde tiers mondiste.
L’Europe est devenue en quelque sorte une partie du tiers monde. La démocratie de l’Autriche a indisposé l’Ancien Monde, le monde des démocraties, parce que l’Europe, spécialement la Belgique et la France, ont toujours sous les dents les cauchemars du nazisme. Le général de Gaulle a tenté, à sa manière, naturellement, de comprendre le tiers monde. Il est vrai qu’en réglant le problème algérien, tel qu’il l’a réglé, il avait le regard fixé davantage sur la France que sur l’Algérie, parce qu’il redoutait le temps où on parlerait de la “France algérienne” plutôt que de “l’Algérie française”.
Il est vrai, aussi, qu’après la campagne de Suez en 1956, il a dit: “Quelque chose se produit là-bas”. Il parlait naturellement du retrait franco-anglo-israélien de Suez qui s’effectuait sur les instructions de Washington et de Moscou. Il est, également, vrai que de Gaulle s’est tourné vers le tiers monde, bien qu’à travers sa vision de l’action des grands. En ce temps, la France avait une vision tiers mondiste qu’exprimait Pierre Mendès France, dans une perspective qui s’étendait de la Tunisie à l’Indochine, dans une option insistant à lever les sceaux du colonialisme.
La France a-t-elle, aujourd’hui, une politique arabe autre que la politique d’apaisement et des tentatives de conciliation, à travers des paroles contradictoires entre l’Elysée et Matignon?
Beaucoup de Français, écrit Jean Daniel dans “Le Nouvel Observateur”, pensent que l’absence d’une politique arabe en France, s’inscrit sous le titre de la légèreté et de l’irresponsabilité. Il m’est arrivé, ajoute-t-il, d’écrire sur la France et la force arabe islamique dans ma vision quant à nos relations avec le Maghreb, l’Egypte et le Liban.
Quatre millions de musulmans vivent en France, dont deux millions d’Arabes. Malgré cela, l’Histoire ne mentionne au plan des intérêts arabes, que les accords de Camp David, d’Oslo et de Charm el-Cheikh, aucun accord ne citant la France.
Le sommet des 77 après Seattle dans la lignée du Tiers monde, apparaissant sous la face africaine davantage que sous un autre masque, est le sommet des persécutés frappant d’une main révoltée et indignée à la porte de celui qui les asservit, dans l’espoir qu’il leur ouvrira. Pour qu’au cas où il n’ouvrirait pas sa porte, elle le serait par la colère grandissante de ceux qui se cachent derrière pour fuir les vérités de ce temps.
Le Liban, NÞ1 au sommet des 77, se trouve parmi les contestataires contre l’establishment tyranique, n’en faisant cure de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Les sages le secouent, dans l’espoir qu’il répondra à l’appel de la raison et  parviendra à se convaincre qu’il n’est pas permis que les biens de la terre soient accaparés par une partie de sa population. 

Photo Melhem Karam

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